Genre : Thriller, horreur (interdit aux - 16 ans)
Année: 1973
Durée : 1h32
Synopsis :
Un soir, Danielle Breton ramène un homme chez elle. Au matin, l'homme est poignardé alors qu'une journaliste, Grace Collier, assiste au meurtre de sa fenêtre. Grace prévient la police mais aucun cadavre n'est découvert. Convaincue de ce qu'elle a vu, elle décide de mener l'enquête en ignorant que Danielle Breton a en réalité une sœur jumelle, Dominique.
La critique :
Assurément, Brian De Palma, que nous ne présentons plus sur ce blog, est l'un des plus célèbres réalisateurs qui fait débat en termes de qualité cinématographique. Si on lui doit des grands classiques tels que Carrie au Bal du Diable, Blow Out ou encore L'Impasse, on retrouvera certains travaux perfectibles comme Mission To Mars ou Le Dahlia Noir. Exit ces films qui ont, pour la plupart, été déjà chroniqués et focalisons nous sur le cas de Soeurs de Sang. Il est vrai que ce n'est pas le film qui sera ressorti en premier lorsque nous abordons la filmographie du réalisateur mais il s'agit pourtant d'une oeuvre importante vu que c'est par cette pellicule que la carrière hollywoodienne de De Palma sera véritablement lancée. Il va sans dire que le New Yorker en fera une excellente critique au moment de sa sortie et que le film remportera un franc succès dans son pays natal, au contraire de la France où l'accueil sera plus fébrile.
A cela vous rajoutez le fait que Soeurs de Sang aura son petit quart d'heure de gloire dans les festivals avec une nomination au prix du meilleur film d'horreur lors des Saturn Awards de 1975 et une projection hors compétition lors du festival international du film fantastique d'Avoriaz en 1976. Bien évidemment, il était logique que le Hollywood contemporain s'en mêle en faisant un remake DTV en 2006 qui serait apparemment minable. Rien d'étonnant, me direz-vous ! Ce film posera déjà les bases du style si reconnaissable du cinéaste qui ne s'est pas caché avoir été influencé par de nombreux génies et classiques du cinéma. Mais je reviendrai sur tout ça plus tard dans la chronique.
L'heure est venue maintenant de voir si De Palma avait déjà une certaine érudition derrière la caméra à l'orée de son entrée au sein de la célébrité.
ATTENTION SPOILERS : Danièle Breton rencontre Phillip à un jeu télévisé. Elle le séduit, le ramène chez elle puis couche avec lui. Le lendemain, l'amant entend une dispute entre Danièle et sa soeur jumelle. De sa fenêtre, la journaliste Grace Collier voit Danièle l'assassiner sauvagement. Elle ... ou sa soeur jumelle ? Grace appelle la police, qui ne la croit pas, et décide donc de mener sa propre enquête. Seulement, derrière ce meurtre se cache une incroyable et monstrueuse histoire d'amour qui va vite se transformer en cauchemar pour la journaliste.
A travers ce récit, c'est l'occasion pour De Palma de s'inspirer d'un article de presse sur des soeurs siamoises en URSS. Plutôt original de mettre en scène ce genre de dimension anatomo-pathologique dans un thriller mais pourquoi pas. Comme je l'ai dit auparavant, Soeurs de Sang amène déjà les bases du style du réalisateur sans pour autant s'émanciper de ses solides références. De fait, il s'agit d'un hommage du réalisateur au grand Alfred Hitchcock. Etrange me direz-vous de rendre hommage au maître du suspens en réalisant un thriller horrifique. Pourtant, je vous prierai de ne pas vous attendre à un simple film d'horreur car, pour tout vous dire, difficile de le classer dans la mention épouvante/horreur. Le fait est que le cinéaste décide d'opter en partie la carte de l'enquête policière en mettant en scène une journaliste désinvolte et hostile au corps policier qu'elle juge inutilement brutal.
Ennemie de la hiérarchie policière par ses articles fustigeant la police, elle se devra malheureusement pour elle d'être obligée de les appeler lorsqu'elle verra sa voisine d'en face en état de folie furieuse massacrer un homme qui lui a servi de coup d'un soir. Première allusion àHitchcock par le biais de cette séquence qui rappelle sans surprise le génialissime Fenêtre sur Cour en plus trash. Evidemment, l'intervention de la police n'aboutira à rien vu que toutes les preuves seront dissimulées plus ou moins rapidement avec l'aide de son étrange ex-mari.
Prise pour une conne paranoïaque par les deux inspecteurs, Grace va décider de mener sa propre enquête pour mettre à jour une histoire qui risquera fort bien de l'entraîner dans les méandres de la folie humaine saupoudrée d'aberrations anatomiques rappelant le sublissime Freaks et d'une certaine dose de fantastique difficilement perceptible mais qu'une petite voix en nous en ressent la présence. Il apparaît rapidement que Danièle a une soeur jumelle appelée Dominique mais celle-ci ne semble guère présente. Un peu comme si elle était cachée, indésirable. Cette dimension scénaristique, déjà révélée par la scène du premier meurtre, n'est pas sans rappeler l'excellentissime Psychoseétant axé autour du dédoublement de personnalité. Dans un jeu du chat et de la souris, Grace va ouvrir des portes qu'elle n'aurait peut-être dû pas ouvrir. Quelque part, Grace apparaît comme ce reflet de la véritable essence du journalisme qui est de dévoiler la vérité juste, quitte à prendre des risques.
