Genre : Drame social, thriller (interdit aux - 12 ans)
Année : 1966
Durée : 1h39
Synopsis :
Venue de la campagne, Shino Shinozaki travaille désormais à Kobe comme domestique. Lorsque sa patronne est violée et assassinée sous son propre toit par Eisuke Oyamada, un ami d'enfance de Shino, celle-ci se souvient des événements de jadis.
La critique :
Il y a bien longtemps que vous n'aviez plus eu affaire au cinéma japonais en ma personne. Votre déception était très certainement de mise mais je suis là pour réparer cette petite bévue. Cela faisait donc un bon moment que la Nouvelle Vague japonaise ne s'était plus ramenée sur le blog pour vous fasciner (ou vous emmerder) dans sa confidentialité et surtout son excellence. Depuis le temps où vous me suivez, vous avez pu assister à une overdose de dithyrambes envers de véritables esthètes malheureusement trop méconnus, occultés par une presse et des encyclopédies avares en la matière. Il est vrai que l'on songe directement à la France quand on entend "Nouvelle Vague", mais cela serait bien dommage de se limiter àça car ce courant a touché l'ensemble du monde, avec parfois des appellations différentes mais l'idée reste la même. Dans le cas du Japon, je suis plus d'une fois revenu sur l'exégèse de tout ceci.
La lassitude d'une partie de la population envers les piliers indéfectibles du classicisme, la volonté de repenser l'héroïsme en faisant primer le réalisme et les questionnements sociaux. N'oublions pas que le Soleil Levant a eu d'importants troubles sociaux dans les années 60 et 70 qui ont envahi ensuite l'art à tous les niveaux.
En parallèle de cette situation morale, il y a aussi l'incursion des téléviseurs dans les foyers qui diminuent considérablement la fréquentation des japonais dans les salles de cinéma. J'en reviens à ce rejet des Yasujiro Ozu, Kenji Mizoguchi et Mikio Naruse, aussi démiurgiques soient-ils. Il n'y avait pas d'autres alternatives pour ne pas assister à une crise du Septième Art. De nouveaux réalisateurs ayant grandi dans les traumatismes de l'après-guerre sont arrivés et leur coeur bouillonnant de dénonciations et de revendications. Yoshishige Yoshida, Masahiro Shinoda, Yasuzo Masumura, Shohei Imamura, Shuji Terayama, Hiroshi Teshigahara, Toshio Matsumoto et Seijun Suzuki sont autant de figures qui ont su se construire ou non une réputation à l'internationale (surtout pour Imamura avec ses deux Palmes d'Or). Les autres se limitant plus aux cercles "nippophiles". Dans mon incompétence crasse, alors que je pensais arriver avec une pointe de tristesse au bout de cette rétrospective, mon omission de Nagisa Oshima rallongea ma liste au point où je vous casse encore les coui... les pieds en août 2020.
N'ayez crainte, vous ne subirez pas la longévité de ma liste de giallos, ça je vous en fais la certitude. Bref, nous restons toujours en territoire connu avec Oshima qui, décidément, rattrape bien son retard avec un nouveau long-métrage au nom sulfureux de L'Obsédé en plein jour.
ATTENTION SPOILERS : Venue de la campagne, Shino Shinozaki travaille désormais à Kobe comme domestique. Lorsque sa patronne est violée et assassinée sous son propre toit par Eisuke Oyamada, un ami d'enfance de Shino, celle-ci se souvient des événements de jadis.
Nagisa Oshima est connu pour s'inspirer de réels faits divers et, aussi percutant soit-il, L'Obsédé en plein jour n'échappe pas à cela. Ce surnom qui a servi de titre n'a pas été inventé par le réalisateur puisqu'il fut donné par la presse à un homme qui, entre 1957 et 1958, a violé et tué une trentaine de femmes sans défense. Au moins, le ton est donné dès le départ, ainsi que via une première séquence où Shino, une jeune domestique d'une famille bourgeoise, voit l'arrivée impromptue de Eisuke, homme qu'elle a jadis connu et qui est le malfrat derrière tous ces actes abominables. Après l'avoir violé, il assassinera la maîtresse de maison. De quoi bien calmer et agripper l'assemblée sur un récit beaucoup plus ambitieux qu'il ne le laisse paraître, partageant certains procédés scénaristiques avec La Vengeance est à moi que Shohei Imamura sortira 13 ans plus tard. La thématique du sexe, chère àOshima, est bien sûr le centre névralgique de l'histoire. Comme toujours chez lui, la sexualité est autant froide que démonstrative des rapports humains complexes et tragiques. C'est à la base d'un triptyque amoureux que le mal va émerger lorsque la communauté idéale faite sur un élevage de cochons et de poules subira la puissance de Dame Nature. Ces quatre personnages partagent des liens troubles, généralement unilatéraux (quoi que...) sur la question de l'amour gratuit que Shino promouvra dans sa verve d'utopiste reprenant, dans sa propre conscience, les slogans de la libéralisation sexuelle.
Genji, en représentant des villageois, s'acoquinera de Shino après avoir été passablement freiné par Matsuko qui sombrera dans une relation fusionnelle et autodestructrice avec Eisuke, cet obsédé dont elle a accepté les vices et les déviances. Un homme qui a préféré mettre de côté sa réflexion et sa raison pour que seules ses pulsions triviales ne gouvernent un coeur teinté d'obscurité, dénué de toute empathie envers le sexe féminin, trouvant leur source dans une vengeance en lien avec des actes passés. Eisuke s'est infantilisé, s'est vautré dans une déshumanisation enfantine qui l'a écarté du droit chemin. Un homme qui a vu ses rêves s'effondrer pour prendre sa revanche sur la vie.
