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Morphine (Les médicaments ne sont pas toujours nos amis)

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Genre : Drame (interdit aux - 12 ans)

Année : 2008

Durée : 1h50

 

Synopsis :

Un jeune docteur russe appelé Mikhail Polyakov arrive dans un petit hôpital de campagne. Tout juste diplômé et avec très peu d'expérience, il est le seul docteur de la région. Il déclenche une allergie à la suite d'un vaccin contre la diphtérie et demande à une des infirmières Anna de lui injecter de la morphine pour contrer les effets négatifs. Il en tombe rapidement dépendant.

 

La critique : 

Depuis ses premiers balbutiements, Cinéma Choc n'a jamais caché sa curiosité et son ouverture d'esprit pour renâcler dans les pays au Septième Art peu connus des profanes. Ainsi, la Russie, lentement mais sûrement, suscite toujours notre appétence de par ses thématiques, sa glorieuse histoire et ses réalisateurs cultes que nous ne présentons plus depuis le temps. Certes, certaines icônes emblématiques n'ont pas encore bénéficié de nos faveurs mais croyez nous qu'elles arriveront à se faire une place tôt ou tard si leurs créations entrent en accord avec les termes du blog. En dépit d'une réputation un peu sous-estimée, voire même confinéà un certain anonymat, le cas de Alekseï Balabanov mérite pourtant de s'y attarder. Certains doivent déjà sans doute savoir de qui il s'agit puisqu'il a déjàété abordé dans nos colonnes, il y a bien longtemps, avec l'étrange mais néanmoins intriguant Des Monstres et des Hommes.
Cette oeuvre, que nous pourrions voir comme un OFNI (Objet filmique non identifié), avait réussi à marquer la psyché des chanceux à l'avoir vu, perturbés par cette ambiance glauque et inquiétante qui en émanait. S'il est surtout connu pour son film Le Frère et sa suite sobrement appelée Le Frère 2, gare à ne pas minorer la qualité de ses travaux plus confidentiels. Preuve en est avec l'un de ses derniers films du nom de Morphine, sorti en 2008, soit 5 ans avant qu'une crise cardiaque ne l'emporte à 54 ans seulement.

De manière surprenante, on ne retrouve quasiment pas de sites français en parlant, si ce n'est quelques sites généraux de recensement. Forcément, ne vous attendez pas à trouver quelque information croustillante à vous mettre sous la dent si ce n'est que Morphine est basé sur le recueil de nouvelles semi-autobiographique de Mikhail Bulgakov appeléCarnets d'un jeune médecin. Oui vous avez bien lu ! On parle bien d'un livre de confidences de son auteur écrivain et médecin, accablé de travail et de responsabilités très lourdes après avoir été envoyé par Moscou dans un petit hôpital de campagne. Même si sa détermination est sans faille, il finit par devenir morphinomane à la suite d'une allergie au sérum antidiphtérique dont il a été soulagé par des injections de morphine.
En d'autres termes, c'est ce que nous serons invitéà visionner. Ainsi, nous entrons en plein dans la catégorie des films traitant du sujet spinescent de l'addiction. On n'omettra pas de citer des titres comme Requiem For A Dream, Moi Christiane F. 13 ans, droguée, prostituée, Trainspotting ou Las Vegas Parano parmi les plus célébrissimes. Si les deux derniers cités se montraient plus "babacools" dans leur mise en scène, ce n'était pas vraiment le cas du premier mentionné et encore moins du deuxième avec un Uli Edel très en forme derrière la caméra qui acquerra une grande réputation à sa sortie. Malheureusement pour Balabanov, c'est le sceau de l'anonymat qui le frappe et il faudra faire preuve d'investigation avant que vous en entendiez parler.

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ATTENTION SPOILERS : Un jeune docteur russe appelé Mikhail Polyakov arrive dans un petit hôpital de campagne. Tout juste diplômé et avec très peu d'expérience, il est le seul docteur de la région. Il déclenche une allergie à la suite d'un vaccin contre la diphtérie et demande à une des infirmières Anna de lui injecter de la morphine pour contrer les effets négatifs. Il en tombe rapidement dépendant.

