Genre : Drame, historique
Année : 1967
Durée : 1h44
Synopsis :
Dans une famille bourgeoise de Lombardie des années vingt, un enfant naît, Œdipe. Jaloux de l’amour que lui porte sa femme, son père l’abandonne. Devenu adulte, Œdipe, ignorant sa véritable identité, tue son père et s’éprend de sa mère sans savoir qui elle est.
La critique :
Je suppose que, depuis un moment, vous vous êtes rendus compte de mon petit séjour filmographique transalpin pour mettre en lumière ce pays un peu trop sous-estimé pour les profanes dans sa radicalité et sa transgression. Une fois de plus, on éludera comme d'habitude la scène récente underground extrême, repoussant parfois des sommets d'infamie (cf Marco Malattia et Davide Pesca pour ne citer qu'eux) pour se concentrer sur le vieux cinéma. Encore me direz-vous mais bon que voulez-vous, j'ai perdu l'attache sacrée que j'avais avant pour le Septième Art récent pour me reconvertir comme un thuriféraire des anciens films. Vieux has-been ? Permettez-moi de réfuter ce terme du haut de mon très modeste quart de siècle. Bref, la rétrospective sur l'Italie se poursuit, rétrospective divisée en deux parties, à savoir l'une dédiée au monde du giallo et l'autre en l'honneur du plus sulfureux des cinéastes italiens qui n'est ni plus ni moins que Pier Paolo Pasolini. Ceux qui le connaissent doivent sans doute avoir encore en eux les séquelles durables de sa dernière création maudite, Salo ou les 120 Jours de Sodome.
Un scandale tel que certains ont avancé que l'assassinat du réalisateur, décédé la même année que la sortie de son film testament, serait justement liéà ce métrage lui-même dont le désespoir sans nul autre pareil a déversé un torrent de scandales et de protestations. Hélas, on a parfois un peu trop tendance à le réduire à ce fameux Salo en omettant de creuser son oeuvre globale. Cinéma Choc devient l'un de ces acteurs qui tente de remédier à cela.
Et dans les colonnes de ce blog que vous chérissez, c'est àOedipe Roi d'avoir les projecteurs braqués sur lui par nos soins. Pasolini qui n'a jamais caché son extatisme pour la mythologie et l'histoire en général nous lance alors dans une adaptation très personnelle du mythe d'Oedipe, soit cet homme qui découvre son terrible destin baignant dans le sang du parricide et dans l'inceste. Cette tragédie grecque de Sophocle, au nom éponyme, est un grand classique du genre qui a inspiré nombre de dramaturges et d'artistes fascinés par cet interdit du rapport sentimental et sexuel d'une mère et de son fils. C'est d'ailleurs de là qu'émerge le célèbre "complexe d'Oedipe", théorisé par Sigmund Freud le définissant comme le désir inconscient d'entretenir un rapport sexuel avec le parent du sexe opposé et celui d'éliminer le parent rival du même sexe. Le fait qu'un garçon, de façon inconsciente, soit amoureux de sa mère et désire tuer le père répond à l'impératif du complexe d'Oedipe.
Une thématique aussi spinescente ne pouvait échapper à l'oeil avisé de Pasolini qui confia que c'était son oeuvre la plus autobiographique. "Ce film est autobiographique. Je raconte l'histoire de mon propre complexe d'Oedipe. Je raconte ma vie mystifiée, rendue épique par la légende d'Oedipe" tiendra-t-il comme propos. Un nouveau jour pour une nouvelle rencontre avec notre cher Pier Paolo Pasolini.
ATTENTION SPOILERS : Dans une famille bourgeoise de Lombardie des années vingt, un enfant naît, Œdipe. Jaloux de l’amour que lui porte sa femme, son père l’abandonne. Devenu adulte, Œdipe, ignorant sa véritable identité, tue son père et s’éprend de sa mère sans savoir qui elle est.
