Genre : Comédie dramatique, érotisme (interdit aux -16 ans)
Année : 1974
Durée : 2h10
Synopsis :
Une interprétation par Pasolini de quelques contes des "Mille et Une Nuits" en une série d'histoires à tiroirs toutes reliées autour de l'histoire d'amour entre Noureddine et Zoumourroud.
La critique :
Ne me dites pas que vous n'aviez encore jamais entendu parler de Pier Paolo Pasolini sur Cinéma Choc ? Je ne vous croirai pas. Dès ces débuts, le blog, spécialisé dans les films... chocs donc contraires à la bienséance, a très vite affiché son intérêt pour cet enfant terrible du cinéma italien en chroniquant son plus grand succès qui est "roulements de tambour"Salo ou les 120 Jours de Sodome. Ce récit narrant l'histoire de quatre notables d'âge mûr désireux d'avoir le droit de vie et de mort sur d'innocents jouvenceaux dans l'Italie fasciste a provoqué un immense scandale tant dans son pays natal qu'à l'international. Les réactions effrayées et désarçonnées devant un tel avant-gardisme sont systématiques. Les spectateurs fuient les salles jugeant le film trop extrême.
Le mythe Pasoliniétait né dans la culture populaire avec sa dernière création avant son assassinat brutal sur une plage d'Ostie. Car, tels des chiens de Pavlov, entendre son nom de famille renvoie à son oeuvre maudite. Pourtant, comme malheureusement bon nombre l'ont fait, se limiter à ce simple engrenage de sa filmographie est bien triste quand l'on voit la richesse de son travail hors norme et en décalage total avec les grands cinéastes de son époque. Saloétant même devenu une sorte de test de courage pour certains pour affronter leurs peurs sur pellicule comme le furent un simple Snuff 102. Ridicule quand on songe à la complexité du titre !
Au fur et à mesure du temps, votre site que vous chérissez au plus haut point se plongeait dans sa filmographie jusqu'à réduire fortement les intervalles entre deux de ses longs-métrages. Il fallait s'en douter car toute bonne chose a une fin mais nous voici arrivés à terme de cette rétrospective consacrée au plus sulfureux cinéaste transalpin. A l'exception de Des Oiseaux Petits et Grands qui fut bien trop timoré pour se retrouver dans nos colonnes, l'ensemble du travail de Pasolini a donc été bouclé par nos soins avec sa dernière pellicule manquante du nom de Les Mille et une Nuits. Il s'agit du dernier volet de la Trilogie de la Vie après Le Décaméron et Les Contes de Canterbury.
Là encore, nous tenons une adaptation littéraire et pas n'importe laquelle puisqu'il s'agit du recueil éponyme de contes populaires d'origine arabe mais aussi persane et indienne paru au IXème siècle. Une énorme anthologie de quelques 260 contes qui ne verront seulement que sept être sélectionnés de par leur puissance érotique bien supérieure aux autres. Comprenez que nous sommes toujours dans la même optique que les deux premiers segments de la trilogie Pasolinienne.
ATTENTION SPOILERS : Une interprétation par Pasolini de quelques contes des "Mille et Une Nuits" en une série d'histoires à tiroirs toutes reliées autour de l'histoire d'amour entre Noureddine et Zoumourroud.
Si l'on compare au Décaméron et aux Contes de Canterbury, la réception critique a été assez tiède pour Les Mille et une Nuits, le tout coupléà des recettes financières plus faibles. Comme une ironie du destin, Pasolini, qui a toujours fait part de son rejet acerbe de la bourgeoisie et du capitalisme, venait de récolter un échec cuisant pour son projet qui fut véritablement le plus ambitieux, le plus compliqué et forcément le plus cher de la Trilogie. En contrepartie, il se rattrapera en remportant le Grand Prix spécial du jury au Festival de Cannes, histoire de redorer son blason. Les objectifs sont similaires aux deux oeuvres déjà susmentionnées : se plonger dans des histoires populaires savamment élues par l'omnipotence de son réalisateur. Un tel choix ne tenant pas du hasard vu que Pasolini fuit la littérature bourgeoise au profit de représenter celle du petit peuple oppressé qui peut lui aussi avoir des talents d'écriture et de l'imagination. L'intellectualisme puritain étant toutefois plus absent, mais il n'en a cure puisque cela ne l'a jamais intéressé. Il préfère les matériaux plus osés, défiant l'ordre établi tout en disant beaucoup de choses intelligentes. Le fait de faire naître le beau de ce qui était considéréà l'époque et malheureusement encore par certains du bas peuple a marqué les esprits. En fin de compte, que nous raconte Les Mille et une Nuits ? Pas d'inquiétude, je ne vous raconterai pas en détail chacun des chapitres sous peine de gâcher la surprise.
