Genre: Comédie, Drame
Année: 1998
Durée: 140 min
Synopsis: Les soeurs Jordan mènent la vie d'une famille américaine typique de la banlieue chic du New Jersey et cherchent toujours le bonheur. Joy n'a pas encore rencontré l'homme parfait, Trish, son aînée, est persuadée de l'avoir trouvé. Quant à Hélène, auteur à succès, elle est peu à peu envahie d'une sourde angoisse. Les zones d'ombre de leur vie vont refaire surface et, peu à peu, les secrets les plus intolérables vont éclater au grand jour.
La critique :
Happiness est le troisième film (long-métrage) du cinéaste américain Todd Solondz, il succède à Fear, Anxiety & Depression et Welcome to the Dollhouse, et, précède Storytelling. Humour noir et cynisme sont les maîtres mots du cinéma de Solondz, c'est en effet ce qui caractérise la force et l'unicité de ce cinéaste méconnu et pourtant tellement important et intéressant. Il faut savoir qu'Happiness connaîtra une suite 10 ans après, et intitulée Life During Wartime, qui intégrera le concept de Palindromes, qui consiste à faire interpréter des acteurs différents pour un même personnage. Le cinéaste Robert Bresson, pour son point de vue cynique assez unique, semble être une influence majeure de Solondz.
Regarder un film de Todd Solondz nécessite un certain savoir-faire, si l'on souhaite l'apprécier du moins. Effectivement, il faut être capable d'épouser sa vision et d'adopter un point de vue cynique pour pouvoir rire de l'ironie des situations parfaitement dramatiques que subissent les personnages de ses oeuvres. Happiness est un film choral, qui met en scène la vie de plusieurs personnages issus de "la bourgeoisie bien-pensante" du New Jersey, c'est donc un film omniscient qui représentera plusieurs instants de la vie de ses personnages.
En ce point, le film est totalement amoral et ne vise aucunement à condamner les actes de ses personnages ou ce qu'ils sont, mais, ne les encouragera pas non plus. En ce sens, Solondz considère que la notion du bien et du mal est totalement acquise par son spectateur, il n'a donc pas à insister sur cela et pourra donc s'en servir pour prendre du recul sur des actions et donc les ironiser, et en rire ; tout en déstabilisant le spectateur et en le mettant mal à l'aise, mais là aussi tout dépend du spectateur et de son ouverture d'esprit.
Todd Solondz laisse le spectateur comprendre par lui-même le lien entre les personnages et leurs caractérisations, sans insister lourdement dessus comme le ferait un film classique. Cet élément permet de comprendre que le film présente aussi un niveau de subtilité, qui pourrait lui être omis par certains spectateurs en raison de son ambiance de malaise omniprésente qui pourrait être perçue comme lourde par certains. Mais finalement, le film reste, en dépit de ce qu'il montre, incroyablement subtil, le glissement entre les séquences, les situations s'enchaînent sans ambages, ce qui pourrait être un des aspects les plus complexes pour ce genre de film.
Les films de Todd Solondz sont les seuls à avoir ce tel niveau d'humour noir et de cynisme, si bien qu'après avoir découvert Happiness (même pendant ce premier visionnage), le seul film qui pourrait soutenir la comparaison, pour moi, serait le Dogville de Lars von Trier, dans le paroxysme de noirceur de cet humour cynique si singulier. Il y a pourtant d'autres cinéastes assez habiles dans l'humour noir, comme le cynique Woody Allen, avec par exemple Blue Jasmine, cependant, le cinéma de Woody Allen reste toujours distingué et classe, bien que l'humour soit noir, son style n'explore pas d'aussi loin la noirceur de la nature humaine pour s'en moquer, comme le ferait un Todd Solondz ou un Lars von Trier. Nous pouvons aussi citer Yorgos Lanthimos, dont les films explorent des univers dystopiques avec absurdité et cynisme, mais là aussi, les thèmes ne sont pas aussi provoquants, politiquement incorrects et tabous, ce qui leur enlève au moins une unité de noirceur dans leur humour, en comparaison de ceux de Solondz et Trier.
