Genre : Drame, romance (interdit aux - 12 ans)
Année : 1980
Durée : 2h02
Synopsis :
Dans un contexte âpre et violent, trois jeunes motards de cross rêvent d'ascension sociale et de romance avec la tenancière du stand de frites également à la poursuite d'une vie meilleure.
La critique :
On ne présente plus Paul Verhoeven, ni sur ce blog, ni dans le monde même du cinéma. "Le Hollandais violent", comme il fut parfois surnommé durant sa période américaine, a su se forger au cours du temps une véritable réputation de réalisateur culte. Réalisateur culte qui fut souvent sous le feu des projecteurs, au centre de la polémique par son côté jusqu'au-boutiste dans le traitement choisi. Un traitement frontal et violent qui suscita et suscite encore le malaise aujourd'hui. Pour autant, la filmographie du bonhomme est pour le moins éloquente et bon nombre de ses oeuvres sont aujourd'hui rentrées dans le cercle très restreint des classiques du cinéma.
On citera Total Recall, Robocop ou encore Starship Troopers qui reviennent systématiquement. Et comme vous le savez probablement tous, il y aura toujours des films qui reviendront moins souvent, non sans qu'ils n'aient rien à envier aux chefs d'oeuvre de la liste.
C'est donc le cas de Spetters, sorti en 1980 à l'époque oùVerhoeven exerçait encore dans son pays natal qui est, je le rappelle, la Hollande. Une pellicule que certains considèrent comme le film maudit du réalisateur car il sera à l'origine d'un scandale stérile, dont on peut faire un rapprochement très sensible avec Basic Instinct décrié par de (hum... hum...) intelligentes féministes. De fait, Spetters sera taxé de misogyne, d'homophobe et d'anti-handicapés. En soi, un sympathique procès d'intention dans la pure lignée de ce que l'on peut observer aujourd'hui avec les petits bras armés de la bien-pensance. Rappelons quand même qu'il faudra attendre 12 ans pour que le film puisse être visible en salles en France. En gros, comme je l'ai dit, nous tenons là un autre film polémique qui peut être rajoutéà la, déjà, très longue liste du blog. Maintenant, direction la critique.
ATTENTION SPOILERS : Périphérie de Rotterdam, Pays-Bas, 1980. Rien, Eef et Hans sont trois jeunes hommes issus de la classe ouvrière qui rêvent de gloire et de fortune, unis par leur passion du motocross et leur admiration pour la star nationale de ce sport, Gerrit Witkamp. Quand la belle vendeuse de frites Fientje s'installe dans leur ville, elle aussi rêvant de fortune, elle jette son dévolu sur celui des trois amis semblant promis au plus bel avenir, Rien. Mais suite à un accident, celui-ci perd l'usage de ses jambes. Fientje décide alors de séduire Eef qui, de son côté et en secret, s'enrichit en dépouillant des gigolos.
Autant être clair, ne vous attendez aucunement à un film où vous pourrez observer des courses avec son lot de bolides s'entrechoquant, de rivalités sportives et autres grosses ficelles un peu trop revues. Cet univers peu exploité du moto-cross va se développer comme une toile de fond pour mettre en scène un vrai drame social rude dans son propos. Un drame social d'une terrible noirceur qui parvient encore à créer un indicible malaise au visionnage. Pourtant, le postulat de départ n'est pas spécialement à même de tourmenter le spectateur. Pour résumer de manière grossière, trois jeunes issus du prolétariat rêvant de gloire et de richesse et faisant la rencontre d'une tenancière de friterie.
Casez maintenant ce postulat dans les mains d'un Paul Verhoeven et son style hors norme et vous obtenez probablement l'un des drames les plus nihilistes des années 80. A travers ce récit, simple en apparence, Verhoeven va s'amuser à aborder tout un tas de thématiques sociétales de qualité.
En démarrant son récit dans une relative précarité occidentale, nous sommes amenés à côtoyer la classe ouvrière dont les aspirations ne sont rien de plus que de vouloir se sortir des conditions boueuses dans lesquelles ils sont enfoncés. Cela nécessite logiquement de passer par la gloire et la fortune. A travers un oeil d'éphèbe, nous sommes invités à partager les rêves d'émancipation de ces jeunes désabusés qui ne se reconnaissent pas dans la société où ils vivent et qui n'ont d'autre choix que de se réfugier dans la moto-cross. Ces mêmes jeunes voient une vie marquée par un milieu parental loin d'être épanouissant pour certains tels que mauvais traitements, désintérêt et manque de confiance envers leur progéniture. Ça laisse songeur mais ceci n'est que la fine partie émergée de l'iceberg.
Avec ce tout petit microcosme, Verhoeven nous offre le reflet d'une société future où l'individualisme et le nihilisme en seront les fers de lance, où l'entraide ne sera que partielle, voire carrément absente. Ce que l'on pourrait croire comme une forme d'amitié avec ses rires, ses boutades et ses soirées partagées n'est qu'une façade erronée. Rien, Eef et Hans, se fréquentant pourtant, ne semblent pas présenter de réels atomes crochus et semblent être là par pur hasard. On se focalisera surtout sur Hans que l'on peut voir comme la brebis galeuse souvent rabrouée, moquée mais avec retenue par Rien et Eef. Un exemple tout bête : Eef ne semblant pas faire preuve de professionnalisme et d'une réelle envie pour réparer la moto de Hans. Secundo, à l'hypocrisie des rires et des moments partagés, s'additionne une compétition malsaine. Un exemple tout bête : qui fera jouir le plus la fille qu'ils ont ramenée d'une soirée un peu arrosée ?
