Genre : Drame, expérimental
Année : 1974
Durée : 1h44
Synopsis :
En racontant son enfance dans le film qu'il est en train de tourner, un cinéaste part à la recherche d'un passé perdu et regrette de ne pas avoir pu tuer sa mère, trop présente dans sa vie. Il essaie à nouveau mais ne peut accomplir le meurtre libérateur. L'icône de la contre-culture Terayama explore les tensions entre passé et présent, fantasme et réalité dans ce film tiré de son recueil de poèmes éponyme.
La critique :
Au sein de n'importe quel cinéma national, un panel de différents réalisateurs ressortira presque toujours parmi les plus connus. Godard pour la France, Fellini pour l'Italie, Tarkovski pour la Russie ou encore Kurosawa pour le Japon. Le pays du Soleil Levant est décidément un pays dont le cinéma en est l'un des plus fascinants de tout le Septième Art. Assez mal cerné des profanes, il en est d'une richesse pour tout cinéphile s'y étant aventuré par curiosité fraîchement récompensée. Nul doute que Shuji Terayama, vénéré par les passionnés, est un exemple de choix si l'on veut présenter fièrement, sans écarter une certaine pointe élitiste, l'art nippon. Cela faisait très longtemps qu'il n'avait plus eu les faveurs de Cinéma Choc celui-là. Hérésie que je compte bien réparer aujourd'hui même et dans le futur. Terayama, c'est avant tout une institution, un véritable mastodonte ayant marqué durablement, pas seulement le cinéma mais l'ensemble de l'art japonais contemporain.
Cataloguéà juste raison d'icône de la contre-culture, il officia dans de nombreux registres : la poésie, l'écriture, la photographie, la dramaturgie et même la chronique sportive. Il est amusant de constater que la vision occidentale et orientale concernant ce bonhomme est purement en opposition l'une de l'autre. Si en Occident, il sera essentiellement connu pour son cinéma, au Japon il sera surtout connu en tant que poète et dramaturge. Avec plus de 200 livres au compteur pour 20 films (courts et longs métrages confondus), on peut comprendre que son pays natal n'a pas la même vision de son oeuvre tragiquement avortée vu qu'il décéda à 47 ans d'une cirrhose qui le poursuivait déjà depuis quelques années.
Il laissa derrière lui un héritage cinématographique considérable mais particulièrement fastidieux à obtenir (pour ne pas dire relevant de l'exploit de tomber dessus). Un comble pour un réalisateur d'une telle envergure à la réputation indiscutable ! Dès lors, comprenez bien que, quoi que vous fassiez, vous n'obtiendrez probablement jamais certains titres. Je pense bien sûr aux courts-métrages par lesquels commença Terayama avec son L'étude des Chats en 1960. Il faudra attendre 1971 pour qu'il sorte son premier long film nomméJetons les livres, sortons dans la rue auréolé d'une sulfureuse réputation et pourtant primé.
Mais la même année, il se permettra de sortir l'inimaginable Emperor Tomato Ketchup narrant la révolte de jeunes se vengeant de leurs parents les empêchant d'exprimer leur sexualité. Classé parmi les films les plus scandaleux de toute l'histoire du cinéma et tombant logiquement sous le coup de la censure qui le tritura en plusieurs versions (en 1996 sortira la version originale restaurée), il mettait en scène des activités sexuelles entre les enfants mais aussi avec des adultes. Trois ans après, c'est avec Cache-cache Pastoral qu'il effectue son grand retour sur la scène des longs métrages. Présenté en compétition officielle au Festival de Cannes, il est fréquemment considéré comme son film le plus abouti, ou tout du moins le plus réussi. De quoi susciter l'intérêt pour un cinéaste vraiment pas comme les autres.
ATTENTION SPOILERS : En racontant son enfance dans le film qu'il est en train de tourner, un cinéaste part à la recherche d'un passé perdu et regrette de ne pas avoir pu tuer sa mère, trop présente dans sa vie. Il essaie à nouveau mais ne peut accomplir le meurtre libérateur. L'icône de la contre-culture Terayama explore les tensions entre passé et présent, fantasme et réalité dans ce film tiré de son recueil de poèmes éponyme.
