Genre : Drame, historique (interdit aux - 12 ans)
Année : 2013
Durée : 2h13
Synopsis :
Les États-Unis, quelques années avant la guerre de Sécession. Solomon Northup, jeune homme noir originaire de l’État de New York, est enlevé et vendu comme esclave. Face à la cruauté d’un propriétaire de plantation de coton, Solomon se bat pour rester en vie et garder sa dignité.
La critique :
Il est plus qu'évident que le milieu des arts, en général, ne se limite aucunement aux idées romancées et à l'imaginaire. Depuis ses premiers balbutiements, certaines personnes ont apposé des regards différents, accusateurs sur des événements passés ou en devenir. La dénonciation et le but de marquer les esprits, de leur faire prendre conscience de certains actes intolérables, ont fait émerger une notion d'art social destinéàéduquer les foules et à visualiser le monde qui les entoure. Un art social dont l'objectif était d'annihiler toute forme d'individualisme, de broyer la bulle de chaque élément humain de notre civilisation pour l'ouvrir au monde. Forcément, le Septième Art ne pouvait échapper à cela et un nombre incalculable de réalisateurs accoucheront d'un nombre doublement incalculable de films interrogeant le cinéphile, lui parlant de faits déplaisants passés ou présents.
Dans le premier cas, c'est là qu'entre en scène le genre "historique" ou encore "documentaire", dans un autre registre. Les thématiques aussi variées que palpitantes ne manquent pas. On pense souvent à la Seconde Guerre Mondiale qui est une sorte de référence en la matière si j'ose dire, mais heureusement pas que ! Des périodes de l'histoire couvrant les temps anciens de certaines nations sont légion. A tout hasard, citons Braveheart, La Liste de Schindler, Lawrence d'Arabie ou encore Des Hommes et des Dieux rentrant plus qu'aisément dans la catégorie des métrages de qualité.
Dans cette optique, l'esclavage des noirs aux USA durant la période précédant la tragique Guerre de Sécession ne pouvait être mise de côté. Jadis, en 1915, David W. Griffith assénait une Tsar Bomba dans le paysage cinématographique avec son Naissance d'une Nation qui créa un gigantesque scandale par son ton ouvertement pro-esclavagiste, quand bien même le cinéaste se défendait d'insinuer un tel propos. Mais outre cette "anicroche", les oeuvres ayant trait à cette infâme période sombre de l'histoire des USA ont toutes eu pour objectif de narrer leur histoire en éludant toute forme de propagande en faveur de la traite négrière. Problème de taille, on pouvait souvent assister à l'effet inverse en recourant au chantage trop facile via larmoiements intempestifs, sentimentalisme, volonté de dramatisation grossière traduisant plus une instrumentalisation irrespectueuse des victimes tombées sous le joug de leurs bourreaux. Là est tout le revers de l'incompétence de certains ersatz de réalisateurs.
Bref, nombre d'entre eux se sont emparés de ce sujet pour conter leur histoire parfois avec panache, parfois avec scepticisme. Nous ne pouvons que citer Django Unchained, Lincoln, Amistad ou encore Free State of Jones. Vient s'ajouter 12 Years A Slave, réalisé par Steve McQueenà qui l'on doit un certain nombre de courts-métrages mais également des titres qui ont su se tailler une belle réputation à l'instar de Shame et Hunger. Clairement, la pellicule d'aujourd'hui peut s'inscrire dans cette première catégorie.
ATTENTION SPOILERS : Les États-Unis, quelques années avant la guerre de Sécession. Solomon Northup, jeune homme noir originaire de l’État de New York, est enlevé et vendu comme esclave. Face à la cruauté d’un propriétaire de plantation de coton, Solomon se bat pour rester en vie et garder sa dignité.
Aux USA, il n'est pas aisé d'adapter cette grave cicatrice du passé, alors quand un ambitieux cinéaste tente de s'y atteler, on ne peut qu'être intéressé par le projet. Ainsi, McQueen choisit d'adapter l'autobiographie "Douze ans d'esclavage" de Solomon Northup, un homme noir libre qui, un soir, sera drogué, kidnappé et vendu comme esclave. A sa sortie, les critiques tant professionnelles que du public sont globalement panégyriques, autant aux USA qu'en Europe. De plus, il reçut ni plus ni moins que l'Oscar 2014 du meilleur film tout en étant nommé dans huit autres catégories. Autant être honnête d'emblée de jeu, je ne pouvais masquer une sorte de scepticisme en enclenchant la lecture, de peur de me trouver face à un film tenant plus du manque de respect que d'une réelle leçon de cinéma. Mais visiblement McQueen a su saisir l'escroquerie auquelle s'adonnent certains personnages peu scrupuleux pour appâter le public et le conquérir facilement à la cause du film.
