Genre : thriller, action, road movie, suspense, fantastique
Année : 1971
Durée : 1h32
Synopsis : Sur une route californienne, un modeste employé de commerce se voit pris en chasse par un énorme camion. Une course-poursuite effrénée s'engage...
La critique :
Le nom de Steven Spielberg rime invariablement avec cette seconde génération de cinéastes issus du monde hollywoodien, celle qui s'accointera, entre autres, avec les blockbusters, les productions babyloniennes et un cinéma transi par l'aventure, le fantastique, la science-fiction et plus généralement ce leitmotiv du divertissement "tout public". Ce n'est pas aléatoire si Steven Spielberg écopera, à postériori, de la couronne somptuaire de « The Entertainment King » (« le roi du divertissement »). Le metteur en scène cite également le cinéma de Georges Méliès comme son principal bréviaire. Son premier succès international se nomme Les Dents de la Mer (1975), un film d'horreur et d'agression aquatique, qui se transmute aussi en une critique au vitriol d'un capitalisme mercantiliste et exponentiel.
Le vrai requin, ce n'est pas ce poisson plantureux qui assaille et tortore quelques touristes un peu trop aventureux, mais ces édiles politiques factieux qui sacrifient la populace au nom de la pécune et de la saison estivale.
Steven Spielberg n'a jamais caché sa dilection ni son appétence pour des metteurs en scène épars et disparates, allant d'Alfred Hitchcock à Fritz Lang, en passant par Stanley Kubrick, Orson Welles et Michel Audiard. La décennie 1980 corrobore son omnipotence sur le cinéma hollywoodien via des oeuvres telles que E.T., L'extra-terrestre (1982), la trilogie consacrée aux tribulations d'Indiana Jones, ou encore La Couleur Pourpre (1985). Par la suite, il enchaînera avec d'autres succès notables et éventuellement notoires. Jurassic Park (1993), La Liste de Schindler (1993), Il faut sauver le soldat Ryan (1998), A.I. Intelligence Artificielle (2001), Minority Report (2002), Arrête-moi si tu peux (2002), La Guerre des Mondes (2005), ou encore Ready Player One (2018) sont autant de réussites commerciales. Corrélativement, le cinéaste démiurgique connaît quelques fiascos au box-office américain.
1941 (1979), Amistad (1997), Always (1989), Le Terminal (2004) et Hook ou la revanche du Capitaine Crochet (1991) n'ont pas vraiment laissé des réminiscences indélébiles, loin de là. Mais avant de coudoyer les vicissitudes de la célébrité, Steven Spielberg s'est déjà notifié auprès des critiques et des cinéphiles avisés. La presse spécialisée encense déjà son tout premier long-métrage, Sugarland Express (1974), notamment pour ses qualités techniques et esthétiques. Mais, auparavant, Steven Spielberg s'était également illustré avec un téléfilm, Duel, sorti en 1971.
Destiné au circuit de la télévision, Duel est tourné seulement en douze jours et doit composer avec un budget famélique. Paradoxalement, ce téléfilm d'action, à la lisière du thriller et du fantastique, épouse les linéaments nébuleux de la série télévisée La Quatrième Dimension, ne serait-ce que par son décor rugueux, désertique et comminatoire.
Grisé par ce succès, Steven Spielberg présente Duel en compétition lors du festival d'Avoriaz. Contre toute attente, ce téléfilm impécunieux s'arroge le Grand Prix du festival. Mieux, le métrage est même diffusé dans plusieurs salles obscures et rencontre les plébiscites unanimes du public. A l'origine, Duel est l'adaptation d'un opuscule éponyme de Richard Matheson. En l'occurrence, le roman initial s'inspire lui-même d'une mésaventure arrivée à l'auteur. Lors d'un voyage en voiture, le cacographe apprend à la radio l'assassinat, puis la mort de John Fitzgerald Kennedy.
Submergé par la peine et la douleur, Richard Matheson a le malheur de quitter la route, un incident à priori sans conséquence, qui provoque paradoxalement les furies d'un camion poids lourds qui se trouve juste derrière l'automobile.
Une course poursuite effrénée s'engage. Richard Matheson échappe de peu à la mort et conservera de cette expérience un souvenir impérissable. Steven Spielberg tombe alors fortuitement sur l'opuscule de Richard Matheson. Enthousiaste, le cinéaste apprécie la trame narrative du roman et souhaite l'adapter via un format télévisuel. Sa requête est ouïe, puis acceptée par le célèbre grimaud. C'est au fil des années que Duel va édifier et magnifier sa réputation de film culte. Déjà, à l'époque, certains producteurs décèlent l'immense potentiel de Steven Spielberg.
