Genre : Drame, érotisme, pinku eiga (interdit aux - 16 ans)
Année : 1972
Durée : 1h29
Synopsis :
Un groupuscule marxiste obsédé par le sexe décide de faire régner l'anarchie autour d'eux.
La critique :
Quelle surprise n'est-ce pas ! Voilà un moment que l'on n'y avait plus eu droit à ce charmant et difficile petit garçon du nom de Koji Wakamatsu. Mais que les esprits se rassurent, nous arrivons (heureusement ou malheureusement, c'est vous qui choisissez) tout doucement à la fin puisqu'il n'y aura plus à compter que deux métrages avant de clôturer cette rétrospective de grande ampleur voyant le cinéaste japonais détenir le record du plus grand nombre de films chroniqués sur le blog avec, désormais, une quatorzième oeuvre. Nous ne commettrons pas l'offense de procéder à toute l'exégèse de ce talentueux cinéaste, véritable figure contre-culture et révolutionnaire du Septième Art dont les créations suscitent encore le débat et sont encore dans certains pays victimes de la censure. Il faut dire que le sieur n'a jamais caché ses tendances de gauche et ses quelques fréquentations avec le parti communiste.
Dans un pays aussi bon et ouvert d'esprit que les USA, on ne peut pas dire que ce soit des arguments suffisamment vendeurs pour bénéficier des faveurs politiques et idéologiques du pays. Si on peut dire que l'on a connu mieux comme premier succès avec un Les Secrets derrière le Mur déclenchant un incident diplomatique entre le Japon et l'Allemagne suite à l'indignation générale du public lors du Festival de Berlin, la suite de sa filmographie s'axe sur le même schéma dénonciateur et outrecuidant. Mêlant sexe, violence et message politique, ses réalisations qui l'ont défini comme la figure majeure du pinku eiga ont toujours déclenché un florilège de débats en tout genre sur la portée jusqu'au-boutiste d'un homme aux tendances quelque peu nihilistes.
Quand l'Embryon part Braconner, Les Anges Violés, Va Va Vierge pour la Deuxième Fois ou La Vierge Violente sont autant de pellicules qui se sont imposées dans le cinéma nippon d'après-guerre, comme le reflet d'une lointaine époque, un témoignage des aléas sociaux d'une société en pleine mutation. A l'instar de la Nouvelle Vague japonaise, il y a ce cri d'effroi et de défiance envers le pouvoir. Ce regard accusateur face aux anciennes générations définies comme des destructeurs de la nation. Avec déjà treize films brillamment (ou non...) abordés en chronique, nous avons amplement disserté et saisi les grandes lignes du second niveau de lecture cher àWakamatsu.
Pourtant, dans toute cette liste, nous ne nous étions pas encore penchés sur un client, et même un sacré client qui se nomme L'Extase des Anges. La raison étant que je tenais à finaliser ma rétrospective par ce qui est considéré comme l'un de ses meilleurs films, avant que les deux derniers ne s'y immiscent, et que je décide d'en parler en dernier pour les raisons logiques qui sont qu'ils font partie des dernières oeuvres de son auteur. Ceux qui ne comprenaient pas pourquoi ladite pellicule ne faisait pas encore partie du catalogue de Cinéma Choc peuvent alors se rassurer. Mais même avec ça, par un concours de circonstances qui m'échappe, j'avoue ne pas comprendre comment je n'avais pas eu vent plus tôt de L'Extase des Anges. Les petits tracas quotidiens de tout cinéphile en devenir, il faut croire.
ATTENTION SPOILERS : Un groupuscule marxiste obsédé par le sexe décide de faire régner l'anarchie autour d'eux.
