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Genre : Thriller, horreur, gore, trash (interdit aux - 16 ans)
Année : 2005
Durée : 1h33
Synopsis :
Un homme, coupable de plusieurs meurtres, erre dans la forêt. Guidé par une voix qui résonne dans sa tête, il arrive dans un hameau construit autour d’une ferme porcine. Il y rencontre une femme aussi torturée que lui. Leurs violentes natures réunies créent un monstre terrifiant.
La critique :
Aaaaaah le cinéma japonais ! D'un côté, symbole de films pour amphétaminomanes, de l'autre terre promise pour les amateurs de cinéma trash et vomitif. Il est bien loin le temps des Yasujiro Ozu, Akira Kurosawa et autre Kenji Mizoguchi qui incarnaient le raffinement cinématographique, la légèreté et l'innocence. Depuis le classicisme et l'époque glorieuse du chanbara, de l'eau couleur rouge sang a coulé sous les ponts, pour le plus grand bonheur des psychopathes que nous sommes. Rapidement, le Japon s'immisçait dans le cinéma d'épouvante en exposant la terreur sous sa forme la plus pure, au grand dam des personnes facilement impressionnables et, qui plus est, dans une époque où le cinéma occidental voit son concept avarié reposer sur une ambiance médiocre où les réalisateurs seront persuadés qu'ils effraieront les salles grâce à leurs maigres screamers.
Seulement, voilà, la recette fonctionne de moins en moins bien et de plus en plus de spectateurs se rendent compte de l'escroquerie du cinéma horrifique occidental. Trop sage, trop timoré, sans offrir d'irrévérence et de subversif capable de bouleverser les codes établis, il se dessèche comme neige au soleil. Maintenant, la faute en revient aussi à toute la clique des critiques bien-pensantes voyant le concept même du cinéma horrifique comme un genre poubelle. Preuve de leur incompétence et du fait qu'ils n'y connaissent rien. Et quand ce n'est pas la descente simple du film, c'est la polémique prenant le dessus. Le cas de Martyrs n'est plus à présenter, ni Antichrist et dernièrement The House That Jack Build.
Fort heureusement, la mentalité nippone est bien écartée de ces ridicules principes et ne se gêne pas pour afficher l'obscénité en fer de lance. Les limites, elle aime bien les faire voler en éclat, quitte à sombrer dans le circuit underground. Par le passé, le blog a plus d'une fois démontré le scandaleux et le vertigineux que certains esprits malades savent créer. Les cas de Tamakishi Anaru et de Daisuke Yamanouchi font encore débat. Non sans aller jusque dans ces travers jusqu'au-boutistes, le cas de Kei Fujiwara mérite que l'on s'y intéresse de plus près. Certains doivent peut-être s'en souvenir vu qu'elle signa Organ qui s'auréola d'une flatteuse réputation, à défaut d'une notoriété internationale.
Logique me direz-vous... Neuf ans plus tard, elle récidive avec une pellicule au nom inquiétant d'Ido (aussi connue sous le nom de ID). Même schéma que la première pellicule, s'il suscita grand intérêt et enthousiasme des adeptes du trash, sa confidentialité ne le condamnera qu'à un cercle réduit de connaisseurs. En outre, les rares critiques seront particulièrement favorables, ce qui est assez surprenant pour un film de ce genre. Au vu de cette effroyable pochette ayant le mérite de calmer d'emblée de jeu l'aventurier, l'impression évidente de ne pas passer un moment de douceur s'offre à nous pour une plongée en plein cauchemar porcin.
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ATTENTION SPOILERS : Un homme, coupable de plusieurs meurtres, erre dans la forêt. Guidé par une voix qui résonne dans sa tête, il arrive dans un hameau construit autour d’une ferme porcine. Il y rencontre une femme aussi torturée que lui. Leurs violentes natures réunies créent un monstre terrifiant.
Il faut bien avouer que le synopsis a de quoi susciter une certaine curiosité pour les esprits tordus. Tout démarre dans une forêt où se trouve un homme étendu par terre, guidé par deux voies, l'une invitant à prier Buddha Amida et l'autre l'éclairant sur la nature bestiale de l'espèce humaine. Cette espèce qui se plaît à tuer les animaux dans le but de se nourrir sans faire montre de sa psyché car oui, les animaux ont des ressentis, des états d'âme. Lui-même se demandera si les animaux, sous prétexte qu'ils soient dénués de parole et n'ont pas ce concept de foi par la prière, méritent de mourir. Propos végétarien de comptoir ? Il serait stupide de penser cela, tout comme il aurait été honteusement pitoyable pour Fujiwara de larguer ce prétexte là pour la promotion des tomates et des carottes.
