Genre : western
Année : 1965
Durée : 2h10
Synopsis : "L'indien", bandit cruel et fou, s'est évadé de prison. Il se prépare à attaquer la banque d'El Paso, la mieux gardée de tout l'Ouest, avec une quinzaine d'autres malfaiteurs. Le "Manchot" et le Colonel Douglas Mortimer, deux chasseurs de primes concurrents, décident, après une confrontation tendue, de faire finalement équipe pour arrêter les bandits. Mais leurs motivations ne sont pas forcément les mêmes...
La critique :
Indubitablement, le western profitera de l'essor du noble Septième Art pour acter et officialiser son omnipotence sur le cinéma durant plusieurs décennies, avant de péricliter pendant les années 1980. Inexorablement... Ainsi, le western s'empare du cinéma muet et flagorne l'industrie hollywoodienne, alors en pleine effervescence. Non seulement, ce registre cinématographique s'inspire de la conquête de l'Ouest, mais également de l'histoire des Etats-Unis, à la fois transie par la colonisation de l'homme blanc sur un nouveau territoire, et surtout par son comportement belliqueux envers les Indiens. Puis, à postériori, les westerns épouseront les rudiments et les linéaments de la série B via des scénarii peu ou prou analogiques. Le cowboy, de préférence blanc et hétérosexuel, devient cette figure archétypale à la fois dotée de pugnacité, de vaillance et régie par les codes de la bienséance.
Le western est alors empreint de manichéisme, de xénophobie latente et de moralines patriotiques. Ce registre cinéphilique dépeint avec solennité cette lutte - parfois fratricide - entre les "gentils" et les "méchants". Les shérifs préfigurent cet ordre hégémonique qui doit supplanter une voyoucratie en dissidence, mais aussi des Indiens qu'il faut à tout prix chasser, ostraciser, rabrouer et même exterminer. Mais entre la fin des années 1950 et l'orée des années 1960, le public commence sérieusement à se lasser et à persifler contre ses trames scénaristiques peu ou prou analogues.
Il est de temps de rectifier certaines carences. La requête est enfin ouïe par Sergio Leone. Le réalisateur démiurgique réinvente alors le western spaghetti, un sous-genre qui peut se définir comme la coalescence entre diverses influences majeures.
Il n'est plus question d'adopter un point de vue inique et partial, avec d'un côté les "méchants" (les opprimés) et de l'autre les "gentils" (généralement les oppresseurs), mais de proposer des protagonistes retors, nébuleux et complexes. Le western spaghetti se montre beaucoup plus misanthrope en abordant des thématiques spinescentes. Ainsi, les films noirs pullulent et coudoient les affres de la désinvolture et de la turpitude. Le viol, la vindicte personnelle et la loi du Talion sont des sujets récurrents dans le western spaghetti. Cette fois-ci, la caméra se polarise davantage sur le faciès de personnages en déveine et condamnés à dépérir - un jour ou l'autre - sous les balles.
En outre, Sergio Leone débutera sa carrière cinématographique en tant qu'assistant-réalisateur. Son influence prédominante se nomme John Ford, un metteur en scène auquel il fait voeu d'allégeance et d'obédience.
Seule dissimilitude et pas des moindres, Sergio Leone se définit comme un pessimiste. Il s'aguerrit derrière la caméra sous les précieuses instigations de William Wyler durant le tournage de Ben-Hur (1959), et de Robert Aldrich avec Sodome et Gomorrhe (1962). Puis, vers l'orée des années 1960, il signe son tout premier long-métrage, Le Colosse de Rhodes (1961), un péplum et surtout un film de commande. Les producteurs exhortent Sergio Leone à poursuivre dans le péplum, mais le cinéaste n'a cure des injonctions de ses financeurs. Il tourne alors Pour une poignée de dollars (1964), soit le premier volet de la Trilogie du Dollar. Contre toute attente, cette production impécunieuse remporte les plébiscites du public et de critiques unanimement extatiques.
Pourtant, sur la forme, Pour une poignée de dollars n'est qu'un remake du film japonais Le Garde du Corps (Akira Kurosawa, 1961).
Ainsi, Sergio Leone invente une nouvelle figure iconique : l'homme sans nom, une sorte de pistolero qui dégomme tout le monde et profite des belligérances entre deux clans rivaux. Le réalisateur transalpin poursuivra les animosités avec Et pour quelques dollars de plus (1965) et Le Bon, la Brute et le Truand (1966). Grisé par ce succès, il enchaînera avec Il était une fois dans l'Ouest (1968), Il était une fois la Révolution (1971), Mon nom est Personne (1973) et Un génie, deux associés et une cloche (1975), avant d'obliquer vers un registre totalement divergent via Il était une fois en Amérique (1984).
