Genre : horreur, épouvante, gore (interdit aux - 18 ans à l'époque, interdit aux - 12 ans aujourd'hui)
Année : 1973
Durée : 1h35
Synopsis : Victor de Frankenstein veut fabriquer de nouvelles créatures dangereuses et sanguinaires avec l'aide de son assistant. Pour ce faire, il n'hésite pas à commettre des actes abominables afin de réunir toutes les "pièces" nécessaires à son oeuvre...
La critique :
L'effervescence du cinéma d'épouvante pour Frankenstein ne date pas d'hier et remonte à des temps immémoriaux. Pour retrouver les premiers reliquats et ânonnements de ce chirurgien atteint par le complexe d'Icare, il faut se polariser sur un court-métrage éponyme, sorti en 1916. Mais c'est sous l'égide de James Whale que la créature ténébreuse et aux oripeaux décharnés va connaître ses toutes premières lettres de noblesse. Ainsi, Frankenstein (James Whale, 1931) caracole en peloton de tête dans les salles obscures et provoque quelques cris d'orfraie de la part du public hébété.
Finaud, James Whale confère au monstre macabre une aura et même une âme humaine, nonobstant l'irascibilité d'un village qui a juré sa perte. Au contact d'un vieillard amblyope, la créature s'humanise, mais doit subir à la fois le courroux de son célèbre démiurge, ainsi que les furibonderies d'une petite communauté ulcérée.
Le monstre anonyme est donc condamnéà s'enfuir et à se tapir dans la pénombre, inexorablement... Tel semble être le fatum de cette créature anthropomorphique et conçue à partir du démembrement et de l'équarrissage de toute une floraison de cadavres. Pour son célèbre créateur, ce monstre claudicant est la preuve irréfutable que l'homme peut revêtir les frusques soyeuses d'un dieu à la fois retors et omnipotent, mimant à son tour une nouvelle genèse. On en revient encore et toujours à ce complexe d'Icare et à cette fascination d'accéder au ciel et au firmament de la gloire.
Opportuniste, James Whale conférera une suite encore plus sérénissime que son glorieux aîné via La Fiancée de Frankenstein (1935). Le succès commercial répond presque toujours doctement à l'appel. C'est dans ce contexte lucratif que la firme Universal Monster produit et finance - entre autres - Frankenstein rencontre le loup-garou (Roy William Neill, 1943) et La maison de Frankenstein (Erle C. Kenton, 1944).
Mais c'est sous l'égide de la Hammer que le monstre protéiforme va prendre encore davantage de solennité et de proéminence. En réalisateur érudit, Terence Fisher conférera à la créature fuligineuse beaucoup de componction et de somptuosité via Frankenstein s'est échappé (1957) et La revanche de Frankenstein (1958). Mais, à la fin des années 1960, la Hammer oblique vers une pente déclinante qui conduira la firme à péricliter et à fermer ses portes pour céder à une horreur beaucoup plus ancrée dans notre société contemporaine. Paradoxalement, Frankenstein n'est pas mort et poursuit sa marche macabre sous l'aval d'autres productions d'épouvante.
C'est par exemple le cas de Chair pour Frankenstein, réalisé par la diligence de Paul Morrissey et Antonio Margheriti en 1973.
Pour la faribole superfétatoire, cette ixième adaptation libre de l'opuscule de Mary Shelley est produite par Andy Warhol et Jean Yanne. A l'époque, cette équipe insolite et fervente de la contre-culture souhaite opérer et tangenter vers une nouvelle dialectique et conférer à Frankenstein et son monstre un aspect à la fois gore, trash et érotique. C'est ce savant amalgame entre lascivité, épouvante et nécrophilie qui explicitera, entre autres, l'ultime réprobation, à savoir une interdiction aux moins de 18 ans lors de sa sortie en salles. L'animadversion sera minorée par la suite pour passer à une simple (si j'ose dire...) interdiction aux moins de 12 ans. A ce jour, Chair pour Frankenstein est toujours considéré comme une oeuvre érubescente, glauque, scabreuse et underground pour ses tropismes iconoclastes.
Mieux, le film fait carrément figure de bréviaire et de mentor tutélaire dans ce cinéma impudent et d'exploitation.