Voilà une histoire que l'on n'a pas l'habitude de voir souvent dans le cinéma me direz-vous, ce à quoi je répondrai par l'affirmative. Comme son titre l'indique, il serait foncièrement débile de s'attendre à voir la prise de drogues rudimentaires et/ou ravageuses sur la santé du corps humain. On parle ici de la morphine, un médicament autorisé et utiliséà grande échelle. Dérivé de l'opium, servant aussi à la production illégale d'héroïne, il est utilisé comme antalgique, soit un médicament utilisé pour lutter contre la douleur. Les junkies, eux, s'en servent parfois comme drogue pour son action euphorisante. Fin de la petite parenthèse médicinale ! Bref, une molécule complexe aussi indispensable avec modération que dangereuse si on veut en abuser sans contrôle. Pour le docteur Polyakov, cela se fera bien malencontreusement à la suite d'un concours de circonstances, dans cet hôpital perdu au beau milieu de ce qui pourrait sembler être un no man's land. Ce centre de soins est situé au milieu de nulle part, éloigné de toute civilisation et se caractérise avant tout par sa vétusté.
Il n'y a pas de voies de communication et ni de routes pour permettre une meilleure coordination et accessibilité. Concernant les bâtiments même, on préférerait à notre époque encore s'opérer tout seul plutôt que de devoir subir ça dans ce cloaque qui causerait plus d'un infarctus aux inspecteurs de l'hygiène spécialisés des infrastructures scientifiques.

Car aujourd'hui, et je suis bien placé pour le savoir en tant qu'étudiant dans ce domaine, il y a de nombreuses règles strictes à suivre et à appliquer pour éviter toute contamination d'ordre bactérienne via ce que l'on appelle sommairement "les bonnes pratiques de laboratoire" (apprises dans mon cours de GMP-GLP). Pensez bien que l'on ne se souciait pas vraiment de ces considérations au siècle dernier et que la stérilisation visiblement, on s'en foutait comme de nos dernières chaussettes. La salle d'opération, on y rentre comme dans un moulin. On ne porte pas de gants. On anesthésie les personnes avec du chloroforme répandu sur un tissu que l'on met sur leur visage et parfois on y fume avec dispersion des cendres à proximité du malchanceux se trouvant sur la table d'opération. Il fallait faire avec les moyens du bord en ces temps troubles de Révolution russe oùétaient abandonnés des milliers de personnes, de laissés pour compte perdus dans ces étendues désolées et éloignées minées par les tares de l'alcoolisme, de la toxicomanie, de la malnutrition et de l'isolement.
Même avec les réformes obtenues et les changements sociétaux, rien ne change pour eux et le gouvernement préfère fermer les yeux sur cet échec. Pour ne rien arranger, certains hôpitaux n'ont pas un approvisionnement correct en médicaments. La morphine est en priorité réquisitionnée pour les soldats. On s'interroge aussi sur l'enseignement de la médecine en Russie car, à plusieurs reprises, Mikhail fera un bond dans son bureau juste avant l'opération pour passer en revue les caractéristiques de la zone à opérer.

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Si son allergie au sérum en est l'élément déclencheur, il y a fort à parier que les conditions de travail, les moyens dérisoires et les nombreux patients n'ont rien arrangéà son moral miné par l'austérité des lieux où certains dispensaires se livrent une guerre interne pour avoir plus de médicaments que son voisin. C'est une lente et progressive descente aux enfers dans lequel il s'embarque lui et une infirmière tombant amoureuse de lui, devenant complice de ses vols répétés de morphine à la pharmacie de l'hôpital. Cette plongée nihiliste ne l'épargnera pas autant physiquement que psychologiquement. On assiste à la dégradation de son teint devenu plus blanc, son irascibilité, ses crises de colère intermittentes mais toujours en tâchant d'être rigoureux dans son métier.
Malheureusement, un métier qu'il finira par ne plus savoir exercer, et c'est là que nous rentrerons dans la dernière partie que je tâcherai de conserver secrète pour ne pas spoiler l'uppercut final riche en symbolique et d'un désespoir total. Indéniablement, Morphine ne nous épargne pas sa crudité, sa cruauté et sa noirceur peu commune. On retrouve ce jusqu'au-boutisme qui nous avait tant désarçonné dans Des Monstres et des Hommes en nettement plus saignant, si je puis dire ici.