Toutefois, la dimension autobiographique au sens tel que nous nous le représentons reste quelque peu abusive. Les moult symboliques et métaphores définiraient plus Oedipe Roi comme une autobiographie symbolique dans laquelle la vie de Pasolini sera surtout évoquée durant le prologue et l'épilogue, soit deux des trois parties qui composent le film. Le challenge est maintenant de décrire un minimum en détail chaque segment d'une création décidément bien singulière et mystérieuse. La première partie prend place dans l'Italie des années 20, voyant la naissance du cinéaste (né précisément en 1922). Même si son aversion de la bourgeoisie n'est plus à démontrer, il faut savoir qu'il est issu de la petite bourgeoisie qu'il voit comme grotesque et malade.
A un âge encore inconscient, il fait l'expérience de la jalousie que lui porte son père, frustré de ne pas avoir toute l'attention de sa femme sur lui. Regrette-t-il d'avoir eu un fils ? Nul ne le sait mais ce qui est sûr est que Pasolini avouera n'avoir jamais apprécié son père qui fut dévoué en tant que soldat à la cause fasciste entrant en totale contradiction avec sa moralité chrétienne profondément hypocrite. Certains établissent un lien de causalité avec son rejet de la religion semblant trouver sa source ici même. Ces répulsions qui n'ont jamais quittéPasolini seraient les conséquences d'un environnement familial peu épanouissant.
Le désir d'abandonner son enfant va laisser la place à la deuxième partie remplissant un peu plus de 90% du film. Oedipe est abandonné dans un désert aride, ligotéà un bâton comme l'affiche du film le démontre. Cette symbolique du no man's land reprise l'année suivante dans Théorème s'attache à une retranscription de l'individu perdu, déboussolé dans un monde austère qu'il ne connaît pas. On le voit subir les railleries d'autres de son âge. L'ordre du monde est anarchique. Une anarchie morale où croyances, superstitions et ignorance sont prédominantes à la raison et à la réflexion. Face à un prédicateur masqué, Oedipe apprendra son futur baignant dans l'immoralité sans qu'il ne puisse s'y interposer. Une prédestination qu'il ne peut accepter mais qui ne le quittera jamais. Cette révélation le voit sombrer dans un état d'errance tragique, s'évaporant dans la poussière du monde, pratiquant un chemin de croix expiatoire avant même que les événements ne se produisent.
Sa rencontre avec des villageois l'amènera à résoudre l'énigme du Sphinx. Cette victoire lui permet de prendre pour épouse Jocaste, après quoi il mène l'enquête pour déterminer la cause de la peste sur la ville. Un vieillard voyant lui tiendra des propos intolérables le renvoyant à ce qu'il a tenté de fuir depuis sa rencontre maudite. L'individu, qu'il soit pauvre ou roi, ne peut se soustraire de sa destinée. Les dés ont été jetés par la main divine.
S'étant énamouré de sa dulcinée, il finira par comprendre qu'il a tué sans le savoir son père et qu'il s'est marié comme attendu avec sa mère. Dans les deux cas, l'inconscient a supplanté le conscient. Ces actes inconscients sont en lien avec le postulat que détermina la psychanalyse freudienne. Lorsque la conscience reprend le relai, c'est la culpabilité, le dégoût de soi-même et les remords. Jocaste, en apprenant cela, se pendra dans sa chambre, tandis que Oedipe se crèvera les yeux, accablé de honte et pour ne pas avoir à subir les regards de jugements des autres. Il adoptera une posture de martyr. La prétendue épidémie de peste oblique plus sur une épidémie de débauche frappant la caste dirigeante. Le peuple craignant d'hypothétiques retombées qui pervertiraient leurs âmes.
Finalement, la dernière partie sera tournée dans la Bologne des années 60. Oedipe vit dans la pauvreté et joue des airs de flûte dans une ville qui ne le prend pas en considération, ni la bourgeoisie, ni les ouvriers. Seul son ami Angelo lui permettra d'avoir encore un contact avec le monde extérieur, en dépit de sa condition d'aveugle qui ne peut se baser que sur la voix de Angelo lui décrivant le paysage en dernière séquence.