En fait, Ido peut s'apparenter à une réflexion ésotérique sur la place qu'occupe l'homme face aux autres animaux, son impression de supériorité, ses rapports avec eux et sur quel paramètre l'espèce humaine est plus évoluée. Parce qu'elle est douée de parole ? Mouais, ça peut vite se discuter quand on en entend certains. Parce qu'elle a le concept de foi ? Ce n'est rien d'autre de plus que quelque chose forgé par l'Homme depuis son apparition. Croire en quelque chose pour justifier sa présence sur Terre et son existence après son passage sur celle-ci. La cinéaste aborde la religion avec beaucoup d'érudition citant un verset de l'Evangile selon Saint-Marc. Alors que l'assassin a déjà perdu son humanité en ayant été acteur de plusieurs meurtres sauvages, un second personnage entre en scène et cette fois-ci un inspecteur. Apparemment, ces deux personnages seraient issus directement d'Organ et leur cauchemar passé fait place à un nouveau, tout autant terrifiant. Irrémédiablement attirés tous les deux par un hameau, construit autour d'une ferme porcine, ils ont scellé leur destin. Le meurtrier jouant un air d'harmonica en se dirigeant vers ce lieu désolé n'est pas sans rappeler un style western sanglant et pervers.
Arrivéà destination, cette étrange ferme nous apparaît comme torturée avec sa galerie de personnages tout aussi grotesques les uns que les autres. Deux familles sont présentes : l'une s'occupant de l'élevage et de l'abattoir et la seconde tenant un commerce non identifié. Tous aussi répugnants les uns que les autres, on retrouvera un garçon de 9 ans surdimensionné subissant le gavage forcé du père, un attardé mental à couettes, une hermaphrodite aguicheuse, une femme haineuse et profondément dérangée, des employés bizarres dans leur comportement. Et au milieu de tout ceci, des porcs dans des enclos de taille réduite. Qui est le plus bestial des deux ? Le doute est franchement permis. Ce microcosme dérangé va amorcer sa plongée dans ses propres géhennes lors de l'arrivée du serial-killer, dans une mise en scène digne des plus gros OFNI du cinéma japonais.
D'emblée de jeu, Fujiwara fait voler en éclat sa structure narrative, brouille les repères de temps et de lieu pour nous confiner dans un hameau perverti par sa propre folie. La réalisatrice multiplie les différents points de vue, les transitions brusques dans l'esprit cyberpunk, s'autorise des mises en abîme de son propre procédé. Le spectateur, désarçonné par tant d'irrévérence narrative, suit Fujiwara dans son délire, n'ayant pas l'intention de le prendre par la main. Elle s'amuse à torturer l'esprit du cinéphile tentant de mettre un sens à tout ce gloubi-boulga et le pire est que ça fonctionne. Ido nous intéresse et parvient à nous garder devant l'écran. Bien sûr, il faut savoir rentrer dedans (ce qui n'est pas gagné pour certains) mais une fois prisonnier de ses griffes, on ne ressort que très difficilement.
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Outre son clin d'oeil au western crépusculaire, une certaine dimension théâtrale sera de la partie pour nos yeux ébahis. Elle se fera par l'intermédiaire de trois voyageurs étranges et épileptiques lisant un livre usé que nous supposons être l'histoire en cours. L'histoire est retransmise par écrit, suscitant l'envie et les tumultes cérébraux dévastateurs de ces spectateurs. Sept chapitres composeront l'aventure et parmi ceux-ci les cinq premiers chapitres vaqueront dans un style, si j'ose dire, plus sage, sans pour autant faire l'impasse sur les excentricités. Un employé mort caché sous une bâche, des visions sur des corps affreusement démembrés lors de scènes de crimes passés, un pugilat général où les protagonistes se font défoncer à coup de barre de fer, le viol de l'hermaphrodite par l'attardéà couettes avant qu'il ne se rende compte de son phallus, ce qui engendrera un tabassage dans les règles de l'art. On citera quelques relents émétophiles, un bras dévoré par un porc aux allures de zombie.
Ces séquences peu ragoûtantes ont le mérite d'apporter du punch à une première partie assez lente, apparemment plus lente qu'Organ. Néanmoins, les choses vont se corser sévèrement lors de la sixième partie où un plan se dresse, filmant avec insistance cette pompe dont l'utilité pratique reste obscure. On se doute qu'elle sert àévacuer l'eau du sous-sol par temps de pluie mais sa présence est perturbante. Un peu comme si elle faisait office de centre respiratoire du hameau, un coeur à part entière expulsant eau et sang d'une ferme semblant vivante. Le sous-sol de l'abattoir fera office de centre névralgique où les personnages sombreront dans les entrailles d'une bête cauchemardesque.