Reste à savoir si Chair pour Frankenstein mérite autant de dithyrambes et de flagorneries. Réponse à venir dans les lignes de cette chronique... Quant à Paul Morrissey, l'un des réalisateurs du film, ce dernier n'a jamais caché son extatisme pour l'impertinence et le cinéma underground. On lui doit notamment Du sang pour Dracula (1974) et Le chien des Baskerville (1978). Antonio Margheriti est un cinéaste beaucoup plus éclectique, officiant à la fois dans l'horreur, le fantastique, la science-fiction et même le péplum. Les laudateurs du metteur en scène transalpin n'omettront pas de stipuler La vierge de Nuremberg (1963), Danse Macabre (1964), Les Diablesses (1973), L'invasion des piranhas (1979), ou encore Pulsions Cannibales (1980).
Ensemble, Paul Morrissey, Antonio Margheriti, Jean Yanne et Andy Warhol forment une collusion atypique et originale qu'il convient évidemment de souligner.
La distribution de Chair pour Frankenstein se compose d'Udo Kier, Monique van Vooren, Joe Dallessandro, Carla Mancini, Christina Gaioni et Dalila Di Lazzaro. A noter que le film est aussi sorti sous les cryptonymes de De la chair pour Frankenstein et Andy Warhol's Frankenstein. Mais ne nous égarons pas et revenons à l'exégèse du film ! Attention, SPOILERS ! (1) Le Baron Frankenstein est mariéà sa sœur avec laquelle il a eu deux enfants. Mais aujourd’hui il passe tout son temps dans son laboratoire : après avoir créé une belle créature à partir de cadavres, il envisage de lui donner un compagnon afin de voir naitre une nouvelle race dont il serait le maître.
Pendant ce temps, son épouse Katherine satisfait ses importants appétits sexuels auprès d’un ouvrier, Nicholas, aux aptitudes physiques impressionnantes.
Désireux d’offrir à sa créature femelle un étalon de choix le Baron désire tuer Nicholas et faire de lui sa « chose ». Mais il tue par erreur Sasha, l’ami puceau et probablement gay de Nicholas… (1) A l'aune de cette nouvelle variante du thème de Frankenstein et du complexe d'Icare (toujours la même antienne...), on comprend mieux pourquoi cette adaptation fait autant référence et voeu d'allégeance auprès des thuriféraires du cinéma underground. Jusqu'ici, la thématique de la mort était traitée sous les leitmotivs de la grandiloquence, de l'intolérance et de la scabrosité.
Mutins, Paul Morrissey, Antonio Margheriti et leurs fidèles affidés confèrent au célèbre médicastre et à sa créature des penchants satyriasiques, sexuels, lubriques, fétichistes, sadomasochistes et même nécrophiles ! C'est ce mélange pour le moins détonnant qui attribue au film une touche dénotative et antagoniste aux adaptations habituelles, qu'elles soient officieuses, dérivées ou par ailleurs officielles.
Le spectateur médusé se délectera notamment de la composition à la fois cérémonieuse et troublante d'un Udo Kier en mode patibulaire. Cette fois-ci, l'objectif n'est pas seulement de créer une seule et unique créature, mais d'engendrer une nouvelle Genèse, ainsi qu'une nouvelle Création en affublant le monstre d'une épouse, puis d'une future progéniture. Hélas, une fois activé, le monstre décharné se montre curieusement timoré et ne manifeste aucune impudicité ostensible. Dès lors, Chair pour Frankenstein enchaîne et accumule les saynètes de tripailles, ainsi que les cadavres putrescents avec une magnanimité qui fait plaisir à voir.
Si on décèle, çà et là, quelques chutes de rythme hélas imputables et préjudiciables au film, Chair pour Frankenstein se montre suffisamment philanthrope pour satisfaire son audimat en manque de barbaque. Certes, les contempteurs et les esprits chagrins pourront toujours à raison rabrouer, brocarder et pérorer sur des maquillages et des effets spéciaux un tantinet désuets et hélas symptomatiques d'une époque révolue. A contrario, il faudrait se montrer particulièrement vachard pour ne pas discerner les qualités esthétiques de cette oeuvre putride et délicieusement outrecuidante.
Note : 14.5/20
Alice In Oliver
(1) Synopsis du film sur : http://cinemafantastique.net/Chair-pour-Frankenstein.html