Quantcast
Channel: Cinéma Choc
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2562

Images du Vieux Monde (Qu'est-ce qui a de la valeur dans la vie ?)

$
0
0

Pictures_of_the_Old_World-591169183-large

Genre : Drame social, documentaire

Année : 1972

Durée : 1h04

 

Synopsis :

Dušan Hanák donne la parole aux vieux fermiers solitaires d’un village des Tatras, en les questionnant sur ce qui fait leur raison de vivre.

 

La critique :

Ces derniers temps, j'ai réfléchi un peu sur mon statut de chroniqueur cynique et de mon plan global de travail, où la diversité en était le point d'orgue. L'envie d'aborder des oeuvres rares est présente depuis un moment, mais elle ne s'est jamais montrée aussi insistante qu'à ce jour. Lassé des films plus connus qui ont déjà maintes et maintes fois été traités sur la Toile, repenser son travail en mettant en lumière un grand nombre d'objets rarissimes est une idée que je tenais à concrétiser pas plus tard qu'aujourd'hui. Bien sûr, il y aura toujours une place pour des pellicules plus abordables mais présenter à plus large échelle une batterie de films inconnus ne peut que tendre à confirmer l'avant-gardisme de Cinéma Choc. Je ne parle pas de s'enfoncer dans un éprouvant périple au sein du cinéma turkmène des années 30 mais de voir plus loin que la première couche du Septième Art.
Disons que je n'ai pas mis les petits plats dans les grands ici pour démarrer ma nouvelle vision de modeste contributeur à la pérennité du blog. Je ne pourrai pas échapper aux clichés divers vu que c'est aux confins du cinéma européen que je vous entraîne avec moi, dans une confidentialité de premier goût. Le genre de métrage qui vous reviendrait àêtre taxé de cinéphile pédant se caressant la nouille en regardant de haut la "plèbe inculte". L'archétype de base du binoclard rachitique qui se masturbe devant son savoir qu'il aime étaler à la vue de tous.

Je dois bien avouer rigoler de ces clichés sarcastiques qui ont la dent dure mais non dénués d'un certain fond de vérité dûà des escrocs anticonformistes qui aiment se pavaner en rejetant systématiquement tout ce qui est un tant soit peu connu. Autant couper court en disant que cette frange toxique est mineure et est surtout contre-productive pour transmettre aux novices l'amour du cinéma, pour autant que ceux-ci ne soient pas des réfractaires obséquieux hurlant au néfaste élitisme dès que vous avez le malheur de regarder autre chose que des blockbusters. Complexe d'infériorité d'un côté et de supériorité de l'autre et nous autres au milieu sachant faire la part des choses.
Bref, à ma connaissance, le cinéma slovaque n'a pas encore bénéficié de nos bonnes faveurs. Un petit tour du sujet s'impose surtout quand on a là un pays méconnu même de certains européens. Tout d'abord, l'industrie en elle-même n'est pas au meilleur de sa forme puisqu'elle a le poids d'un manque de moyens financiers et d'un petit public se traduisant par un potentiel de films limité. Comprenez bien que seulement 350 longs-métrages environ ont été tournés dans l'histoire du pays ou tout du moins de la Tchécoslovaquie de jadis et son régime totalitaire qui n'arrangeait rien en termes d'émancipation des cinéastes.

pictures-of-the-old-world---dusan-hanak

Les temps moroses et ce passé trouble ont fait qu'une proportion importante de drames et de films historiques, avec une catégorie incluant un sous-ensemble important de regard sur les événements sociaux de jadis, a émergée. Les thèmes de la ruralité, des célébrations folkloriques et de la nature sont très populaires, surtout auprès de Dusăn Hanàk et son Images du Vieux Monde (aussi appeléPictures Of The Old World ou encore Obrazy Starého Sveta dans sa langue natale). Un homme amenéà devenir l'un des chefs de file de la Nouvelle Vague slovaque par l'intermédiaire de ce film et de 322, qui lui apporteront la notoriété. Pourtant, sous ses travers d'oeuvre oubliée, Images du Vieux Monde récoltera un accueil favorable dans le monde entier avec les satisfécits circonstanciés après avoir été censuré pendant 17 ans. Il faut dire que ce documentaire coup de poing n'y allait pas avec le dos de la cuillère pour dépeindre une réalité que le gouvernement tenait à oublier, persuadé d'avoir mis en place l'idéologie étatique parfaite. Ainsi, ce drame social revêt avant tout les oripeaux d'une oeuvre mal aimée, dérangeante et indésirable pour le pouvoir communiste.
Et on en vient à vite comprendre pourquoi. Une telle réputation (terme à mettre entre guillemets compte tenu de la méconnaissance de la chose) ne pouvait échapper à notre oeil de lynx. 