A l'orée de ce synopsis pour le moins perturbant, difficile que de ne pas se douter que la séance ne sera pas de tout repos et qu'une préparation mentale ne sera pas de refus. Il est vrai que Terayama est reconnu pour son style ouvertement contre-culture, en plus de ne pas être facilement accessible. Ceux qui ont vu Emperor Tomato Ketchup doivent certainement se rappeler d'un métrage austère, étrange dans sa mise en scène (et foncièrement dégueulasse par son audace inédite). Trêve de plaisanterie ! Ne vous attendez pas à de tels débordements subversifs. Terayama a d'autres enjeux que de défier l'ordre établi en s'aventurant vers d'autres contrées scénaristiques.
Ceci trouvera son origine dans son propre recueil de poèmes mettant en scène un adolescent de 15 ans qui, comme un grand nombre, est soumis aux tourments juvéniles. Le premier qui ressortira est celui de rapports compliqués entre lui et sa mère trop protectrice, trop tyrannique, voulant à tout prix contrôler la vie de son fils. Une véritable mère poule dans le mauvais sens du terme vu que cela peut faire naître un repli sur soi de l'adolescent, incapable de grandir et de faire face à un monde impitoyable en l'absence de sa mère. Face à cela, un père absent du domicile, perdu dans les combats. De ce ressenti naquit un anti-complexe d'Oedipe, à savoir le souhait de tuer une mère insupportable. Souhait qui ne quittera jamais le coeur de cet enfant devenu cinéaste et dont l'objectif recherché de son projet est justement de raconter son enfance. Dans ces lointains souvenirs teintés d'amertume, cet éphèbe rencontrera ce que tout garçon de son âge découvre à un moment ou à un autre : l'attirance amoureuse.
Cette attirance passera par sa belle et tendre voisine qui lui confiera son envie de vouloir s'en aller avec lui en train. Une chimère que certains éléments font qu'il ne pourra connaître l'amour et par extension la sexualité avec cette demoiselle. Comment ne pas y voir un miroir personnel concernant probablement la quasi-totalité de tous les garçons ? Ces regrets d'un amour n'ayant jamais eu lieu, de désirs jamais exaucés. Je repense à la fameuse "beauté de la classe" dont le timide garçon en est amoureux. Nous l'avons tous vécu et de ce constat mélancolique naquit au visionnage, un doux parfum de triste nostalgie de souhaits manqués devenus regrets. Ce cinéaste sans nom est un homme comme tant d'autres, hanté par un passé douloureux qu'il cherche àéchapper, quitte à tenter de le trafiquer pour mieux s'y évader. Evasion qui se fera en réaction à une sombre réalité dans laquelle il ne se reconnaît pas et dont l'unique objectif est de pouvoir faire le point sur sa vie en s'enfermant dans sa bulle.
Dans Cache-cache Pastoral, il est question de la quête initiatique d'un homme en plein remaniement existentiel, se cherchant et essayant de comprendre les causes qui font qu'il est devenu l'homme d'aujourd'hui. Si l'on ne sait pas si le film est une autobiographie marquée de son réalisateur, il ne fait aucun doute que le film peut se voir comme tel pour n'importe quel homme concernant les relations amoureuses. Pour pousser plus loin le débat, le passé peut servir d'échappatoire à ceux ayant peur du réel mais gare à ne pas y sombrer, sous peine de perdre pied avec la réalité, devenant une âme déconnectée d'un monde palpable.
Le traumatisme incarné par la figure maternelle est un sujet récurrent de troubles psychopathologiques chez certains ayant été trop couvés. La mère peut se voir comme un centre névralgique de prédilection pour partir à la recherche de ses troubles et angoisses. Bien sûr, on peut aussi y associer les mauvais traitements, l'abandon mais ce n'est pas le cas ici. On a souvent pu rapprocher Cache-cache Pastoral d'un style propre àFellini. L'évocation des traumatismes de l'enfance retransmis par le biais d'un onirisme grotesque teinté de lyrisme n'est pas sans rappeler le "maestro italien". La dimension du cirque omniprésent et de l'absurde "Femme Ballon" en sera un clin d'oeil évident.
Néanmoins, Terayama va, sans surprise, bien plus loin dans l'avant-gardisme et privilégiera avant tout le rapport de l'adolescent face à ce monde aux vastes paysages l'oppressant. Plus encore, il va retranscrire une ambiance singulière couplée à des dimensions métaphysiques et philosophiques très poussées. Le thème de la recherche d'identité renvoie immanquablement à Sartre. Ceci fait que Cache-cache Pastoral est un film éminemment profond, à même de fasciner quiconque et surtout les plus chevronnés qui s'amuseront à cerner les différents niveaux de lecture que peut offrir un métrage d'une richesse stupéfiante.