Certes, dire que Wakamatsu est un réalisateur déchaîné ne s'apparente à rien de plus qu'un coup d'épée dans l'eau, une évidence flagrante. Pourtant, L'Extase des Anges ne tient pas sa popularité du hasard, en ce sens où il est considéré comme LE manifeste par excellence de son géniteur. Une création furieuse, radicale et sans concession d'un Japon plus que jamais exsangue. Face à l'interventionnisme américain, des groupuscules armés de jeunes marxistes fleurissent dans la capitale en pratiquant attentats à la bombe et incendies. Ces actes sont soit fait à l'aveugle, soit visent les structures policières. Cette défiance envers les représentants de la loi s'inscrit dans une optique révolutionnaire profondément anarchiste voulant abattre une nation à la dérive pour refaire jaillir par-dessus un nouveau monde plus juste. "La révolution ne pourra se faire que par le combat" ne pourrait qu'être vu comme le credo par excellence de ce simili-bourbier en devenir. Après l'échec d'une mission rebelle dont l'objectif était de s'emparer d'un arsenal militaire en infiltrant une base américaine, des conflits internes vont éclater entre le groupe quasiment anéanti face à l'organisation toute puissante, dont elle n'est qu'une branche de ce vaste réseau soi-disant organisé. Cette entreprise appelée "Les Quatre Saisons" se partage en différentes factions. Le groupuscule d'Octobre va apprendre que la coalition Automne a été dissoute suite à cette défaite et qu'Hiver reprend les choses en main. Malgré le prix du sang versé pour obtenir le précieux butin, les instances supérieures estiment qu'Hiver est légitime à s'en emparer pour mener la Révolution.
Qu'on se le dise, Wakamatsu ne croit pas en ces niveaux d'organisation de grande ampleur basés sur la collectivité et une vision discutable des combats sociaux à effectuer. L'acquisition de l'arsenal se fera par le viol et la violence, ce qui est vu comme tout à fait normal par ces membres. Dans cette révolte armée, il y a une profonde déshumanisation et une inquiétante dépersonnalisation des membres vus ni plus ni moins que comme de la chair à canon. Tous les moyens sont bons pour le combat même quand il s'agit de recourir à la barbarie envers son propre camp. Il n'y a pas de solidarité intrinsèque et il semblerait qu'une concurrence malsaine soit de mise entre les diverses alliances. Il y a un véritable conditionnement des étudiants qui veut que leur existence ne soit dévouée qu'à la révolution.
Ils ne doivent vivre que pour elle. Ils ne doivent mourir que pour elle. C'est une aliénation d'échelle qui est dénoncée par le réalisateur fustigeant les méthodes encourues pour l'objectif final. L'adage "La fin justifie les moyens" est un leurre, un trompe-l'oeil, une illusion impossible à mener jusqu'au sommet. De plus, cette volonté d'annihiler l'essence individuelle se fait aussi au sein de chaque être du parti. Leur seule identité est un jour de la semaine. Le boss, rendu aveugle après la mission, est sous le nom de code Vendredi. Il y a une suppression de l'identité qui se fait, une atteinte à la dignité humaine et à l'expression ontologique.
Privé de ces composantes essentielles qui font que l'être existe en tant que tel, le processus s'enclenche pour le réduire à un numéro ou, en l'occurrence, à un pathétique jour de la semaine. Il n'y a plus de prise en compte de l'effort individuel, de la raison de groupe ou d'initiative personnelle. Tous sont réduits à la même enseigne, chargés d'écouter des hommes en cols blancs, loin des combats, cloîtrés dans une salle de spectacle vide voyant une chanteuse se complaire dans des chants prenant plus un rythme désenchanté que convaincu. C'est d'ailleurs par une première séquence de ce type que l'on assimilera L'Extase des Anges au processus "Melvillien" de chanson-attente-suspense. Bref, on a des types déconnectés du monde qu'ils contrôlent et qui ne sont qu'une représentation métaphorique d'un gouvernement japonais vivant, évoluant et commandant le pays dans sa bulle. Le groupe armé n'est, en fin de compte, que l'archétype des institutions qu'il veut détruire.
Il est un oxymore à lui seul dont les objectifs ne pourront qu'être chimériques. Ainsi, suite à cet affront à leur égard, le reste d'Octobre est désorienté par ce qu'ils ont vécu. Ils se rendent compte que ce en quoi ils ont cru et se sont investis les a jeté comme des malpropres, comme des engrenages interchangeables. "L'union et la force" censéêtre le mot d'ordre de toute révolution semble bien loin de ce triste spectacle aux allures de sketch grotesque.
Les survivants vont atomiser les fondements du groupe en se jetant à corps perdu dans une série de révoltes personnelles. Ils ne peuvent compter que sur eux et les liens forts les unissant, malgré quelques tensions sur ce qu'il s'est passé. Emotions humaines logiques face à l'adversité et à l'aveu d'échec subi. En s'éloignant de la monstrueuse organisation marxiste, ils réexistent en tant qu'individu à part entière et peuvent enfin chacun exprimer toute leur colère. L'une des têtes pensantes de la coalition finira par se rendre compte qu'elle était dans le faux depuis le début et laissera évacuer, par le biais de cris stridents, tous ces fantasmes dans lesquels elle a vécu. Il semblerait alors qu'il y ait tout de même une vision optimiste là-dessous. Une prise de conscience qui doit être indispensable pour tous ces jeunes en quête d'un idéal, d'une société plus saine pour leur émancipation.