ATTENTION SPOILERS : Dušan Hanák donne la parole aux vieux fermiers solitaires d’un village des Tatras, en les questionnant sur ce qui fait leur raison de vivre. FIN DES SPOILER. "C'est un film sur la force morale et la beauté intérieure de nos grands-pères, des valeurs qui manquent souvent à l'homme d'aujourd'hui." disait Hanák dans une interview, confortant son appétence pour les traditions folkloriques et in fine familiales. Pas de scénario fabriqué, d'histoire imaginaire contée mais la réalité et rien qu'elle sans fioritures et circonvolutions mal placées. Rien de très extravagant à mettre en évidence si ce n'est de s'intéresser à la vie de quidams, en l'occurrence de vieux fermiers oubliés de tous et porteurs de temps passés marqués par des troubles divers, à commencer par la Seconde Guerre mondiale.
Ce sont des laissés pour compte, des misérables sur lequel le pays a fermé les yeux, se focalisant sur des premiers débuts d'urbanisation. Images du Vieux Monde est une plongée troublante et bouleversante au sein du prolétariat âgé portant sur lui les cicatrices de la dureté de la vie. Le danger aurait été de sombrer dans une ode stupidement larmoyante à l'éloge des vieilles personnes tout en dénigrant les nouvelles générations qui n'ont rien connu de tout ça et ne connaissent pas le travail. Pourtant, il en est tout autre.

Obrazy_25

Il n'y a pas de volonté de semoncer telle ou telle population, ni de vouloir conquérir par tous les moyens possibles le cinéphile à une cause mélodramatique mise en scène avec tous les artifices les plus grossiers pour attendrir. Hanàk ne fait que retransmettre un temps les états d'âme de ces pauvres personnes sur qui le malheur s'est abattu. A notre époque où le divertissement et l'hédonisme sont synonymes de vie réussie, on en vient à croire qu'elles sont engoncées depuis toujours dans une misère existentielle. Une vie vide et sans intérêt dont la mort ne touchera personne.
Cruelle fatalité non dénuée d'une amère vérité. Ils ne sont personne et n'ont aucune considération des castes plus élevées qu'elles. Et toutefois, ils se refusent à abandonner et continuent à vivre, se battre tous les jours car la vie est pour eux un combat à mener. Nul doute que Images du Vieux Monde tend à envoyer un bon gros coup de rangers dans les roubignoles de tous les fatalistes d'aujourd'hui qui hurlent au désespoir dès qu'ils sont touchés par le plus petit drame possible, en faisant des tonnes pour pas grand-chose. Face à eux, des visages affaiblis restant toujours souriants, domptant l'effort, le travail à se battre jusqu'au bout du bout, jusqu'à la fin, sans jamais penser une seule seconde aux pensées les plus sordides alors qu'ils sont plongés dans une solitude tenace qui ne les quittera plus jusqu'à leurs dernières heures. 