Concernant Happiness, le but de Solondz était de souligner l'absurdité de la bourgeoisie bien-pensante du New Jersey (État dont Solondz est natif) en exposant que les personnes au-dehors peuvent se révéler être des monstres lorsque l'on gratte un peu le vernis. Mais plusieurs thématiques sont exposées à travers les situations et les personnages qui, même en défiant la morale, ne sont pas dépeints comme profondément mauvais, ici, nous sommes face à un portrait réaliste de l'humanité, en effet, chacune des réactions des personnages est parfaitement réaliste et colle à la perfection avec la façon dont se comportent les gens dans la vraie vie.
La seule chose qui rend le film et le traitement de ses personnages antipathiques, c'est la fermeture d'esprit de ses spectateurs, incapables d'accepter l'exploration intime et réaliste de personnages "imparfaits" car comme les Êtres Humains de la réalité, ils ne sont pas aussi lisses que les personnages de cinéma classique et grands publique qui se conforment à la bienséance. Seulement, dans la réalité, les personnes ont leurs défauts, certains comme Joy ratent leurs vies et ne sont que des échecs minables et risibles aux yeux de leur entourage et d'autres ont des pulsions sexuelles incontrôlables, synonymes de honte et de tabou dans notre société, comme par exemple Allen et Bill Maplewood.
La mise en scène est simple puisqu'elle suit un schéma assez classique et répétitif, tout en donnant une allure de sitcom au film, ce qui n'est évidemment pas anodin. Mais elle reste parfaitement précise et maîtrisée, en passant généralement d'une séquence à l'autre, et en ajoutant une musique frivole et légère en contraste avec la tragédie des situations, puis en montrant un plan d'ensemble des personnages avant que le dialogue commence ; puis, en passant par la suite sur un gros plan sur le visage ou la poitrine du personnage qui prendra la parole, puis encore en effectuant des champs/contre-champs, avant de s'éloigner à nouveau en montrant un plan d'ensemble des personnages, comme ceci :
Donc, même si le film ne crée aucune innovation technique ou aucune originalité en termes de langage cinématographique, la mise en scène reste assez classique et froide, mais elle est parfaitement adaptée au film et à son genre, on ne peut donc pas lui reprocher ce côté classique, puisqu'il sert parfaitement son récit. Le film est donc parfaitement bien réalisé, de manière simple et efficace. Et, pour contrebalancer avec la simplicité du langage cinématographique de ce film, il sert un scénario d'autant plus complexe, car même si les personnages sont très réalistes dans leurs caractérisations, il est très dur de calquer la réalité et de savoir la retranscrire dans un film (ce que fait parfaitement le réalisateur Cristian Mungiu, d'ailleurs), mais la complexité scénaristique du film provient aussi de son humour, car il est très dur de faire rire au cinéma, mais aussi à la manière de coordonner les situations entre elles.
Il y a aussi un point très important à mettre en lumière lorsque l'on évoque Happiness, c'est la direction des acteurs, qui est faite avec une justesse et une précision admirable, le moindre regard, la moindre ligne de dialogue sont joués avec une justesse déconcertante, il y a un vrai travail là-dessus qui reste ahurissant et montre que Solondz est un grand réalisateur. Je tiens à insister dessus parce que clairement, c'est vraiment un travail admirable.
Happiness porte, finalement, merveilleusement bien son nom, déjà parce qu'il sert à rendre une séquence assez comique, mais surtout, parce qu'il montre que le seul but de l'existence humaine est la poursuite du bonheur, un bonheur qui reste inaccessible dans une société instable qui nous fait défaut, où autrui, comme soi-même, sont des ennemis qui nous empêchent d'accéder à ce même bonheur tant convoité. Un regard désabusé mais juste sur le monde, son fonctionnement et la condition humaine.
Il est très dur de trouver des films comme ceux de Solondz, en termes de comédie à l'humour aussi cynique, je n'ai trouvé que Dogville dans ce style et ce n'est pas une comédie. Mais pour ceux qui auront apprécié ce film et qui souhaitent en voir d'autres comme celui-ci, je peux également conseiller Welcome to the Dollhouse du même réalisateur et Storytelling, qui est beaucoup plus cruel, par contre.
Note: chef d'oeuvre