Reste à savoir si Duel mérite - ou non - de telles courtisaneries. Réponse à venir dans les lignes de cette chronique... La distribution de ce téléfilm se compose de Dennis Weaver, Jacqueline Scott, Eddie Firestone, Lou Frizzell, Gene Dynarski, Lucille Benson, Tim Herbert et Charles Seel.
Attention, SPOILERS ! (1) David Mann, un voyageur de commerce quitte sa maison et prend la route. Roulant paisiblement dans sa petite voiture rouge, il est rapidement gêné par un imposant camion-citerne. Ce dernier s’amuse à l’empêcher de le doubler. Puis la semi-remorque entame une sorte de jeu où il laisse passer la voiture avant de la doubler à nouveau, jusqu’à la piéger dangereusement en faisant signe à son conducteur de le doubler alors qu’une voiture apparaît sur la voie opposée. A partir de ce moment, s’engage une lutte implacable et disproportionnée entre les deux véhicules.
Un combat acharné et sans répit contre la machine que l’homme devra mener seul et dont la mort pour l’un des protagonistes apparaît comme la seule issue (1). Autant l'annoncer sans ambages. Tout a été dit, glosé, formulé, discuté et péroré sur les thématiques, parfois spinescentes, de Duel.
Certes, à première vue, il serait aisé de qualifier Duel de road movie, de thriller routier ou encore de film d'action lapidaire. Pourtant, sur le fond, ce téléfilm s'approxime davantage à une oeuvre nébuleuse et fantastique qui emprunte à la fois à la série La Quatrième Dimension, ainsi qu'au cinéma hitchcockien. Certes, le scénario de Duel est aussi simplissime que laconique. Il s'agit donc d'un périple en solitaire. On pourrait même logiquement invoquer une sorte de survival. David Mann, un représentant de son état, est inlassablement poursuivi par un poids lourd.
Par ailleurs, on ne verra jamais le faciès de son assaillant. C'est dans quelques menus détails, dans quelques plans acérées et certaines lithographies savamment fomentées que transparaît toute la finauderie de ce téléfilm.
Certes, on ne décèle aucun élément inhérent au fantastique pur et dur. En vérité, la menace ineffable tient justement dans la présence permanente et constante de ce camion, à l'apparence crasse. C'est ce véhicule informe qui constitue la vedette principale du film et plus largement cette mécanique, que Steven Spielberg a le mérite de transmuter en une menace presque vivante et aux fausses allures anthropomorphes. Les vrombissements du véhicule se muent en stridulations humaines. Même remarque concernant cette polarisation sur les phares du camion, comme si le véhicule charnu était nanti de véritables yeux turpides et scopophiles. Par ailleurs, les belligérances entre David Mann et son mystérieux agresseur se dérouleront dans une nature hostile et archaïque.
Cette contrée désertique et insignifiante est plombée par l'apparition subreptice de quelques stations de service.
A l'intérieur, ce sont des êtres humains atones qui parlementent et tournent le dos à un David Mann poltron et pusillanime. Même le héros du film est lui aussi délesté du moindre charisme et semble assujetti à ses pulsions prosaïques et frénétiques. Sa propre automobile n'est qu'une sorte de hublot, voire de huis clos, qui lui permet tout juste d'escarper à une vie que l'on devine sinistre et morose. Sur ces entrefaites, on discerne beaucoup mieux les concerts d'éloges et de dithyrambes qui nimbent ce téléfilm. Il serait particulièrement inconvenant de voir Duel comme une simple course poursuite entre un camion et une automobile. Par ailleurs, certains contempteurs crédules réitèreront la même omission pour Les Dents de la Mer. Non, Jaws n'est pas seulement un film de requin, en tout cas, pas que...
Pas seulement... Il en va de même pour Duel. Via ce téléfilm, Steven Spielberg oblique déjà vers une route aventureuse. Ce n'est pas un hasard si le cinéaste tangente vers le thriller routier, un chemin escarpé qui le conduira vers un itinéraire lui aussi semé d'embûches, de victoires mais aussi de fiascos commerciaux. Plus de quarante-cinq après sa sortie, Duel reste un thriller fantastique majeur, et qui influencera toute une pléthore d'épigones, notamment Hitcher (Roger Harmon, 1986) et Une Virée en Enfer (John Dahl, 2002).
Note : 16/20
Alice In Oliver
(1) Synopsis du téléfilm sur : http://www.dvdclassik.com/critique/duel-spielberg