Images du Vieux Monde est une fantastique leçon de vie qui ne peut laisser indifférent par ce qu'elle montre et sans jamais tancer qui que ce soit. Elle récolte les témoignages jusqu'à la phrase clé"Qu'est-ce qui a de la valeur pour vous dans la vie ?". La plupart ne savent pas quoi répondre, trop occupé par tous les tracas quotidiens que pour y avoir pensé. Certains n'ont visiblement plus goût à la vie mais ne lâchent rien car ils sont conscients que leur vie est unique et que le repos éternel sera ce qui les attendra. L'un de ceux-là pense toutefois qu'une vie meilleure s'offrira à lui. Parmi ces confidences, ils ont tous vécu des événements laborieux que cela soit la maladie, un bras ou une jambe en moins, parfois même les deux jambes, la perte de la famille, une femme qui se jouait d'un homme pour le poursuivre à la hache parce qu'il a refusé de lui céder son argent. Dans cette encyclopédie de souvenirs divers, les séquences touchantes se succèdent à l'instar de cet homme ayant perdu ses deux jambes et continuant malgré tout à s'occuper des bêtes. Il ira même jusqu'à construire sa propre demeure.
La veillée funeste d'une vieille dame ayant perdu sa soeur, sa mère et son fils ne pourra que marquer le spectateur ou encore la détresse de cet homme incapable de vendre ces oeufs sur le marché car trop chers mais plus naturels que ceux obtenus en batterie. Tout ce microcosme porte en lui des stigmates vivaces. 

shot0011-png2

De même, toute la partie visuelle tient une place prépondérante. Un sublime noir et blanc filmant des décors sauvages et inhospitaliers dans lesquels ces fermiers se fondent littéralement, comme s'ils avaient toujours appartenu à cette terre désolée. Les animaux sont omniprésents et une importance non négligeable d'user de plans rapprochés est entretenue. Hanàk filme les objets du quotidien en apparence sans importance mais qui sont des biens de première importance pour ces "sans-dents" aussi bien au sens propre comme au figuré sans vouloir faire quelques jeux de mots mal placés. Les instruments de musique sont des choses précieuses les réconfortant, sans oublier ce mégalomaniaque et superbe automate. Ces gros plans se feront en toute logique beaucoup sur ces visages vieillis par le temps et le travail, ces gueules cassées usées par l'effort. Tout en filmant, le cinéaste insère çà et là des photographies du plus bel effet. Au niveau du son, il est lui aussi magnifique et judicieusement utilisé sans à aucun moment s'intensifier pour fausser l'émotion. Enfin, on ne pourrait pas parler de jeu d'acteurs au sens fixe vu qu'il n'y a aucune velléité puisque Images d'un Vieux Monde reste avant tout un documentaire vérité.
Mais quoi qu'on en dise, nous sommes touchés par leur histoire. Ils imposent un énorme respect de notre part, habituéà un train de vie plus relax, à leur égard et nous finissons par vite nous attacher à eux.

En conclusion, Images d'un Vieux Monde est l'une de ces oeuvres honteusement peu connues et qui marquent durablement le cinéphile en son for intérieur. Ode à la force physique et morale, éloge à la beauté intérieure, preuve que l'on peut être heureux dans une vie bardée de simplicité loin de toute forme de consumérisme et d'allégeance à la sacro-sainte société de consommation. Les termes manquent si ce n'est que nous sommes amenés à réfléchir sur l'essentiel de la vie, la notion subjective de bonheur et sur les valeurs de l'effort qui tendent de plus en plus à s'amenuiser. Une mosaïque constituée de souvenirs, de savoirs, de rêves et d'espoirs.
Il n'y a pas de place pour les apparences et le paraître qui ne sont que futilités tant que la santé est là et que nous sommes en mesure de travailler. Un constat incoercible s'imposera pourtant à nous qui pourrions dénoncer cette aliénation par le travail en voyant ces femmes et hommes dire que le travail est la chose la plus importante dans la vie. Mais Images d'un Vieux Monde a-t-il des défauts mis à part ça ? Eh bien oui ! Tout d'abord une faible durée qui l'empêche de se concentrer davantage sur ces oubliés de la civilisation. Nous aurions aussi aimé mettre plus en lumière la dimension politique de la Tchécoslovaquie communiste (n'oublions pas que la Slovaquie n'était pas encore un pays à part entière). Malgré tout, ceci est bien peu de choses face à cette leçon de vie qui devrait être visionnée autant par les jeunes que par les personnes âgées et, tant qu'à faire, par tout un chacun.

 

Note : 17/20

 

 

orange-mecanique   Taratata

 


Viewing all articles
Browse latest Browse all 2562

Trending Articles