Genre : Drame, expérimental, inclassable (interdit aux - 12 ans)
Année : 2017
Durée : 1h17
Synopsis :
Samantha, Guille, Ana et Cristian ont tous quelque chose en commun, et pourtant ils ne pourraient pas être plus à part. Leurs corps sont différents de ceux des autres : la bouche, le côté gauche du visage, la texture de la peau ou le sentiment que vos jambes n'appartiennent pas à votre corps. Ils vivent, aiment, sont cachés chez eux et sortent rarement dans la rue.
La critique :
Drôle d'affiche pour le moins dérangeante me direz-vous ! Je suis quasi certain qu'une curiosité incoercible s'est emparée de vous afin d'en savoir plus sur ce dont je vais vous parler aujourd'hui. Vous vous doutez fort bien que c'est un énième voyage aux confins du Septième Art expérimental que je vous offre sur un plateau d'argent, avec toute ma joie habituelle de chroniquer des bizarreries de tout premier plan. Et je dois dire que celle-ci a mis le niveau assez haut ! Comme vous le savez sans doute, le cinéma espagnol contemporain se pare d'une profonde sympathie du public adepte d'oeuvres transgressives. Loin d'un cinéma français aseptisé et réfractaire à tout ce qui sort d'un chemin trop balisé, l'Espagne a su apporter une preuve que tenter des choses qui s'avèrent payantes en qualité est possible.
Elle a su montrer son érudition à conjuguer l'horreur avec la démarche artistique mais aussi le thriller, l'épouvante ou des machins encore plus particuliers comme c'est le cas ici. A plusieurs reprises, nous avons disserté sur les grands cinéastes de notre époque et leurs films majeurs. Les thuriféraires de ce pays ne manqueront pas de citer les deux premiers REC, L'Orphelinat, Les Autres, La Secte sans Nom, Tesis ou encore La Piel Que Habito.
Il serait vain de citer toutes les sorties de ces dernières années mais il ne fait aucun doute que le cas de Pieles (ou Skins dans sa version anglaise) nécessite de s'y arrêter et de se renseigner un peu dessus. Aussi étonnant qu'il puisse paraître, il est présent sur la très célébrissime plateforme Netflix au sein d'un catalogue de films absolument médiocres et reconnu comme tel. Autant être honnête, ce service ne vaut que pour ses séries et même les aficionados ne manquent pas de le souligner. Pour la petite information, présent depuis longtemps sur mon PC, ma copine m'a incitéà le regarder au plus vite, sans quoi il aurait fallu attendre un peu plus longtemps avant qu'il ne débarque sur le blog.
Et je ne peux que la remercier du conseil et me remercier aussi de l'avoir écouté. Car outre, le boucan de la femme de ménage, il m'aurait bien été difficile de décrocher de ce... truc aussi attachant que déstabilisant. Premier long-métrage du réalisateur Eduardo Casanova après une série de courts-métrages, Pieles s'apparente aux premiers balbutiements d'un homme qui n'aura pas fini de faire parler de lui s'il continue sur sa lancée, bercé par l'atypisme et une mentalité de promouvoir le cinéma hétéroclite. Mais qu'est-ce que nous avons là me direz-vous ? Il vous suffit de continuer la lecture.
ATTENTION SPOILERS : Samantha, Guille, Ana et Cristian ont tous quelque chose en commun, et pourtant ils ne pourraient pas être plus à part. Leurs corps sont différents de ceux des autres : la bouche, le côté gauche du visage, la texture de la peau ou le sentiment que vos jambes n'appartiennent pas à votre corps. Ils vivent, aiment, sont cachés chez eux et sortent rarement dans la rue.
