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Pluie Noire (L'éclair qui tue, aussi appelé bombe atomique)

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Genre : Drame, guerre

Année : 1989

Durée : 2h03

 

Synopsis :

Le 6 août 1945, la première bombe atomique explosait au-dessus de la ville d'Hiroshima. Yasuko, à bord d'un ferry en route vers la résidence de son oncle, reçoit avec les autres passagers la "pluie noire" radioactive. 1950, Yasuko vit avec son oncle et sa tante à la campagne. Elle est en âge de se marier, mais la rumeur court qu'elle était sur les lieux de la tragédie après l'explosion.

 

La critique :

De tout temps, la guerre a toujours eu pour effet de provoquer la peur. La peur de mourir au champ de bataille ou la peur de voir le monde après, suite aux conséquences funestes qui en ont résulté. Si les vertus patriotiques ont peut-être permis de canaliser l'instinct de survie derrière un mur de courage et d'honneur pour la défense de la nation, même la plus grande fierté ne peut protéger de la mort. L'histoire ne nous l'a répété que trop de fois sans que nous n'en tirions pour autant les enseignements nécessaires à une paix durable. Même à notre époque, si le risque de conflit mondial est écarté, des tensions géopolitiques, religieuse, inter-ethniques continuent d'être galvanisées au nom de préceptes arriérés et/ou vecteurs de désolation de petite ou grande ampleur.
Comme le proverbe polonais le dit si bien : "Quand la guerre commence, l'enfer s'ouvre". La guerre étant une composante triviale dans la naissance de l'Homme, on en vient à penser qu'elle fait partie intégrante de lui, qu'elle est consubstantielle à l'essence de l'être soi-disant le plus développé. Si certains réalisateurs optimistes semblent penser le contraire, on a bien du mal à leur donner raison quand nous voyons les ravages que notre espèce cause de siècle en siècle ou de minute en minute. Et le conflit que nous catégorisons comme tel a bien malheureusement touché les quatre coins du globe depuis l'avènement de l'être humain. 

Sans vouloir sombrer dans le concours obscène des plus grosses lamentations et de celui qui a le plus souffert, nul doute que le Japon est une bien triste victime contemporaine des pulsions belliqueuses humaines. Elle eut en effet cet "honneur" (si je puis dire) d'avoir le peuple qui a pu goûter aux ravages de la bombe atomique, conçue lors du tragique projet Manhattan et larguée le 6 août 1945 à Hiroshima. Allez savoir pourquoi les USA, apparemment garants de la paix dans le monde, n'ont jamais été poursuivi. Trois jours plus tard, c'était au tour de Nagasaki de goûter au feu nucléaire et de clôturer la dernière ville de l'histoire à avoir subi cette atrocité. Que cela soit au Japon ou de par chez nous, le nucléaire fascine autant qu'il fait peur. Il nous aide dans nos tâches quotidiennes sans pour autant supprimer notre hantise à son égard quand on pense au chaos qu'il peut engendrer.
Cette fameuse peur du nucléaire aura son point culminant lors de la mythique Guerre Froide. Dans un Japon tentant de panser péniblement ses plaies, des nouvelles générations désabusées virent le jour, ayant grandi au beau milieu d'un pays dévasté par le bellicisme de leurs aînés, et formeront le renouveau du cinéma japonais qu'il convient d'éloigner de son classicisme. Mais pas de pinku eiga en ce jour mais un retour à la Nouvelle Vague japonaise que j'affectionne au plus haut point pour retrouver Shohei Imamura, l'un des très rares à avoir obtenu à deux reprises la prestigieuse Palme d'Or de Cannes. Par le passé, le blog a suscité son intérêt envers cet esthète oublié des profanes avec les chroniques successives de L'Evaporation de l'Homme, La Vengeance est à Moi et Le Pornographe. Vient ensuite Pluie Noire qui rejoindra notre petite liste des oeuvres de ce courant cinématographique d'exception.

 

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ATTENTION SPOILERS : Le 6 août 1945, la première bombe atomique explosait au-dessus de la ville d'Hiroshima. Yasuko, à bord d'un ferry en route vers la résidence de son oncle, reçoit avec les autres passagers la "pluie noire" radioactive. 1950, Yasuko vit avec son oncle et sa tante à la campagne. Elle est en âge de se marier, mais la rumeur court qu'elle était sur les lieux de la tragédie apres l'explosion.