En celle-ci, une fusion s'est opérée entre le serial-killer et la femme et tous les deux ont mis au monde une terrifiante créature tout droit issue de la capitale des enfers : Pandemonium. Ces deux derniers chapitres verseront dans une sauvagerie sans nom, tant physique que psychologique. Les personnages, tels des poupées de chair désarticulées, subiront le courroux du monstre, alors que la femme est hantée par ses propres démons intérieurs. Ses hallucinations apocalyptiques donneront naissance à plusieurs scènes emblématiques clouant le spectateur à son propre siège, au piège d'un Armageddon sanguin, viscéral et proprement indescriptible. Sans aller jusqu'à des sommets monumentaux de trash, Ido ne lésine pas sur les séquences sanguinolentes dans une atmosphère au parfum de suc gastrique et de fosse septique. C'est sale, vétuste. Fujiwara se permettra l'excentricité de verser fréquemment dans de la comédie. Point auquel je n'adhère pas car le film aurait gagnéàêtre davantage plus sombre s'il n'y avait pas de pseudo scènes comiques qui ne sont là que pour apporter une tonalité burlesque qui n'aurait pas eu lieu d'être. Ok ça peut déranger de mêler la comédie au thriller mais bon !
Dans un univers un peu similaire, je me permettrais de faire un léger rapprochement avec Calvaire se déroulant lui aussi dans des décors champêtres sans, à aucun moment, écarter son nihilisme stratosphérique. Ca amplifie le malaise et c'est là-dessus que Fujiwara aurait dû jouer.
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Ce point est heureusement la seule réelle faiblesse car l'ensemble d'Ido est une pièce infernale dont les décors ne diront pas le contraire. Tout est poisseux, repoussant, aucune réelle hygiène où les hommes semblent vivre comme des bêtes. Encore une fois, c'est sale et vétuste. L'abattoir sous-terrain tachetée de bâches ensanglantées a le mérite d'oppresser. Oppression également renforcée par des plans souvent serrés, ainsi que par du surréalisme gore type de ce que les japonais savent faire. La mélodie principale jouée à l'harmonica parvient à créer quelque chose d'austère, d'inquiétant. Enfin, l'interprétation des personnages pourra diviser car il y a toujours ce jeu surjoué qui agace.
On citera les inconnus Masami Akimoto, Masanobu Asakawa, Mito Awano, ainsi que Kei Fujiwara en personne. La prestation majeure sera à remettre bien sûr à la malade mentale dont la cruauté atteindra une explosion de furie après la première heure.
Sans en aucune manière que ce soit de dénigrer Ido, il faut bien avouer que le long-métrage est assez particulier, difficile à cerner et à appréhender. Ceci fait que l'on ne pourra qu'aimer ou détester l'expérience proposée. Une expérience, à mon sens renversante car si la première heure est un peu lente, les deux derniers chapitres assomment littéralement le spectateur, médusé par la violence physique et psychologique élevant Ido comme une représentation infernale de l'Enfer sur Terre. Un Enfer symbolisé par une ferme porcine où toute humanité semble avoir disparu depuis toujours. Si la mise en scène éclatée et le scénario ambiguë diviseront indubitablement, il faut voir cette pellicule, avant tout, comme un pur OFNI, un énorme délire cinématographique ultra-violent. Sans vouloir être misogyne, il est étonnant de réaliser qu'une femme puisse être une des égéries du cinéma japonais déviant.
La femme, considérée comme douce et innocente dans l'inconscient collectif, a pris les traits d'une démone des temps modernes torturant l'être humain, le transformant en bête tout en le remettant au même plan que les animaux envers lesquels il se croit plus important. Se voyant nanti d'un second niveau de lecture intelligent officiant dans la religion, l'ésotérisme et la psychanalyse, Ido incarne la neurasthénie dévastatrice qu'il conviendra de ne pas mettre entre toutes les mains. "L'enfer c'est d'être né", tel est le credo d'une femme larguée en pleine déshérence méphistophélique. Même si le trait comique est inutile et dénature un ensemble qui aurait pu atteindre le chaos généralisé, je dois bien reconnaître avoir une énorme sympathie pour ce Nécronomicon japonais que je me permettrais de noter de manière très généreuse. Se pose la question suivante : Qui de l'homme ou du porc est le plus intelligent ? En 2018, cette question mérite d'être posée et je dois reconnaître avoir ma petite opinion personnelle là-dessus. Aussi, pour clôturer la chronique, je me permettrais de citer le fameux passage en question de l'Evangile scandé par la charmante psychopathe.
«– Si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la : mieux vaut pour toi entrer manchot dans la vie, que de t’en aller, ayant deux mains, dans la géhenne, dans le feu inextinguible.
- Et si ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-le : mieux vaut pour toi entrer boiteux dans la vie, que d’être jeté, ayant deux pieds, dans la géhenne.
- Et si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le : mieux vaut pour toi entrer borgne dans le royaume de Dieu, que d’être jeté, ayant deux yeux, dans la géhenne,
- là où leur ver ne meurt point, et où le feu ne s’éteint point. »
(Évangile de Marc, 9,43-46)
Je vous souhaite une bonne séance.
Note : 15/20
Taratata