"Subversif", "dérangeant", "révoltant", tels sont les noms qui ont souvent décrit Pieles et son sujet pour le moins novateur et spinescent, puisqu'il s'agit de mettre en lumière les personnes handicapées. N'entendons pas des maladies telles que la leucémie, la mucoviscidose ou encore le diabète, mais des déformations physiques marquant à vie un visage disgracieux. Vous rêviez de voir un pseudo-remake du chef d'oeuvre culte Freaks, la monstrueuse parade ? Alors, il ne fait aucun doute que la pellicule d'aujourd'hui comblera vos attentes sans s'y immiscer à son niveau en termes d'excellence. Il est de ces films enragés abordant de façon frontale des problématiques sociales tabous et Pieles est indubitablement l'un de ceux qui ne se gênent pas de taper dans la fourmillière, là oùça fait mal en mettant l'individu devant le miroir lui renvoyant toute sa laideur et son hypocrisie.
Pensez bien qu'à une époque où le consumérisme est un mode de vie louangé et encouragé par tous les rouages de notre civilisation occidentale, la notion de beauté est une composante intrinsèque à prendre en compte. Elle est encouragée au plus haut point et toute personne en dehors de ce schéma balisé est mise sur le côté. La beauté fait vendre et est omniprésente, aussi bien dans les publicités télévisées de parfums ou d'alcools qu'à la radio ou encore dans les magazines de mode et de vêtements. La beauté attire les gens et les change.
Et au sein de cette société de consommation clairement cernée comme malade, le culte de la beauté est un objectif à atteindre pour, ne nous cachons pas et osons le dire, un nombre non négligeable de femmes, plus sensibles et visées par ces canons de beauté. Bien sûr, les hommes seront d'une manière ou d'une autre ciblés mais moins intensément que le sexe féminin. Depuis plusieurs années, les mouvements néo-féministes sont partis en croisade contre la sainte-perfection physique entraînant dans son sillage complexes, dépressions, névroses voire même tentatives de suicide ayant parfois malheureusement abouties. L'ironie de la situation est que la société est la grande perdante d'un diktat qu'elle encourage et vénère. Elle se complait dans une aliénation univoque qui est d'atteindre l'idéal pour devenir finalement quelqu'un. Un idéal construit sur un socle de superficialité, de matérialisme où les apparences sont seules reines d'un monde dans lequel des âmes égarées courent après des chimères.
Jamais l'homme ne parviendra à se transcender ou tout simplement atteindre le stade ultime du beau, au grand dam de certaines personnalités lobotomisées.
Mais si les personnes en dehors de cette mortifère vision des choses ne récoltent pas les satisfécits de ce microcosme conditionné, que dire des personnes handicapées et plus particulièrement malformées qui, même avec toute la volonté du monde, savent que c'est perdu d'avance ? Dans un monde promouvant les apparences avant toute chose, leur quotidien est loin d'être facile. Ils doivent subir le regard des autres, les moqueries et brimades semblant presque être devenus des inchoatifs propres à chacun et non plus la résultante de l'impolitesse de quelques crétins isolés. Les personnages de Pieles en feront bien sûr les frais, arborant d'étonnantes déformations.
La plupart auraient été des femmes d'apparence gracieuse, si le malheur génétique ne les avait pas frappées. Yeux inexistants, bouche et anus intervertis, une moitié de visage s'effondrant, achondroplasie. Pour les hommes l'un aura une maladie de la peau lui conférant un aspect d'une chair qui aurait été calcinée suite à un incendie. L'autre se mutile les jambes car il est persuadé qu'elles ne sont pas à lui. Leur vie est dénuée d'émancipation, de joie de vivre. Chaque nouveau jour est un combat pour eux de survivre, d'accepter le regard insistant des autres pour peu qu'ils entrent en contact avec la civilisation, ce qui tend àêtre extrêmement rare. La seule qui en fera les frais se fera sauvagement malmener par deux délinquants.
