Genre : Horreur, épouvante, fantastique (interdit aux -12 ans)
Année : 1958
Durée : 48 min
Synopsis :
Un peintre quitte sa famille pour exercer son talent d'artiste dans les maisons de ses riches clients. Un samouraï solitaire, sans foi ni loi et apprenti du peintre, tombe amoureux de sa femme et la viole. Par la suite, il va assassiner le peintre ainsi que tous ses servants. Mais, de l'au-delà, le peintre et ses fidèles serviteurs préparent leur revanche sur le samouraï pour tenter de sauver la veuve éplorée et son enfant.
La critique :
Plus d'une fois, j'ai scandé la confidentialité assez marquée du vieux cinéma japonais de part chez nous. Certes, nous n'avons pas à nous plaindre mais la distribution européenne a quelques approximations fort marquées. Ainsi, plusieurs réalisateurs de renom sont condamnés à sombrer dans les affres de l'oubli. J'avais déjà fait mention de Tadashi Imai, jouissant pourtant d'une place éloquente dans le Septième Art nippon, ne voyant pas ses oeuvres éditées en Europe à l'exception de deux films dont Contes Cruels du Bushido qui a pu bénéficier d'une chronique quasiment inédite dans la blogosphère cinématographique française. Et encore ! L'édition ne proposait que des sous-titres anglais. Par le biais de passionnés, des sous-titres français ont pu circuler, aidant à la compréhension du récit.
Aujourd'hui, je vais aller encore bien plus loin en vous parlant d'un des réalisateurs majeurs nippon les moins connus chez nous. Goro Kadono vous connaissez ? Je ne serais pas surpris si vous répondiez par la négative. Ce n'est guère étonnant car il est tout autant inédit dans nos contrées, sauf que ses oeuvres sont encore plus rares. Pourtant, c'est oublier qu'il fut un pan majeur du kaidan-eiga à l'époque aux côtés de Nobuo Nakagawa, réalisateur du culte Jigoku popularisant le genre avec Les Fantômes du Marais de Kasane. C'est par le biais de cette dernière chronique que j'ai brièvement mentionné l'existence de Kadono, après avoir appris son existence sur un article consacré au kaidan-eiga mentionnant le métrage chroniqué ici-même.
On sait très peu de choses sur ce cinéaste. Aucune page sur Wikipédia, ni quelconque information sur son histoire. Tout juste sait-on qu'il est toujours en vie avec 105 années au compteur. Belle vitalité Monsieur ! Si sa filmographie est plutôt bien fournie, ses oeuvres les plus "connues" officient dans le registre de l'épouvante. Avec une pointe de cocasserie (parce qu'on ne se mentira pas que quasi personne ne connaisse ce bonhomme en Occident), on citera Ghost Story of A Woman Diver, Ghost Stories of Wanderer At Honjo et, dans un autre registre, Decisive Battle at Kuroda Castle. Des titres qui n'ont même pas pu bénéficier d'une traduction en français. Certains sont si confidentiels que même la traduction en anglais n'existe pas. Au vu de ma curiosité innée envers ce pan cinématographique, il fallait que j'en sache plus, que je puisse visionner au moins une pellicule.
Le téléchargement n'a rien donné, de même que les torrent. Un peu résigné, je tapais par hasard sur YouTube le nom japonais du moyen-métrage d'aujourd'hui et, jour de gloire, il était disponible avec des sous-titres... espagnols. Son nom ? Kaidan Chibusa Enoki, traduit en Ghost of Chibusa Enoki. Pourtant, une traduction française existerait bien sous le titre de Histoires Fantastiques de l'Arbre-Mère, toujours selon l'article en question. N'espérez pas trouver quoi que ce soit en tapant la traduction dans Google car vous ne trouverez que des images de bêtes arbres. Passer par le nom du réalisateur ou le titre anglais ou japonais sera le seul moyen possible. Compte tenu de tout ceci, il n'est pas étonnant qu'il n'y ait aucune chronique quelconque de ce réalisateur sur la Toile française. Et puis Taratata est arrivé pour remédier à tout cela.
ATTENTION SPOILERS : Un peintre quitte sa famille pour exercer son talent d'artiste dans les maisons de ses riches clients. Un samouraï solitaire, sans foi ni loi et apprenti du peintre, tombe amoureux de sa femme et la viole. Par la suite, il va assassiner le peintre ainsi que tous ses servants. Mais, de l'au-delà, le peintre et ses fidèles serviteurs préparent leur revanche sur le samouraï pour tenter de sauver la veuve éplorée et son enfant.
Merci au Wikipédia anglais pour m'avoir fourni un synopsis correct et à mes modestes connaissances en anglais. D'ailleurs, lire le synopsis sera indispensable si l'idée saugrenue vous traverserait la tête, comme à moi, de visionner sur YouTube ce film extrêmement rare. Cependant, on ne peut cacher notre entrain et notre fiertéà pouvoir se gratifier d'un film indisponible chez nous. Ca a une impression particulière, je n'ose dire un goût bien différent. Autant mettre les points sur les i dès le départ, je n'ai quasi strictement rien compris à l'ensemble des dialogues. Tout juste, quelques mots comme "vamos" me confirmaient que mon niveau d'espagnol n'était pas au zéro absolu.