Son but premier est de raconter de manière la plus impartiale possible les errances funestes de Solomon Northup dans un univers chaotique pour ceux qui n'ont pas choisi d'être nés noir. Que de soulagement et de respect de voir un cinéaste être objectif, n'adressant pas une lettre de haine gratuite et ouverte aux Etats-Unis, qui plus est quand on sait que Steve McQueen est un réalisateur noir qui a su faire table rase de ses rancoeurs justifiées envers l'innommable racisme d'époque ! Pour renforcer le professionnalisme, il a pu compter sur Henry Louis Gates, un spécialiste de l'histoire et de la culture afro-américaines, ainsi que sur le chercheur David Fiske, coauteur de "Solomon Northup: The Complete Story of the Author of Twelve Years A Slave". Comme vous vous en douterez, à l'instar de pellicules malhonnêtes déformant un récit censéêtre véridique, la véritable histoire sera d'application, en dépit de l'élusion de certains passages pour des raisons, sans doute, de longueurs.
Mais que les plus dubitatifs se rassurent car l'essentiel est là, entre nos mains, et de la meilleure des façons. Deux forces de taille : vérité et objectivité. Ne vous attendez pas à des cascades de larmes et de cris en tout genre. Dans 12 Years A Slave, McQueen choisit la carte de l'austérité qu'il intègre à la personnalité de Northup (Solomon pour les intimes). Celui-ci est représenté comme un homme noir dépassé par les événements, ne comprenant aucunement ce qu'il se passe mais qui va très vite choisir la carte de la résignation pour tenter de survivre et ne pas s'attirer d'ennuis. Northup n'a rien d'un héros mais est un homme, ou plutôt devrais je dire un esclave comme les autres. Il va décider de courber l'échine, de se rabaisser malgré son ancienne condition d'homme libre, de se soumettre à la doxa de richissimes blancs odieux et tyranniques voyant en ces "nègres" une race impie et sous-développée juste bonne à travailler et pour qui l'instruction n'est que futile.
Dans cet univers d'une remarquable déshumanisation, il n'y a pas de leader chez les asservis et Northup n'en sera aucunement un. Il reste dans son coin et n'hésitera pas à outrepasser certaines règles de bienséance en se cantonnant dans une attitude quelquefois gratuite de lâcheté. L'exemple le plus représentatif est quand il hurle sur une esclave noire qui vient de perdre ses deux enfants pour lui dire de la mettre en veilleuse. Radical, perturbant et ça fonctionne à merveille car, au final, si une frontière est clairement établie en termes de cruauté entre les esclavagistes et leurs "biens", Northup ne partagera pas une attitude empathique et à fleur de peau. Tout est froid et hostile, jusqu'à certains de ses comportements même.
Indubitablement, Northup ne sera pas le personnage le plus facile à appréhender car il ne s'apitoie pas sur son sort et ne manifeste que peu ses émotions. Un bilan en accord avec la réalité de chaque noir acceptant les sévices sans sourciller de peur de représailles. Mais comme pour tout être humain, Solomon a des barrières qui sont susceptibles parfois d'exploser pour décharger toute sa colère. Une petite frappe sadique en fera les frais mais cela coûtera à Solomon de se retrouver laissé pendu durant plusieurs heures, tandis que les esclaves vaqueront à leur tâche dans la plus totale indifférence. Chacun pour soi. Autre constatation procurant un avantage supplémentaire au film : il navigue à contre-courant de la retenue du cinéma populaire américain. 12 Years A Slave tient à représenter la souffrance que vivent au quotidien ces malheureux, de manière la plus frontale possible.
Pas de volonté de se censurer sans pour autant dévier dans le putassier. Ainsi, McQueen ne se prive pas d'intégrer de nombreuses scènes choquantes. Northup obligé de fouetter Patsy au risque de le voir lui et tous ses congénères abattus. Northup traversant avec empressement une petite clairière où deux noirs seront exécutés par pendaison en arrière-plan. Cette scène déchirante de la séparation d'une mère et de ses deux enfants maltraités au préalable pour les calmer. Et bien sûr, la scène précédemment citée de Solomon pendu à un arbre. A ce sujet, je vous sommerai de ne surtout pas sous-estimer la violence psychologique de 12 Years A Slave malgré son interdiction aux moins de 12 ans.