Pourtant, au milieu de ce chaos existentiel, certaines trouvent l'amour mais leurs maris ne leur apportent pas satisfaction. L'un semblera plus aimer le physique disgracieux de la fille que sa propre personnalité. Celle souffrant d'achondroplasie tombera dans les mains d'un producteur TV mercantiliste ne l'utilisant que pour incarner un ourson rose. Seul l'espoir de jours meilleurs est ce qui les empêche de ne pas sombrer dans la dépression. Casanova ne s'embarrasse pas de choquer la bien-pensance et tape là oùça fait mal en mettant le nez du spectateur dans sa propre merde. Pourtant, si certains contempteurs y ont vu un film gratuit dans son voyeurisme, il en est tout autre. Pieles nous met exactement à la place où nous serions si nous croisions un individu difforme. Nous serions à le regarder ni plus ni moins comme une bête de foire. Pourtant, celles-ci ont un coeur et des émotions comme nous et Pieles se chargera de les mettre en valeur, de les humaniser bien plus que les personnes "normales".
La fille aveugle sera peut-être la plus touchante car ses ressentis envers l'être ne proviennent pas de son physique mais de sa personnalité. Elle pourra être attirée par une fille "laide" tant qu'elle est gentille avec elle car elle ne se préoccupe aucunement du physique qui selon elle n'a aucune valeur tant que le coeur compte. De quoi apporter un peu de beauté dans un monde cruel.
C'est dans son parti pris visuel et audacieux que Pieles dérange et cogne là oùça fait mal. Le visuel s'enorgueillit systématiquement de différents tons de couleurs roses, donnant un aspect kitsch à l'ensemble. Ces décors "guimauves" sont un véritable oxymore à eux seuls. Ils confèrent un aspect irréel, séduisant et même apaisant à une société perfide. Ou quand l'affreux est enrobé d'une délicieuse couche rose bonbon pour mieux masquer sa laideur. Autant dire que cette démarche expérimentale est du plus bel effet, berçant nos rétines car notre Casanova ne se gêne pas pour multiplier les différentes positions de la caméra, nous donnant une vue d'ensemble du décor. Et que cela soit les appartements, l'hôpital, la rue et même les maisons, le rose est le décor même.
La très belle composition musicale se fait sur des chants empreints de mélancolie et du souhait d'être comme les autres. La composition du casting est elle aussi subtile car les acteurs sont des personnalités reconnues pour leur beauté. Certains sont même des top-model et pourtant ils ont accepté d'incarner le temps d'un film l'antithèse de tout ce qu'ils sont. On retrouve Macarena Gomez, Jon Kortajarena, Carolina Bang, Ana Polvorosa et Candela Peña pour les principaux, délivrant tous une performance impeccable.
Il est tellement jouissif d'être face à un métrage qui dérange et qui pourtant n'est que le reflet d'une réalité tabou que l'on cherche à dissimuler tant bien que mal. Il est vrai que fermer les yeux a toujours été plus facile pour éviter les problèmes que de se remettre en question. Pieles n'a pas pour vocation de nous tirer des larmes tant bien que mal en versant dans l'émotion facile afin de conquérir le spectateur à sa propre cause. Il le prend, le pose sur un tabouret et le met face à ces "freaks" des temps modernes. Il met en lumière ce voyeurisme inconscient de l'Homme pour tout ce qui est bizarre, pour tout ce qui sort de son étroit carcan, ostracisant ceux qui ne s'y trouvent pas. Ca fait mauvais genre de traîner avec un freak au regard des autres et encore plus mal de nouer une liaison sentimentale. La "réflexion" (terme à mettre entre guillemets) de certains dit que ces personnes discutant avec eux sont étranges et doivent avoir un problème. C'est pourtant oublier que ces monstres de foire sont autant humains que vous et moi. La peau n'est pas ce qui définit l'individu. Pieles est ce que nous pourrions appeler une pellicule intemporelle qui est plus que jamais d'actualitéà une époque où le physique est ce qui fait la beauté d'une personne. Loin d'une mouvance désireuse de mettre fin à cette hégémonie malsaine, cette pollution sociale a encore de beaux jours devant elle.
Note : 16/20