Toujours est-il que si l'histoire principale s'axe sur la romance entre Noureddine et Zoumourroud confrontés aux aléas de la vie, nombre de récits s'enchâssent dans le périple du garçon pour retrouver sa dulcinée qui lui a été enlevée tels des poupées russes. A certains moments clefs du scénario central, des contes sont narrés avec des transitions, certes, brutes mais toujours cohérentes, de sorte à ce que l'on ne soit jamais perdu et que tout soit brouillon. Une attention sera toutefois de mise pour mieux saisir la portée des événements. Que soit, développons un minimum chaque histoire. Fraîchement arrivés dans leur petit domaine après que Noureddine l'ait acheté sur le marché des esclaves, Zoumourroud lui lira l'histoire du roi Haroun El-Rachid demandant aux poètes de sa cour de lui raconter une histoire. Après quoi, il entreprend un voyage où il croisera un jeune garçon qui ne veut pas se marier.
De son côté, la reine Berhame rencontre une jeune fille persuadée d'être la plus belle. Ils étudieront alors l'amour chez les jeunes en suivant le précepte comme quoi c'est toujours le moins beau qui s'éprend du plus beau. Une fois cette histoire finie, par un concours de circonstances, Zoumourroud est enlevée. Kidnapping commandité par le marchand dont elle s'était moquée de sa virilité défaillante. Après avoir réussi à s'enfuir en se faisant passer pour un homme, elle est acceptée et accueillie dans la ville la plus proche en tant que roi selon une ancienne coutume. Elle apprend par la suite que Barsum, qui l'avait enlevée est là, et elle le fera crucifier sous un prétexte futile. Pendant ce temps, Noureddine ravagé par la tristesse part à sa recherche.
La quatrième histoire concerne la princesse Dunya faisant un rêve étrange où une colombe grise mâle, prisonnière dans un filet, est sauvée par une colombe blanche femelle mais quand celle-ci sera à son tour prisonnière, la colombe grise ne se souciera pas de son sort. De son côté, Tagi rencontre sur sa route un garçon nommé Aziz qui s'effondrera en pleurs. Tagi lui demande des explications et Aziz lui racontera son histoire où promis à sa cousine Aziza, il tombera fou amoureux d'une fille lui ayant lancé un mouchoir par sa fenêtre. Hélas, des conséquences funestes le frapperont ainsi que Aziza et cette mystérieuse inconnue. Une fois que Aziz a fini de lui conter ses déboires, Tagi exprime le désir de rencontrer la princesse Dunya, haïssant les hommes suite à son rêve, la rejoignant alors chez elle. La sixième histoire concernera celle de Shahzmah qui rencontrera une princesse tenue en captivité par un démon et qui causera leur perte. La septième voit un aventurier du nom de Yunan s'échouer sur une île où se trouve un jeune roi de 15 ans lui suppliant de ne pas le tuer car une prophétie lui a annoncé qu'il mourrait le jour de ses 15 ans par un jeune homme venu de la mer. Yunan l'écoutera-t-il ?
Si j'ai raconté chacune de ces histoires séparément, retenez bien qu'elles ne sont pas séparées de manière distincte comme pour une chrestomathie normale. Comme dit avant, certains récits s'emboîtent l'un dans l'autre mais pour des raisons de facilité (et non pas de fainéantise), je me suis contenté de les synthétiser en omettant volontairement toutes les mises en abyme qui font la force de Les Mille et une Nuits.