Car Terayama ne se privera pas de laisser le spectateur s'évader dans ses fantasmagories sans le tenir par la main. Pour autant, jamais on aura ce ressenti d'être perdu face à quelque chose de prétentieux nous dépassant. La mise en scène et la narration sont très justes dans leur continuité et de cela ressortira des séquences bonnes à troubler quiconque. Cette femme dont le jeune en est amoureux et qui lui confiera son passé sera l'un de ces passages les plus beaux. Cependant, on est forcé d'avouer que l'émotion ne transcende jamais suffisamment son sujet dans le temps pour émouvoir le spectateur dans le bon sens du terme (c'est-à-dire sans utiliser les habituels procédés des mauvais drames pour émouvoir le spectateur trop fragile). Un point malheureux que nous regrettons mais qui ne dénature pas la beauté simple et épatante de ce Cache-cache Pastoral.
D'ailleurs, concernant la disponibilité du titre, je rappelle que cette oeuvre est la bien malheureuse victime d'une honteuse confidentialité en raison de son extrême rareté. Dès lors, pour les plus impatients et les petits portefeuilles, la solution du téléchargement illégal sera une alternative indiscutable en allant sur Pirate Bay. Vous seront offerts avec ça les sous-titres anglais. Je précise d'emblée ne pas avoir trouvé les sous-titres français mais si vous n'avez pas de gros soucis de compréhension, le visionnage ne sera pas un calvaire à comprendre.
A cela se rajoutera un visuel tout à fait particulier pour égayer l'atmosphère féérique du contenu par le biais d'une image passant par différentes couleurs comme en attestent les images montrées. Sépia, vert, rouge, bleu voire même arc-en-ciel mais aussi le noir et blanc et une image aux couleurs standards. Nul doute qu'un travail de titan a dûêtre fait pour en arriver à ce résultat tout bonnement sublime. Un point sera aussi à accorder aux décors lorgnant fréquemment dans la froideur. Des décors dévastés aux montagnes abruptes, on passe ensuite à des villages de campagne ou encore à cette transition brute des fantasmes au cinéaste visionnant son oeuvre en compagnie de ce que l'on soupçonne être des techniciens. Un grand choix est accordéà l'esthétisme, ce qui ne pourra que ravir nos petits yeux enchantés. Musicalement parlant, les tonalités tragicomiques sont parfaitement choisies, de même que l'interprétation des acteurs fera mouche. Des acteurs que Terayama s'amusera à modeler, à déguiser.
Cache-oeil noir de borgne, masques de nô par le biais d'un maquillage blanc, visages encagoulés exprimant des propos incompréhensibles. Encore une fois, le surréalisme est de la partie. Au casting, nous retrouverons Keiko Niitaka, Kantaro Suga, Hiroyuki Takano ou Chigusa Takayama.
Comme j'ai dit, il s'en est passé du temps depuis la chronique d'Emperor Tomato Ketchup en 2016. Alors que 2018 s'achève tout doucement, il était plus que temps que l'un des plus célèbres cinéastes underground reviennent sur le devant de la scène. Et quel retour fracassant ! Loin de toute forme de provocation de jadis, Terayama va focaliser son travail sur les songes que traversent les hommes arrivés tôt ou tard à un tournant de leur vie. Que puis-je dire de mon passé ? Quel fut le bilan de mon enfance ? Quels étaient les rapports avec ma mère ? Qu'en est-il de mon enfance amoureuse ? Autant de questions taraudant le cinéphile plus âgé que moi et mes modestes 24 ans.
Quand bien même, mon entrée de plus en plus imminente dans le monde du travail me rapprochera de ce moment où on fait le constat de la première partie de notre vie. Aussi beau qu'il pourra être dur avec le spectateur à l'enfance douloureuse, Cache-cache Pastoral est une pépite tristement oubliée des distributeurs et d'une grande partie de la population. Pourtant, quel gâchis de passer à côté de cette pellicule existentielle, introspective, repoussant l'intelligence vers des strates enviées par bons nombres de métrages. Comme il est dommage de ne pas avoir pu renforcer davantage la tonalité dramatique pour frapper plus durablement le cinéphile. Bien que je n'ai vu, désormais, que 2 de ses films, je peux postuler cette hypothèse que, oui, Cache-cache Pastoral pourrait très certainement être le travail cinématographique le plus probant de cet homme parti trop tôt, laissant derrière lui une oeuvre indispensable pour tout passionné de cinéma asiatique qui se respecte.
Note :17/20