Sorti en 1989, Pluie Noire fait partie des derniers films de son auteur qui choisit de retourner au noir et blanc pour amplifier le désespoir de son matériau de départ. L'image aura la couleur de la cendre et de la poussière comme celles qui ont balayé le 6 août 1945 Hiroshima pour faire en sorte que le Japon capitule. Pour se faire, Imamura s'inspire du roman homonyme de Masuji Ibuse pour retranscrire la peur dans laquelle son adolescence s'est faite. Au moment de sa sortie, le film essuie un échec commercial mais parvient avec le temps à se hisser parmi les pellicules incontournables de son géniteur que beaucoup citent comme étant une expérience dure et intense. On ne pourra pas vraiment s'y tromper dès les premières minutes du film. La journée est ensoleillée à Hiroshima, les habitants vaquent à leurs occupations et tout à un coup un flash secondé d'un souffle dévastateur détruisant tout sur son passage. En s'extrayant des gravats, la famille que nous suivons découvre l'enfer descendu sur Terre.
Les habitations ont été soufflées, les incendies sont légions, les cadavres s'amoncellent et une troupe de survivants réduits à l'état de zombies arpentent les rues hagards, blessés, défigurés. Les visions d'horreur se multiplient : un enfant complètement brûlé tente de se faire reconnaître auprès des passants, une mère et son bébé gisent calcinés sur le sol, un homme ayant une moitié de visage à la chair rongée par les radiations. Cette séquence courte, voire même insoutenable nous semble être une éternité face à l'enfer auquel nous assistons impuissants.

Quelques flashbacks de ce temps passé reviendront, mais ça ne sera guère plus car Imamura ne tient pas à se polariser sur les répercussions directes mais sur celles à plus long terme qui ne quitteront plus jamais la destinée des hibakusha, soit "les personnes affectées par la bombe". Même s'ils ont eu de la chance de ne pas avoir eu de blessures physiques irréversibles, ils portent en eux le destin funeste d'une vie s'achevant beaucoup trop tôt. Il faut dire que les insidieuses radiations peuvent entraîner des cancers et tout ce qu'il s'en suit. La vie a fini par reprendre son cours pour tout un chacun dont notre famille installée à la campagne rythmée par le petit train-train quotidien. Malgré la seconde Guerre Mondiale et le feu nucléaire, les japonais ruraux ont réussi à retrouver leur harmonie d'avant et continuent à perpétuer leur mode de vie séculaire et traditionnaliste. Même avec toutes les horreurs possibles, ils ont su passer outre, tiennent à faire table rase du passé et d'aller vers l'avant, vers des jours meilleurs.
Dans ce village, les esprits s'organisent pour améliorer la vie de chacun. Ainsi, un ancien combattant rendu fou par l'horreur des combats est pris de crises de paniques, se croyant encore en temps de guerre, à chaque fois qu'il entend un bruit de moteur lui rappelant les véhicules militaires. De l'autre, une jeune femme élégante à la recherche d'un mari pour faire sa vie.

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Le problème est qu'elle porte sur elle ce fardeau d'avoir été là lors de la pluie noire ayant tout juste précédé la tragédie de l'explosion que les paysans nomment "l'éclair qui tue". Cela l'expose à la peur des prétendants, effrayés par la rumeur malgré les certificats de santé fournis. Soyez bien sûr avant de lancer le visionnage que Pluie Noire ne risque pas de vous faire passer un bon moment. On a là le fruit d'une tragédie sociologique narrant l'après-vie de ces âmes malmenées, mourant peu à peu, condamnées d'avance même si les premiers symptômes ne sont pas encore apparus. Les laissés pour compte sont nombreux et Yasuko en sera une, privée du droit de s'épanouir en couple. De son côté, Shokichi, le garçon fou, ne bénéficie d'aucun traitement et n'est aidé que lorsqu'il doit s'extirper de l'ire de personnes en chemin sur la route au volant d'un véhicule motorisé.
Deux choses les relient entre eux : l'abandon et un lourd passé de tristesse. C'est ainsi qu'ils finiront par nouer une attirance l'un envers l'autre car seul celui qui a vécu l'innommable peut comprendre l'autre. En parallèle, certains revenus au village commencent à mourir et les membres restants doivent supporter un nouveau deuil les frappant. La prise en charge médicale est loin d'être optimale pour ne rien arranger. Non content d'affronter les problèmes de santé, ils doivent se coltiner en plus le mépris et le rejet du reste de la population, vivant dans la honte de la défaite. 