Par ce choix de construction, on songe inévitablement à l'excellent Le Manuscrit trouvéà Saragosse de Wojciech Has. Est-ce que ce choix a été payant ? La réponse est oui et chaque histoire est plaisante à suivre. Néanmoins, elles ont bien du mal à rivaliser avec celles du Décaméron et des Contes de Canterbury voyant leurs sujets être plus sulfureux et également plus cocasses. Malgré l'exposition fréquente de corps dénudés, le tout est plus sage, plus innocent dans son second niveau de lecture. De même, nous sommes très loin des situations hilares des Contes de Canterbury. Certes, on dénombre de nombreuses scènes de toute beauté dont la plus emblématique est Aziz, reconverti en Cupidon, tenant un arc à flèches. La pointe de la flèche étant remplacé par un gode en or qui rentrera à toute vitesse dans la charmante entrée des artistes de la demoiselle.
Pasolini ne se soucie pas de la beauté plastique des organes génitaux qui ne sont que des pseudo lois artificielles issues du diktat de la mode. La pilosité autant vaginale que du pénis est exhibée dans la plus totale normalité. Soulignons bien que toute dimension pornographique est écartée pour des rapports prudes justifiant bien évidemment, de par leur dimension érotique, une interdiction aux moins de 16 ans. Et malgré cet aspect pileux qui ne sera pas du goût de tout le monde, la spontanéité est belle. Jamais de vulgarité ou d'obscénité.
Là oùLes Mille et une Nuits surpassera ses grands frères, c'est bien sur la question du visuel absolument somptueux. On est en présence de l'oeuvre esthétiquement la plus belle de Pasolini. Ses multiples tournages au Yémen, au Népal, en Ethiopie et en Iran laissent entrevoir toute la beauté orientale des lieux avec leurs enluminures, leurs fresques, leurs mosaïques, leur végétation luxuriante et à l'inverse leurs déserts arides typés no man's land. L'architecture, les costumes, tout transpire le IXème siècle, nous donnant l'impression d'avoir utilisé une machine à remonter le temps pour être là avec notre caméra à suivre les pérégrinations de tous ces personnages globalement attachants. Les plans larges sur les beaux décors se mêlent à une utilisation fréquente de gros plans sur le faciès des protagonistes pour capter au mieux leurs émotions. Ennio Morricone signe encore ici une partition de grande qualité aux accents, sans surprise, orientaux. Pour finir, nous retrouvons certaines têtes très connues du cinéma de Pasolini parmi lesquels Ninetto Davoli et Franco Citti. Franco Merli, sous les traits de Noureddine, est révélé par ce film.
Il assistera Pasolini pour son film testament. On mentionnera également Tessa Bouche, Ines Pellegrini, Margareth Clementi, Claudia Rocchi, Alberto Argentino, Francesco Paolo Governale, Salvatore Sapienza et Zeudi Biasolo, entre autres.
Si Les Mille et une Nuits n'est pas le spicilège le mieux foutu et encore moins l'une des pièces maîtresses de son auteur, nous ne pouvons remettre en question ces qualités intrinsèques qui le hérissent dans la très bonne moyenne de sa filmographie. Nous sommes toujours admiratifs de l'importance qu'accorde Pasolini au prolétariat ou dans ce cas-ci aux peuplades orientales pauvres pour qui l'érotisme est une frénétique passion. Car celle-ci est l'expression de l'amour entre deux êtres et qu'il est, par son prolongement, une composante essentielle de la vie qui fait hommage à cette Trilogie. Bien sûr, Pasolini s'autorise quelques petites dérives parmi lesquelles la copulation de deux individus qui ont, dans l'histoire, 15 ans ou de l'homosexualité davantage suggérée via des allusions claires. Dommage que nous ne retrouvions pas cette petite étincelle qui nous fait lâcher un beau "WAW" arrivéà la fin.
Et pourtant, le potentiel était là, ce qui n'empêche pas Les Mille et une Nuits de s'enorgueillir du statut d'une rhapsodie tout à fait recommandable. Ainsi s'achève l'épopée sur Cinéma Choc de l'un des italiens les plus polémiques qui aura marqué au fer rouge, pas seulement le cinéma italien mais le cinéma en tant que Septième Art universel. Merci pour tout Pier Paolo Pasolini !
Note : 14/20