Car dire que le film est cru relèverait de l'euphémisme face au triste spectacle des opérations. Amputation d'une jambe filmée sous toutes les coutures dont la tournure prend plus l'allure d'un carnage que d'une opération en bonne et due forme, visages brûlés, membres pourrissants, accouchement particulièrement rude ou une trachéotomie sur une jeune fille. Bref, le spectateur saura apprécier la bonne tenue des opérations en Russie durant la Révolution. Des situations qui auraient parfois pu être évitées si les blessés n'avaient pas eu recours aux charlatans "guérisseuses" peuplant la Sibérie. Face à de telles atrocités auxquelles Mikhail ne pensait pas être préparé, il tente de garder le cap mais sa santé mentale chancelante va de pair avec une perte totale de compassion et d'amour, retransmis par des préliminaires bestiaux, pervers et désenchantés.
Seule la morphine est l'amour inconditionnel du docteur et aucune femme ne changera ça. Indubitablement, Morphine cogne et estomaque là oùça fait mal, surtout quand on ne s'attendait pas à un tel impact frontal. Toutefois, il n'est pas exempt de défauts, à commencer par cette fâcheuse tendance des intertitres cassant le rythme et annonciateurs de la situation à venir. C'est dommage car ça détruit la surprise et offre une dimension sous forme de chapitres dont l'on aurait pu se passer. Certaines séquences auraient pu aussi être évitées. Je pense à celle des loups attaquant le traîneau qui était plutôt de mauvais goût. 

Morphine

Pour tout doucement finaliser comme d'habitude la chronique avec cet avant-dernier paragraphe, nous ne pouvons que soumettre notre admiration à la qualité globale de l'image. Entre la reconstitution bluffante des décors, les éclairages sombres, la maestria de la caméra et les très beaux plans, nul doute que Morphine est un très bon élève et sait bercer nos rétines sans toutefois s'immiscer comme expérience visuelle incontournable. La bande son est elle aussi d'une évidente qualité, s'insérant judicieusement avec l'ambiance globale froide, au sens propre comme au figuré. Enfin, saluons l'excellente prestation de Leonid Bitchevine totalement dans la peau de ce praticien tourmenté par son addiction qu'il n'a pas voulu. Ingeborga Dapkunaité est aussi impeccable en interprétant cette infirmière emportée par une passion amoureuse non partagée. Le reste des acteurs est aussi correct sans nous transcender pour autant. Notons Andreï Panine, Sergueï Garmach, Svetlana Pismichenko, Irina Rakchina et Alekseï Polounian parmi les rôles notoires et/ou notables.

J'aurais bien du mal à terminer ce billet en cachant ma déception de savoir que ce très bon cru de Balabanov est cantonnéà l'oubli alors qu'il n'a rien à envier aux grands classiques de ce type de pellicules transgressives qui ne se prive pas d'afficher sous un jour peu reluisant un des antalgiques parmi les plus utilisés dans le monde. Cela nous rappelle que les médicaments ne sont pas toujours nos amis et qu'il est bon parfois de ne pas en abuser. Loin de moi l'idée de faire le militant de la cause anti-médicaments synthétiques bien sûr. Reste que Morphine est un film incisif, qui sait manier son sujet en dépit de ce concept alambiqué qui tend à manquer de liant à une histoire qui aurait pu mieux être retransmise sous une forme continue (surtout que la durée se prête très difficilement à ce genre d'exercices). Une petite pellicule méconnue qui ne cherche jamais à péter plus haut que son cul, nantie d'un budget que l'on devine peu élevé mais préférant opter pour la carte de la réflexion et de l'intelligence plutôt que pour celle des grands moyens et autres artifices.
Car la morphine n'a pas besoin d'effets spéciaux pour se matérialiser et démontrer que sous sa faculté d'atténuer la douleur, elle peut en faire émerger une beaucoup plus pernicieuse.

 

Note : 16/20

 

 

orange-mecanique   Taratata

 


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