Wakamatsu accorde plus que jamais beaucoup d'importance à l'Homme seul qui est un rouage indispensable et singulier de la société. Sous sa froideur persistante, L'Extase des Anges est, en fait, d'un évident humanisme et d'un raisonnement de pensée laissant croire que le réalisateur n'a pas encore tout à fait perdu espoir envers le genre humain si celui-ci parvient à se désolidariser d'un modèle de récession intellectuelle, à ouvrir son esprit.
Au-delà de tout ceci, ces êtres vont s'épanouir dans une optique de vie en marge de la morale japonaise en se vautrant dans le sexe et l'alcool avec en toile de fond leur esprit contestataire. Il n'y a aucune concession dans leur existence. Ils vont jusqu'à briser les barrières comme dans cette séquence sulfureuse où deux jeunes prostituées sont ramenées dans l'appartement et finiront par pratiquer du coït lesbien le tout sous l'appareil photo voyeuriste d'un des hommes prenant des clichés sous tous les angles. Mais cette glorification de la luxure ne finit-elle pas par détourner les révolutionnaires de leur objectif ? Samedi sera celui qui dénoncera l'hédonisme dépravé dans lequel ils s'immergeront en occultant le but qu'ils voulaient accomplir. Le sexe omniprésent est toujours concomitant de la politique, les dialogues lors de l'acte étant toujours en lien avec leurs protestations.
Là encore, on retrouve le désir éteint de l'amour, la fornication sans fond, le sexe ramenéà une simple marchandisation des corps. Jouir sans entrave.
Obliquons maintenant sur le traditionnel paragraphe dédiéà la technique film. Malgré que nous soyons en 1970, Wakamatsu privilégie toujours son superbe noir et blanc, bien qu'il y ait plusieurs passages en couleurs qui s'incrusteront dans l'histoire. Le visuel est toujours aussi propre, léché. Les décors sont d'une grande variété entre ces moult appartements, les séquences en ville et celle dans ce no man's land qui engloutiront la vie de ceux qui ont donné leur vie pour la révolution. La manière de filmer est toujours aussi propre et professionnelle, jamais tremblotante. Pour notre plus grand plaisir, le free jazz sera encore de la partie pour un moment de bonheur musical... Qui aurait gagnéàêtre un peu plus présent au cours du récit. Pour finir, le casting est, comme de coutume, génial avec au programme Ken Yoshizawa, Rie Yokoyama, Yuki Aresa (les 3 grandes stars du métrage), Masao Adachi, Michio Akiyama, Yosuke Akiyama, Tatsuhiko Honda et Susumu Iwabuchi pour les principaux.
Un peu plus long que d'accoutumée (quasi 1h30), ce fut un choix judicieux pour réaliser un projet aussi pointilleux et fascinant que L'Extase des Anges ayant énormément de choses à offrir. Doté d'une grande complexité et de niveaux de lecture déjà vus, certes, mais mis en scène avec une dimension d'une grande force, l'oeuvre cogne là où il faut et avec une grande intelligence. Certains cinéphiles l'ont mise en lumière comme préfigurant les grands attentats de Bologne, de Munich et de Lod. En ce sens, on pourrait le voir en tant que prolongement du réel et comme une oeuvre futuriste et peut-être même intemporelle. Wakamatsu a, sur ce coup, fait vraiment très fort en livrant l'un des films les plus virulents de l'histoire du cinéma japonais. L'Extase des Anges ne peut alors qu'être classé comme un immanquable pour tout connaisseur qui se respecte dignement, et pouvant prétendre àêtre considéré cinéphile. Un must d'une austérité record et d'une rare intensité pouvant s'immiscer sans surprise comme pièce maîtresse de la filmographie de Wakamatsu. Une réputation totalement justifiée d'un film magnétisant à plus d'un titre. Un témoignage d'un temps passé, d'une jeunesse engagée s'étant parfois sacrifiée pour mettre en place un nouvel ordre politique meilleur. Au gré des saisons changeantes, s'évaporant dans un rythme lancinant pour laisser la place à une autre, le combat lui restera éternel jusqu'à l'accomplissement final.
Note : 16,5/20