Genre : Expérimental, inclassable, art et essai
Année : 1970
Durée : 1h19
Synopsis :
Instants volatiles et poétiques de la vie à London, une ville de l'Ontario au Canada.
La critique :
Si vous me lisez depuis un petit temps, vous savez que je promeus fortement un cinéma hétéroclite car il n'y a rien de pire à mes yeux, dans un domaine artistique, que l'uniformisation bridant toute créativité et originalité. Vous devez savoir aussi que j'ai cette sympathie toute particulière pour les oeuvres avant-gardistes. Je pense même que vous devez connaître mon appétence toute distinguée pour la chronique d'oeuvres borderline, rares sur la Toile à avoir été abordées, voire même tout simplement inédites. Et en lisant mon dernier billet, je me prie d'un malicieux sourire à revoir mes priorités et à me focaliser un peu plus sur du confidentiel car je suis persuadé que vous devez être au courant de mon indéfectible amour pour la diversification du travail.
Ainsi donc, parler de métrages amphigouriques sans injection intra-veineuse de LSD ne me fait pas peur, mais tout du moins avec parcimonie. Toutefois, je dois bien me confier à vous car j'y ai été un peu trop fort pour mon cerveau ramolli après une soirée étudiante où j'ai rarement repoussé autant les limites de mon taux d'alcoolémie. Car si je vous susurrais à l'oreille qu'une impression prégnante d'avoir été face à une expérience que n'aurait pas renié le collectif ultra-underground ICPCE (indépendamment de ma volonté), me croiriez-vous ?
Il va pourtant bien falloir me faire confiance surtout si vous connaissez un peu cette boîte canadienne indépendante suscitant d'irrémédiables débats les rares fois au cours desquelles elle est abordée sur Internet. Peu importe sa popularité car elle ne cherche pas à plaire au plus grand nombre. Les chroniques portant sur Contre-Oeil, A Rebours, Incarnation et Le Cinéma des Ruines peuvent en témoigner. Et par un incroyable hasard, c'est justement une pellicule d'art et d'essai native du Canada que je vous apporte sur un plateau constitué d'argent et d'une bouillie de neurones atrophiés par la rédaction. Car The Hart Of London m'aura causé quelques sueurs froides, à commencer par une nécessité de faire décanter ce que j'ai vu car juger à chaud cela aurait été proprement impossible.
C'est pour ça que je ne me suis même pas empressé de démarrer cette chronique car ceci n'aurait eu aucun sens. Mais que je le veuille ou non, le cinéaste Jack Chambers ne m'aurait pas aidé dans ma peine. Mais qui est-il justement ? Outre le fait d'être réalisateur, il est aussi un peintre fortement influencé par le surréalisme et le photoréalisme qui réalisa plusieurs films à partir des années 60 et dont The Hart Of London est l'un de ses plus connus (terme à mettre entre guillemets tout du moins car dire qu'il est méconnu est un euphémisme). Les rares individus à avoir analysé son oeuvre attribuent des liens évidents entre lui et l'américain Stan Brakhage, qui considéra The Hart Of London comme l'un des meilleurs films jamais réalisés.
ATTENTION SPOILERS (si l'on peut dire) : Instants volatiles et poétiques de la vie à London, une ville de l'Ontario au Canada.
Pour la petite info qui ne vous intéressera pas, c'est par un concours de circonstances que je fis sa rencontre par l'intermédiaire d'un individu qui narguait un forum, en jouant au cinéphile faussement pédant, après avoir créé une liste d'oeuvres inconnues et clichées au possible. Vous savez, ces fameux films obscurs que certains sortent avec un air dédaigneux pour se "démarquer de la plèbe inculte". Tandis que la plupart déversaient leur bile sur lui, nous étions quelques-uns à nous intéresser de plus près à toutes ces choses insolites. Je ne peux que le remercier de m'avoir fait connaître Images du Vieux Monde, qui me mit une sacrée claque dans la poire. Mais les choses n'allaient pas se dérouler de la même manière avec Jack Chambers qui définissait son The Hart Of London comme une poésie sur le conflit entre la nature et la civilisation dans sa ville natale.
Certes, je veux bien le croire mais si je devais établir un parallèle avec un autre film, cela serait sans nul doute avec le cultissime L'Homme à la Caméra de Dziga Vertov où lui aussi se plaisait à filmer la vie quotidienne mais à Odessa, en Russie. Seulement, cette comparaison s'arrête bel et bien là au niveau des objectifs car nous obliquons, dans le cas du métrage de Chambers, sur un chemin bien différent.