Elle incarne la déontologie manquante à nombre de journalistes actuellement, privilégiant la carte du buzz et du sensationnalisme, quoique Grace ne se cache pas d'être contente d'avoir flairée un bon coup. Un réalisme subtil témoignant d'un épanouissement personnel inhérent à tout journaliste étant sur une affaire qui risque de lui apporter une certaine notoriété dans le milieu.
Une autre thématique chère au réalisateur, que nous pourrons voir dans d'autres titres comme Blow Out, est cette dénonciation du voyeurisme propre à tout un chacun. L'exemple le plus frappant se fera dès le début de la projection avec une émission télévisée humoristique du nom de Peeping Tom, rappelant Le Voyeur de Michael Powell. De Palma en profite déjà en 1973 pour vilipender une société ne sachant pas s'empêcher de s'immiscer dans la vie des autres et de scruter leurs moindre faits et gestes. Une infantilisation totale soulignée par la dimension comique comme si filmer de manière malsaine les gens était un simple jeu pouvant être retransmis à grande échelle pour faire jouir les imbéciles de service. Bref, Soeurs de Sang est une oeuvre plus profonde qu'elle n'en a l'air et qui, sous ses travers assez rudimentaires, finira par plonger dans l'horreur psychologique.
L'ex-mari de Darlène, Emile Breton, se révélant être le directeur d'un asile expérimental, qui n'hésitera pas à conditionner mentalement Grace pour éviter qu'elle ne révèle ses sombres desseins. Un directeur que certains rapprocheront beaucoup du docteur Caligari.
A travers une histoire pour le moins glauque, De Palma nous prend avec lui pour un petit voyage au sein des affres de la neurasthénie et de l'hébéphrénie mentales. Qu'on se le dise, le film est prenant et parvient à susciter sans trop de problème un réel intérêt chez le spectateur qui compte bien vouloir avoir le fin mot de toute cette histoire. L'intrigue est riche en révélations et on peut amplement percevoir que le récit déviera dans une autre dimension que la simple enquête. De Palma met en place une ambiance trouble, difficilement apprivoisable et qui devrait logiquement plaire aux passionnés de thriller sombres. L'exemple le plus frappant se faisant à l'asile au détour d'un reportage en noir et blanc de la genèse de l'histoire de Danièle et Dominique. Pourtant, on en vient à se questionner sur la nécessité d'une interdiction aux moins de 16 ans qui n'a pas vraiment lieu d'être à notre époque.
Les séquences de violence physique sont peu nombreuses et se démarquent par leur côté kitsch de la couleur sang tendant plus vers la peinture rouge de chez Auchan. Oui, on pourra dire que c'est à cause de la dernière partie mais celle-ci justifie vraiment ce haut niveau d'interdiction ? Je reste pour le moins sceptique là-dessus.
Pour ce qui est de l'aspect esthétique, De Palma ne nous apportera certainement pas l'émerveillement visuel que certains réalisateurs savent faire. L'image n'est pas particulièrement belle, de même que les décors assez sommaires. Par contre, on sera nettement plus intéressé par les audaces de mise en scène. Je pense bien sûr au procédé du split screen, présentant deux images séparées à l'écran. Ce qui fait que le spectateur peut alors suivre de façon simultanée deux points de vue différents. Une audace payante car elle amplifie le suspense et la sensation d'étouffement.
Au-delà de ça, on retrouvera des plans chers au réalisateur et un cadrage exemplaire. La bande sonore parvient à apporter cette petite tonalité propre au malaise. Rien d'étonnant vu qu'il s'agit de Bernard Herrmann qui a composé la musique de plusieurs films de Hitchcock. Pour ce qui est du casting, l'ensemble est bien foutu avec Margot Kidder, Jennifer Salt, William Finley, Charles Durning ou encore Mary Davenport. Chaque personnage est bien intégré dans son jeu d'acteur, la mention étant à faire àWilliam Finley pour son interprétation dantesque de ce directeur d'asile et ex-mari de Danièle.
En conclusion, Soeurs de Sang est indubitablement un film de qualité certaine pour passer une bonne soirée. Au travers de cette première oeuvre majeure de la filmographie du cinéaste, on retrouve les principaux ingrédients qui feront partie intégrante du style du bonhomme, tant en thématiques qu'en réalisation. On appréciera ce récit troublant à l'intensité constante et cette fin sujette à moult interprétations quant à la finalité de cette histoire macabre. Si l'on pourra pester contre une relation un peu trop floue entre Emile Breton et Danièle et quelques petits soucis de profondeur scénaristique, on ne peut qu'être admiratif de la projection sans nécessairement l'encenser et s'extasier à la fin. A ce sujet, De Palma frappera beaucoup plus fort avec son Carrie au Bal du Diable.
Je n'irai pas jusqu'à dire que Soeurs de Sang est une oeuvre majeure du cinéaste mais elle a au moins le mérite de nous offrir de l'originalité, une irrévérence propre aux années 70 sans nous prendre pour des imbéciles avec les ficelles que nous connaissons tous aujourd'hui grâce à cette vague d'incapables "passionnés" du cinéma horrifique.
Note :14,5/20