Mais si les plus sensibles pourraient pester sur une supposée brutalité trop "poussive", il convient de rappeler qu'il s'agit de la vérité passée, aussi crue soit-elle et que chaque vérité ne doit pas être délaissée dans le but d'éviter de déranger quelques emmerdeurs de bas-étage. Une petite pensée sur la question algérienne qui fait encore rechigner le gouvernement français (la bise !). Certes, sans atteindre son extrême violence, on pourrait sensiblement établir un parallèle avec le très polémique La Passion du Christ du controverséMel Gibson qui était aussi une oeuvre qui ne tenait pas à se censurer pour faire plaisir aux desiderata des bien-pensants. Vous vous en doutiez mais autant vous dire que les 2h13 fileront pour un spectateur gagné par une émotion ne passant pas par les larmes, mais bien par la souffrance et tortures physiques de tous ces esclaves noirs. Parfois, des situations originales se profileront.
Un esclave blanc qui fut autrefois alcoolique, une femme noire émancipée qui ne se soucie plus du sort de ces congénères car elle mène maintenant une vie sereine, un noir chargé de fouetter les esclaves dans les champs de coton. Encore une fois, tout ça fait partie du roman. Toutefois, une rare volonté d'apporter une tension dramatique supplémentaire sera choisie mais ce n'est qu'une goutte d'eau dans un océan de vérité. Tous les clichés seront balayés, allant de l'oaristys amoureux aux pseudo retournements de situation héroïques. Une force de taille dans un cinéma mainstream gangréné de codes scénaristiques dégénérés.
Et, encore une fois, en déviant sur notre habituel avant-dernier paragraphe consacréà la technique du film, 12 Years A Slave va à contre-courant. Le tournage s'est sans surprise fait à La Nouvelle-Orléans en optant pour des environnements jouxtant les lieux de détention de Solomon. Une recherche accrue de l'art du XIXème siècle a été faite. La confection des costumes a été faite de manière à se rapprocher le plus possible de la véracité historique. Il y eut également utilisation de vêtements ayant réellement appartenu à des esclaves. Une énième preuve que McQueen a mis les petits plats dans les grands. L'image est de fait magnifique en tout point, avec un grand souci de représenter la nature (forêts, marais, bayou, campagne, champs). Le choix d'intégrer quelques longs plans-séquences est une caractéristique inhabituelle dans les films de grande ampleur, à notre grand dam.
En utilisant ce processus, il amplifie l'abandon du personnage principal face à l'adversité et l'immobilisme de la justice. Côté bande son, Hans Zimmer a été sollicité et autant dire que c'est plus que probant. La tristesse des quelques chants entonnés par les esclaves sera aussi à mentionner. Enfin, la plupart des acteurs délivreront tous une grande prestation. Chiwetel Ejiofor est pleinement dans la peau de Solomon Northup. Michael Fassbender est d'une crédibilité assez tétanisante dans son incarnation de Edwin Ebbs. Lupita Nyong'o, Benedict Cumbertach, Paul Dano, Brad Pitt (producteur du film) ou encore Sarah Paulson ne dérogeront pas à la règle également.
En conclusion, il est évident qu'à notre époque le cinéma américain populaire ne mette pas en confiance. Trop balisé, engoncé dans un étroit schéma bridant l'audace et l'originalité, cultivant le profit à tout prix, usant de facilités rébarbatives, il n'est pas facile d'éprouver une confiance envers un Hollywood en déshérence. Pourtant, 12 Years A Slave montre que c'est encore possible d'avoir du grand cinéma dans ce microcosme rigide et arriéré. Balayant tout divertissement écervelé, c'est à l'horrible passé de l'esclavagisme américain d'être mis à l'honneur par le biais d'une mise en scène âpre et réfléchie. A aucun moment, Steve McQueen ne prend ses spectateurs pour des cons et ne tient qu'à les mettre devant le passé, sans jugement mais à travers les yeux désoeuvrés d'un homme qui eut la malchance d'être né d'une autre couleur de peau au temps de l'imbécilité morale se basant sur des écrits sacrés de qualité similaire au PQ discount de la première grande surface du coin.
12 Years A Slave prouve qu'intelligence et gros budget peuvent faire bon ménage et que le résultat final est souvent payant car combinant popularité et reconnaissance internationale. Mais est-ce que les pontes de Hollywood prendront un jour compte de cet état de fait ? Rien n'est moins sûr. Alors que les USA sont traversés, de nos jours, par une multiplication d'actes racistes, on ne peut que prier à ce que le vieil adage "l'histoire est un éternel recommencement" ne se reproduise plus dans un pays plus que jamais secoué par les tensions inter-ethniques.
Note : 16/20