Oshima se plaît de sonder l'âme humaine en l'auscultant avec une distanciation et une neutralité inouïe, analysant les plus répugnants desseins de l'homme sans condamner ses faits et gestes. Cela nous renvoie encore àImamura et plus précisément à ses métrages documentaires anthropologiques (La Femme Insecte et Le Pornographe). On filme et on laisse le spectateur dans une situation où il réagira de lui-même sans influence extérieure. Une sorte de cinéma miroir où le cinéphile est face à sa propre morale qui lui fera appréhender l'odyssée de Eisuke avec compassion ou plutôt avec une totale condamnation.
Un tel procédé ne sera pas du goût de tout le monde, jugé trop perturbant et viscéral. Et pourtant, le propos est d'une grande intelligence. Si L'Obsédé en plein jour laisse à penser que le violeur sera l'anti-héros de l'aventure, les dés sont mélangés au cours du temps pour une confrontation acerbe entre Shino et Matsuko. Sexe et mort se lient entre eux, une relation d'une énorme violence psychologique entre Eros et Thanatos naîtra sous l'ombre d'un arbre dans une scène que je ne citerai pas pour garder le plaisir (façon de parler) de la découverte. Là encore, Oshima ne dira rien sur tout ça et pas plus sur la personnalité autant versatile que torturée de Matsuko, laissant un silence intégral sur son mode de fonctionnement. Car il y a des choses incompréhensibles, qui dépassent l'entendement humain.
Comment parvenir à comprendre l'attirance toujours aussi intense d'une femme envers un monstre semant la dévastation dans son sillage ? Il y aura totale omission sur cette question, ce qui est une très bonne chose car il n'y a juste rien à dire. L'être humain n'est ni plus ni moins qu'irrationnel.
On entrevoit un nihilisme toujours aussi dérangeant chez Oshima qui prendra énormément de libertés dans la mise en scène. Il n'y a pas de cheminement scénaristique balisé et linéaire. Au présent peut vite se succéder les échos du passé dans des transitions brutales. Ces allers et retours permettent de saisir progressivement les grands enjeux de cette intrigue à condition de garder une attention permanente. Dans le cas contraire, le flou sera un grand ami pour le restant de la projection. Ca sera certainement le point qui rebutera le plus les cinéphiles, ce qui est compréhensible il est vrai. Toutefois, on précisera que la mise en scène est loin d'une quelconque lenteur que l'on peut ressentir chez Yoshishige Yoshida pour prendre un exemple ad hoc de la Nouvelle Vague japonaise.
En même temps, pour compter 2000 plans à son actif, L'Obsédé en plein jour est plus dans quelque chose de tourbillonnant que de contemplatif.
Le cinéaste va s'autoriser nombre de procédés visuels allant des travellings de proche comme de loin, des gros plans en approche rapide, des plans séquences en plongée comme de contre-plongée. Le montage saccadé dynamise considérablement la teneur de l'histoire. Ces très gros plans sur les yeux ou plus encore sur la transpiration de Eisuke lors du passage à l'acte sont de toute beauté, contribuant à rendre l'atmosphère toujours aussi suffocante dans le temps. L'Obsédé en plein jour est un régal de montage graphique auquel s'additionne un superbe noir et blanc et de magnifiques décors allant de la ville à la campagne, de la nuit noire comme du jour ensoleillé.
Au niveau son, on est sur quelque chose de correct. Et finalement, le film peut compter sur un tandem de très bons acteurs habitant leur rôle à un stade proche de la perfection. Nous citerons volontiers Kei Sato, Saeda Kawaguchi, Akiko Koyama, Rokko Toura pour les quatre persos principaux mais aussi Fumio Watanabe, Hideo Kanze, Hideko Kawaguchi et Hosei Komatsu.
Je dois avouer n'avoir jamais été un thuriféraire de Nagisa Oshima qui n'a pas cette puissance de frappe qui me parle et m'interpelle autant que les autres artistes de la Nouvelle Vague japonaise. J'ai toujours un ressenti de ce petit truc qui manque et qui m'empêche de propulser le film dans le très haut du panier. Si j'ai grandement appréciéLa Pendaison, je dois dire que L'Obsédé en plein jour fut le meilleur cru vu pour ma part jusqu'à présent. Si certains pourraient s'attendre à un titre racoleur et totalement gratuit dans ses exactions, c'est pourtant tout le contraire. Il n'y a pas cette déferlante de viols avec violence, pas plus que l'acte de tuer que nous ne verrons jamais. A la place, Oshima préfère étudier la folie sexuelle chez l'homme, sa provenance et la filmer au plus proche.
L'Obsédé en plein jour n'est pas un film que l'on apprécie au sens littéral du terme. Borderline, férocement politiquement incorrect, on se questionne sur la possibilité de sortir cette oeuvre aujourd'hui sans qu'elle ne provoque des remous. Bien dommage qu'il ne soit pas plus souvent cité que ça parmi les pellicules proéminentes de son géniteur, à contrario d'un L'Empire des Sens très surestimé en ce qui me concerne.
Note : 16/20