De là, vous aurez compris que se lancer dans le périple de chroniquer du Pasolini est toujours une épreuve de taille et qu'il est nécessaire de connaître sa personnalité si spéciale et ambiguë pour cerner au mieux ses intentions. Moins centré sur les questionnement sociaux, Oedipe Roi se focalise plus sur des interrogations telles que la liberté de l'homme face à sa destinée, la portée des choix et des conséquences souvent funestes dans son sillage ou même l'acceptation de l'inacceptable. On est plus dans l'exercice d'essai philosophique que dans le social. S'il ne faut même plus ratiociner sur la superbe de ces réflexions, toujours est-il que Oedipe Roi ne sera pas l'oeuvre la plus accessible de son auteur, se perdant dans une atmosphère contemplative d'oùémerge un fil conducteur ayant parfois des difficultés à galvaniser l'attention de l'assemblée. Qui plus est, les aficionados de mythologie grecque doivent bien être averti que le mythe d'Oedipe par Sophocle est une relecture que Pasolini transposera non pas en Grèce mais au Maroc. Et de manière générale, il y a un dépouillement complet de l'identité grecque de la tragédie et de son univers qui pourrait en déranger plus d'un.
Finalement, certains seront peut-être interpellés de n'avoir pas vent d'une éventuelle interdiction, compte tenu de certaines scènes et du sujet traité.
Comme susmentionné, si l'on excepte les décors italiens du prologue et de l'épilogue, tous les paysages sont marocains et ce dans un souci selon le cinéaste de se désolidariser de toute trace industrielle pour revenir à des lieux archaïques. On ne peut que confirmer la maestria de Pasolini de filmer le monde autant en largeur qu'en précision. On s'évade dans les étendues désertiques, dans les prairies verdoyantes où se perdent quelques maisons, un petit palais. Toute trace de représentation bourgeoise et de richesse explicite est absente. Les influences grecques ne se retrouvent pas dans les costumes très impersonnels et qui ne sont pas non plus d'époque. La même chose peut être attribuée à la composition musicale. Nul doute que les amoureux de la Grèce antique feront très certainement la moue devant le résultat final à double-tranchant. Finalement, l'interprétation des acteurs suit un schéma antinaturaliste où les jeux forcés voire hystériques de chacun des acteurs amplifient une intensité subjective à chacun.
Franco Citti, petit protégé de Pasolini, se débrouille toujours aussi bien dans sa faculté de faire corps avec son personnage. La sensualité de la belle Silvana Mangano n'est plus à démontrer. Alida Valli, Carmelo Bene, Julian Beck, Luciano Bartoli, Francesco Leonetti, Ahmed Belhachmi et Ninetto Davoli.
Une nouvelle page se ferme en ce jour, remplissant petit à petit le catalogue Pasolinien de Cinéma Choc dont il en est l'une des égéries principales de par la puissance de ce qu'il montre et dénonce. Après deux métrages un peu plus timorés, nous revenons aux fondamentaux avec un Oedipe Roi dérangeant dans sa tonalité puisque l'inceste a toujours été un sujet difficile à aborder avec beaucoup de retenue et d'intelligence, au risque de verser dans le grand n'importe quoi putassier. Vous vous doutez bien que l'on ne se situe pas dans cette deuxième constatation mais bien dans le résultat honorable. Véritable autobiographie psychanalytique rendant grâce au père Freud, plus qu'à Sophocle, Oedipe Roi est aussi saisissant qu'énigmatique, tour à tour perturbant et fascinant sans en être pour autant un incontournable de la filmographie de son géniteur. La faute en incombe à un rythme en dents-de-scie qui ne plaira pas à tous, voire même soporifique pour les plus récalcitrants. Film d'ambiance à plus d'un titre, création métaphysique, témoignage cinématographique freudien, Oedipe Roi cumule un peu tout ça en invitant le cinéphile à se plonger dans l'introspection de son cinéaste se revoyant les premiers jours devant son père acariâtre sans savoir qu'il le répudiera des années plus tard à cause de la destinée qu'il a choisi en tant que chemise noire. Etait-ce là aussi une prédestination ?
Note : 14/20