Nous pouvons diviser le film en deux parties à travers laquelle une césure a lieu. Dans la première, Chambers se plaît à réinventer le vocabulaire visuel où la surimpression cinématographique file de manière stroboscopique. Des plans très rapides de cette ville perdue dans un décor enneigé mais pourtant bien vivante. Ce rythme altère notre champ de vision en raison d'une distorsion jusqu'au-boutiste de l'esthétique noir et blanc où les contrastes se font et se défont, où l'image se tord jusqu'à en agresser les rétines. Autant être clair, bref et concis que le travail esthétique est plus qu'intéressant, allant jusqu'à le désigner comme un authentique résultat d'artiste.
Nous voyons des images de devantures de magasins, des façades d'immeubles, des voitures qui circulent, des gens marcher, parler, rire. Chambers, à l'instar de Vertov, aime capter le pouls de la ville, retransmettant son animation et son énergie. La deuxième partie, quant à elle, est bien différente, vu qu'il n'est plus question de réitérer ces expérimentations mais plutôt de propager son esprit dans une toute autre atmosphère où vie et mort s'entremêlent et sont en fin de compte indissociables. Le noir et blanc s'estompe pour une utilisation plus importante de la couleur, les visions qui nous sont décrites se montrent beaucoup plus austères. Un mouton proprement égorgé sur une table, tandis qu'on assistera à un accouchement avec gros plans sur le vagin. Au vu du traitement de la situation, on a bien du mal à définir ce qui est le plus repoussant entre l'acte de mort et l'acte de vie.
C'est à ce moment-là que certains fins analystes, dans toute leur érudition, avaient reliés le travail de Chambersà celui de Stan Brakhage. N'ayant pas encore vu un peu plus en détail l'oeuvre de ce dernier, je ne pourrais guère m'avancer. Toujours est-il qu'après ces deux séquences peu ragoûtantes, nous faisons la rencontre de ce fameux conflit entre la nature et la civilisation humaine. Deux dualités s'opposent : l'élimination (des chasseurs ramenant un loup en trophée) ou la cohabitation (une famille dont deux enfants allant à la rencontre de cerfs pour leur donner à manger). The Hart Of London peut donc se voir comme un melting-pot des diverses interrogations du cinéaste.
Une harmonie entre la nature et l'Homme est-elle possible ? La mort est-elle une composante essentielle de la vie ? Et au-delà de ça, cette observation philanthropique des premiers balbutiements de l'expansion économique de London. Un témoignage d'un immarcescible amour de Chambers envers sa ville. Seulement voilà, si tout ce petit monde est bien beau et qu'il y a une indiscutable profondeur (difficilement perceptible dans un premier temps, je dois bien avouer), il faut bien dire que le débat sera inévitable.
Un débat qui portera sur tout le traitement. Etant, comme vous le savez, un thuriféraire de la prise de risque dans le Septième Art, se manger 1h20 d'art et d'essai dans la tronche sans qu'il n'y ait point de musique si ce n'est des bruits industriels ou celui de l'eau et sans qu'il n'y ait pas la moindre parole, excepté dans le dernier segment, c'est dur. Et si c'est dur à encaisser, alors l'étreinte du film en sera beaucoup moins importante pour tenir en laisse son spectateur. Il aurait par exemple été plus logique de scinder en 3 parties indépendantes tout cela afin d'alléger la chose. On ne pourra alors échapper aux diatribes et acrimonies diverses de film pompeux et emmerdant.
Mais honnêtement, j'ai beaucoup de mal à ne pas les défendre tant le format long-métrage choisi ne convient pas si nous ne rentrons pas dedans. Et comme nous sommes baignés dans un semi-silence sans scénario, sans réelle bande son et sans jeu d'acteur, il y a un problème. J'aurais fait l'impasse sur l'absence de fil conducteur car il est toujours plaisant d'être ballotté en perdant tous ses repères mais là... Peut-être le visionner en plusieurs fois ferait mieux passer la pilule. Peut-être aussi que cet art visuel au sens propre trouverait plus sa place dans des rétrospectives spéciales en musée. Dans tous les cas, il m'est totalement impossible de fournir une once de note finale à cette expérimentation singulière qui ne pourra que prêter à discussion.
Note : Blblblblbl