Aujourd'hui, c'est le second segment de la Trilogie du Dollar, Et pour quelques dollars de plus, qui fait l'objet d'une chronique dans nos colonnes diffuses.
On ne change pas une formule gagnante. Telle est la formule idoine et qui sied le mieux à ce second chapitre en apothéose.
Bien conscient du phénomène "western spaghetti", Sergio Leone requiert derechef l'érudition de Sergio Leone derrière la musique du film. La distribution de ce western se compose de Clint Eastwood, Lee Van Cleef, Gian Maria Volonte, Mario Brega, Luigi Pistilli, Klaus Kinski, Aldo Sambrell, Benito Stefanelli, Panos Papadopulos et Luis Rodriguez. Attention, SPOILERS ! (1) Deux chasseurs de prime, le Manchot et le colonel Douglas Mortimer - dit "le vieux", recherchent le même criminel : l'Indien, d'abord séparément puis ensemble. Mais leurs motivations ne sont pas forcément les mêmes... L'Indien, bandit cruel et psychopathe, s'évade de prison avec la complicité de sa bande.
Avant de quitter la prison, il exécute son compagnon de cellule et le directeur de la prison. Il tue en duel l'homme qui l'a livré, non sans avoir fait tuer juste avant la femme et le fils de ce dernier.
Il annonce à sa bande qu'ils vont s'attaquer à la banque d'El Paso, connue pour être l'une des mieux gardées de l'ouest. En prison, il a connu un menuisier — le compagnon de cellule qu'il a tué avant de s'évader — qui lui a raconté que l'argent de la banque est principalement caché, non dans le coffre de la banque, mais dans un meuble qu'il a conçu pour dissimuler un autre coffre. Deux chasseurs de primes concurrents, le Manchot et le colonel Douglas Mortimer sont à la poursuite de l'Indien. Dans un premier temps, ils se jaugent en se provoquant mutuellement mais en évitant le duel. Ils décident finalement de faire équipe pour arrêter l'Indien et sa bande (1).
Avec Pour une poignée de dollars, Sergio Leone menaçait déjà allègrement l'industrie hollywoodienne par sa verve et son irrévérence.
Avec ce second chapitre de la Trilogie du Dollar, il corrobore définitivement son absolutisme sur le western spaghetti. Désormais, le genre appartient au cinéma transalpin, un véritable pied de nez pour le cinéma hollywoodien ! Cette fois-ci, le grand Ouest américain n'est pas observé comme une sorte de territoire atone et seulement nimbé par des figures antagonistes. Malicieux, Sergio Leone amalgame les saynètes hors champ et contre-champ pour mettre en exergue des personnages à la fois rivaux, alliés, amis et ennemis. Tout dépend, in fine, de la cause à défendre.
Au détour de gros plans acérés sur les faciès de ses divers protagonistes, le spectateur hébété est sommé de subodorer la suite des martialités. Le Manchot et le Vieux vont-ils finalement se coaliser pour mettre un terme aux vils desseins de l'Indien et de sa bande, ou alors d'affronter lors de rixes interminables ?
De l'autre, l'Indien est-il ce bandit sociopathique et prêt à sacrifier les siens pour remporter le plantureux butin, ou alors cet homme contristé et pourchassé par un passé enténébré ? La réponse de Sergio Leone est cinglante. Tout se joue sur de menus détails, ne serait-ce qu'à travers certaines mines déjà trépassées, dans un froncement de sourcils, dans un air provocateur ou encore dans ce maniérisme qui s'exerce dans la manipulation d'un colt vrombissant. Dans le cinéma de Sergio Leone, il n'existe pas vraiment de "bons" ni de "méchants", mais avant tout des hommes, à la fois guidés par l'appât du gain, la survie, la vindicte personnelle et leurs propres pulsions archaïques.
Même plus de cinquante ans après sa sortie, Et pour quelques dollars de plus reste une influence proéminente pour toute une génération de réalisateurs. Résolument moderne en dépit de son obsolescence (un oxymore...), Et pour quelques dollars de plus n'a pas usurpé son statut de film culte, ni de classique sérénissime. Si ce long-métrage reste le succès le plus probant de Sergio Leone, il n'est pas non plus cette figure emblématique du western spaghetti. Le metteur en scène italien affinera encore davantage les somptuosités avec Le bon, la brute et le truand, soit le troisième et dernier volet de la Trilogie du Dollar, souvent considéré comme la quintessence de l'art polymorphe de Sergio Leone.
Note : 16/20
Alice In Oliver
(1) Synopsis du film : https://fr.wikipedia.org/wiki/Et_pour_quelques_dollars_de_plus