Certes, ça semble être des détails sans grande importance et même sans être dénués d'une pointe d'humour. Pourtant, ils sont le reflet d'un bouleversement majeur qui symbolisera l'arrivée de Fientje dans leur vie. Cette tenancière de friterie aspire aux ambitions de gloire et de fortune. Elle cherche à s'émanciper de la caravane puant la frite et la croquette dans laquelle elle vit et utilisera l'arme imparable qui est son charme, afin de séduire, premièrement, Rien promis à un bel avenir. On peut donc voir que Basic Instinct n'a rien inventé dans la filmographie de Verhoeven, en ce qui concerne la femme fatale. Celle-ci avait déjà déposée ses griffes dans Spetters mais le traitement est tout autre.
Là où Catherine Tramell avait des ambitions sanguinaires démesurées, il n'en est rien ici car Fientje a pour objectif de vivre une vie luxueuse sans recourir à quelconque acte de violence. Là oùSpetters sera très subtil et force le respect est dans la manière d'amener les événements. Malgré l'omniprésence de Fientje dans la vie de ces trois garçons, ceux-ci provoqueront leur propre dégénérescence, obnubilés par le charme inhabituel de la femme sans que ses actes ne soient révélateurs de la chute mentale de ces éphèbes. Son objectif de vipère vénale n'est pas de tuer mais de vivre dans une certaine forme d'opulence avec un riche mari. L'air de rien, difficile de faire preuve d'hostilitéà son égard et c'est un véritable tourbillon de sentiments contradictoires qui résonneront en nous face à cette mante religieuse. On passera de Rien, rendu handicapéà vie à Eef dépouillant les gigolos afin de partir au Canada avec elle mais qui, après un viol collectif, verra émerger une homosexualité refoulée.
De manière ironique, Hans aura un avenir, plus ou moins, meilleur mais qui se bâtira sur les ruines de la vie gâchée de ses pseudo-amis. On peut donc voir en Hans une relative ascension, une gratification personnelle s'étant faite aux dépens des autres et pis, de ses proches. C'est l'essence même du capitalisme corrompu et opportuniste et c'est là que Spetters bouleverse tant. C'est dans son nihilisme, son absence totale d'empathie à tous les étages tout en clôturant le spectacle avec un faux happy-end laissant plus un goût très désagréable en bouche qu'un réel espoir. Quoi qu'on en dise, Spetters est un film beaucoup plus profond qu'on ne peut le penser et tout cela se fait au service d'une réalisation sans temps morts où la notion de ne pas voir le temps passer, prend ici tout son sens.
Le film prend à la gorge face à la déréliction montant lentement mais sûrement tout en surprenant le spectateur. Difficile de comprendre les critiques admises au moment de sa sortie (mais il ne faut rien espérer du sens critique des bien-pensants) car Spetters met le doigt sur de gros tabous. L'homophobie, à travers Eef au début, existe bien dans notre société et la montrer de manière si frontale, c'est surtout la dénoncer. Je ne dirai rien sur la présupposée dimension anti-handicapés, si ce n'est que penser ça est révélateur d'une stupidité transcendant les galaxies.
Enfin, pour la dimension misogyne, on navigue tout autant dans l'ineptie dont avait souffert par la suite Basic Instinct. Le fait de représenter des garçons débauchés qui s'enorgueillissent de relations sexuelles libertines, et matant les filles n'a rien de honteux vu que c'est une réalité. De même que des femmes fourbes agissant par pur but opportuniste pour être heureuses. Spetters donne un coup dans la fourmilière en représentant une cruelle vérité qui n'est pas bonne à entendre mais qui a largement sa place au sein de notre société déshumanisée.
Si l'on s'en tient à l'aspect esthétique, rien qui ne saute vraiment aux yeux. L'image est belle sans être transcendante mais on focalisera plus notre attention sur la bande sonore rock'n'roll de toute beauté. Pareil pour la prestation des acteurs dont la palme revient sans surprise àRenée Soutendijk dans la peau de cette Fientje au regard angélique mais au coeur de glace. L'actrice peut bien se targuer de nous fasciner et de nous offrir l'une des prestations féminines les plus mémorables du cinéma, du moins à mon goût bien évidemment. Le reste du casting s'en sort tout aussi bien avec Hans Van Tongeren, Toon Agterberg, Maarten Spanjer, Rutger Hauer ou encore Peter Tuinman. Leur performance est toujours juste et crédible en tout point.
Donc, en conclusion, vous aurez aisément compris que Spetters est un chef d'oeuvre de plus à ranger dans la belle filmographie d'un réalisateur qui aura décidément marqué au fer rouge le cinéma. Plus qu'une simple lutte pour séduire une femme à la beauté démoniaque, on a avant tout une analyse rigoureuse de la lutte des classes et du devenir d'une société où les individus en viendront à agir uniquement pour leur propre compte, quitte à marcher sur leurs proches et à réfréner leurs pulsions telles que l'amour, la générosité et la spontanéité. Spetters est un drame social d'une noirceur peu commune. Une oeuvre inconfortable, bouleversante et nous faisant cogiter un certain temps après le visionnage. Etonnant que l'interdiction soit passée à - 12 ans car on retrouve des scènes sexuelles très explicites.
On pense à cette fellation filmée sans trop de retenue. Quoi qu'il en soit, malgré une certaine confidentialité, Spetters n'a rien à envier aux piliers qui ont fait la renommée de Verhoeven auprès du grand public. Une prestation d'une superbe actrice sous fond de décadence physique et morale que nous ne sommes pas prêts d'oublier.
Note :17/20