Bref, le résumé très succinct a le mérite de présenter les inimitiés. Dans Histoires Fantastiques de l'Arbre-Mère, tout ne sera que cruauté et perversion. Portrait bien peu reluisant de cette époque, Kadono met en scène un samouraï s'étant détaché du code d'honneur du Bushido pour ne répondre qu'à ses plus bas instincts. Celui-ci, devenu apprenti du peintre, ne peut cacher son attirance incontrôlable pour la femme du peintre. Femme inatteignable, ses pulsions archaïques et sexuelles seront le moyen obligatoire pour y arriver et c'est dans une séquence pour le moins sadique qu'il fera preuve d'un abominable chantage : ou bien elle se laisse violer ou bien son bébé sera proprement égorgé de son sabre étincelant. Le fait de mettre au centre un bébé n'est pas sans rappeler la stratosphérique perversité de Pandemonium qui allait pourtant encore plus loin.
Sombrant dans une spirale autodestructrice sous fond d'une rage inexpugnable, le samouraï va assassiner le mari peintre, devenu gênant. Au détour d'un sombre chemin, il sera tué et son corps sera jeté dans un marais. S'il achètera le silence des serviteurs dans un premier temps, ceux-ci suivront pour ne laisser au samouraï que le champ libre afin de se satisfaire pleinement de ses maléfiques envies. Au même moment, un étrange arbre nourricier à l'écorce mamelle fera son apparition pour allaiter l'enfant, comme pour témoigner l'inéluctable désastre qui suivra. Comme vous le savez, il y a de grandes et complexes traditions sur la thématique de la mort au Japon.
Les esprits sont puissants, tourmentent les mauvaises personnes et manquer de respect à leur âme ne peut mener qu'à la perdition. De l'au-delà, ils ne peuvent reposer en paix et auront un double objectif : sauver la femme et son enfant et se débarrasser de ce fou dangereux. Sous forme de feu follets et d'hallucinations morbides, ils commenceront à faire plonger le samouraï dans la folie, par le biais de séquences glaciales et d'un véritable rendu épouvantable. Dans une ultime séquence, agressé de toute part par ces ectoplasmes sortis tout droit de l'enfer, il verra la veuve en profiter pour le poignarder avant que celui-ci ne lui transperce le corps avec son katana. Seul restera l'enfant, confié entre les mains d'un bonze et probablement de l'arbre-mère semblant avoir joué un rôle dans l'issue tragique du héros. A l'intérieur de la maison, ce majestueux et inquiétant tableau inachevé d'un dragon en colère.
A vrai dire, il est difficile d'en dire plus sur la progression du récit, au vu du manque de compréhension, bien que l'histoire en elle-même est assez simple. Kadono cultive cette peur innée des apparitions fantomatiques perturbant la psychologie du personnage le faisant sombrer dans la plus pure neurasthénie mentale. La progression, malgré le frein de la langue, est d'une réelle intensité. Le rythme suit haut la main. Kadono ne se prive pas de nous gratiner de scènes glauques, témoignage d'un réel talent nippon pour aborder l'horreur. Aucun quelconque screamer grossier, tout se joue dans l'ambiance et celle-ci est suffisamment efficace pour nous tenir en scène, sous-titres espagnols, anglais, turcs, russes ou français. Plusieurs séquences mémorables peuvent être citées, notamment ce plan du peintre fantôme se superposant à la toile du dragon, ou encore ce combat fatal dans le jardin de l'arbre-mère.
L'image est somptueuse, d'un noir et blanc d'outre-tombe mettant bien en évidence ces beaux décors et cette nature pas si verdoyante que ça. La bande son aux tonalités obscures s'accorde avec l'atmosphère générale. Le jeu d'acteur sera tout autant satisfaisant avec, au casting, les très méconnus Asao Matsumoto, Akira Nakamura, Katsuko Wakasugi, Hiroshi Ayukawa ou Keiko Hasegawa. Ainsi, on appréciera avec stupeur le visage démoniaque du samouraï, possédé par une irréfragable haine.
Au vu de la qualité indiscutable de cette expérience d'une, bien malheureuse, courte durée, je ne peux cacher ma rancoeur et mon désarroi sur une filmographie indisponible en ce qui nous concerne. Une filmographie qui ne nous sera probablement jamais fournie, tant les maisons d'édition ne manifestent guère d'intérêt. Ayant personnellement contacté Wild Side, qui a pourtant le vieux cinéma japonais en intérêt, eux-mêmes n'ont pas cela en projet. Si Tadashi Imai peut se targuer d'avoir encore une relative réputation à prendre en compte, Goro Kadono semble condamnéàêtre complètement oublié, si ce n'est dans son pays. Et encore, rien ne nous dit qu'il y est encore connu !
Compte tenu de tout ceci, j'espère que vous me pardonnerez la frugalité de cette chronique n'ayant pas seulement comme intérêt que de vous présenter, en gros, le film mais aussi de briser momentanément son anonymat total sur l'Internet français. Un moyen métrage d'une tonalité funeste, très généreux dans son épouvante, malgré la durée, exhibant une figure tragique par le biais d'une mise en scène pas si éloignée que ça du théâtral. Kadono montre qu'avec des moyens restreints, un casting réduit et des décors minimalistes, il est possible d'obtenir du grand cinéma d'horreur. Alors que les daubes pseudo-horrifiques insipides pullulent sur le marché, accordons une minute de silence pour ce genre de films de qualité tristement introuvables.
Note :15/20