Le trait choquant et bouleversant de Pluie Noire ne réside pas seulement dans la manière de filmer le désastre nucléaire comme jadis Peter Watkins l'a fait avec le terrifiant La Bombe mais aussi d'étudier, d'explorer les prolongements sous-jacents nuisibles pour l'épanouissement moral. La peur absurde, l'ignorance et la rancune sont autant d'armes aussi destructrices que les radiations, les brûlures, les malformations ou la perte de cheveux. L'exclusion socio-professionnelle peut aussi être affreuse dans sa finalité car elle induit un risque fortement augmenté de vivre dans la précarité. Fort heureusement, car nous aurions pu sombrer dans la catastrophe si cela avait été le cas, Imamura ne verse à aucun moment dans l'anti-américanisme primaire.
Il ne parle qu'une seule fois d'eux, n'accuse qui que ce soit, ne cible aucune personne car il ne fait que dépeindre le quotidien et rien d'autre. La seule chose sur laquelle il pointera son doigt est sur la nature humaine qui reproduit toujours ses erreurs, s'autodétruit lentement mais sûrement car elle ne peut réfréner ses pulsions de violence. "L'Homme tisse la corde qu'il utilisera pour se pendre" comme Shizuma le dira à la fin en entendant à la radio la réflexion des dirigeants américains pour employer la bombe nucléaire dans la Guerre de Corée. Il faut croire que les 150 000 morts d'Hiroshima n'ont pas suffi à tirer les choses au clair...

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Il était très judicieux de recourir justement, comme je le disais, au noir et blanc pour mieux faire ressortir la détresse humaine. La courte séquence de la pluie noire fait partie intégrante de l'image. Elle fait corps avec elle, se mêle avec toutes les autres parties comme si sa présence était normale et qu'elle avait toujours été là. Imamura réitère son professionnalisme dans la manière de filmer. Le réalisme de Hiroshima en feu en est bluffant pour contraster sur ce petit village bucolique où souffrance et malheur en sont devenus presque banalisés. Le réalisateur nous gratifie de plans très aérés sur les très beaux décors environnants (si on veut) ne nous épargnant aucun détail quelconque.
La composition musicale est très souvent discrète et sans jamais amorcer la moindre esquisse de dramatisation outrancière qui ruinerait tout. Enfin, les acteurs se débrouilleront tous bien avec les honneurs, nous touchant de par leur sincérité, leur résistance et leur ténacité. On peut faire mention de la très belle Yoshiko Tanaka nous envoûtant par sa candeur. On citera aussi Kazuo Kitamura, Shoichi Ozawa, Norihei Miki et Hisako Hara pour les principaux.

Il est donc assez étonnant de se rendre compte qu'il n'y a pas énormément de films nippons traitant de cette douloureuse période. Peut-être est ce le fait que ceux-ci sont passés à autre chose et ne tiennent plus à s'embourber dans un passé révolu. Ce qui est, en fin de compte, une très bonne chose ! Néanmoins, on ne peut fermer les yeux sur l'innommable que représente la bombe atomique, ce fameux éclair qui tue, dont les ravages s'étalent sur des dizaines et des dizaines d'années après coup parmi les survivants que nous appellerons victimes vu les dégâts collatéraux. En ce sens, l'humilité japonaise a de quoi impressionner car la critique s'adresse avant tout aux dirigeants qui connaissent les dangers de l'arme atomique mais ne se gêneraient pas de l'utiliser encore si c'était possible.
On ne parle pas là des américains mais du pouvoir dans sa globalité. La seule fois où ils mentionneront les américains sera dans ce questionnement resté sans réponse : Pourquoi ont-ils fait cela ? "Mieux vaut une paix injuste qu'une guerre juste" dira Shizuma dans les derniers instants avant qu'un final déchirant ne clôture le visionnage d'un authentique drame humain jamais voyeuriste. Une phrase qui prêtera à débat pour certains mais nous serons tous d'accord que commencer une guerre juste, c'est ouvrir les portes d'un enfer loin d'être juste.

 

Note :17/20

 

 

orange-mecanique   Taratata

 


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