Genre :Thriller, expérimental, érotique, pinku eiga (interdit aux - 16 ans)
Année :1964
Durée :1h33
Synopsis :
L’histoire d’une jeune femme qui dans la salle d’attente d’un dentiste devient l’objet des fantasmes érotico-SM d’un patient artiste.
La critique :
Et si nous parlions encore un peu de pinku eiga aujourd’hui ? Ca vous tente ? N’allez tout de même pas croire que j’oserais vous infliger de nouveaux sévices avec un cycle tout frais tout neuf. Loin de là car il ne s’agira que de revenir sur les grands classiques, ainsi que les quelques chanceux à avoir eu la chance d’être exploités chez nous par une distribution plus que perfectible. Jadis, Cinéma Choc s’est toujours intéressé au pinku, pas seulement par l’intermédiaire de son emblème du nom de Koji Wakamatsu, mais via d’autres artistes notoires en la personne de Masaru Konuma ou Noboru Tanaka. Des titres comme La Maison des Perversités, Une Femme à Sacrifier et La Vie secrète de Mme Yoshino ont déjà suscité notre intérêt. Après une longue pause, Fleur Secrète a ravivé cette petite flamme, me menant jusqu’à des films historiques, hélas, tristement oubliés.
Voulant aller jusqu’à la genèse du pinku, je m’aventurais dans la filmographie peu accessible de Tetsuji Takechi. Internet me permit d’acquérir Neige Noire, soit le premier pinku à gros succès qui sera le déclencheur du boom du genre.
Seulement, se limiter à cette œuvre honteusement confidentielle au vu de son importance dans le cinéma japonais n’aurait pas été de bon ton. L’année avant, en l’an de grâce 1964, Takechi marqua déjà l’histoire avec son premier film, considéré comme le premier véritable pinku eiga du cinéma nippon. On atteste toutefois des premières ébauches entre 1962 et 1963 mais leur distribution très réduite empêchait la société d’y accéder. Daydream, tel est son nom, est par la même occasion le premier pinku à disposer de moyens financiers plus importants. Manque de pot, à l’instar de Neige Noire, l’arrivée des créations de Wakamatsu et autres démiurges offrit un aller simple pour l’anonymat àDaydream. Inadmissible quand on réalise son statut d’œuvre charnière.
La médiocre distribution n’aidera pas, le film étant visiblement toujours inédit dans nos contrées. Etonnamment, je parvins à l’obtenir assez facilement sur le web qui, décidément, est d’une importance inestimable pour sa culture cinéphile, sans quoi beaucoup de créations seraient retombées complètement dans l’oubli.
ATTENTION SPOILERS : L’histoire d’une jeune femme qui dans la salle d’attente d’un dentiste devient l’objet des fantasmes érotico-SM d’un patient artiste.
Nous le savons maintenant tous. Le pinku ne boxe aucunement dans la catégorie des films à pur but masturbatoire. Derrière cela, on y retrouve d’honnêtes et ambitieux artisans qui s’évertuent à proposer du vrai cinéma. Toucher àDaydream, c’est comme contempler une relique du temps passé au musée. Cette impression de faire un bond dans le temps, sublimé par l’extatisme de remonter à la genèse du genre. Et pour le coup, une genèse qui témoigne du potentiel du pinku, démarrant dans un cadre insolite qui est celui du cabinet dentaire. Vu dans l’inconscient collectif comme un endroit de hantise, il va être le témoignage de manifestations oniriques, de songes subliminaux que l’un des patients fera lorsqu’il sera endormi pour l’opération. Au détour de la salle d’attente, il y croise son idéal féminin, rendue inaccessible au vu des circonstances. Face à cette rencontre inopportune, elle deviendra son fantasme, se matérialisant dans ses rêves qui ne sont pas plus fous que la vision du dentiste perdant les pédales en déshabillant la femme endormie pour la mordre.
Le cabinet dentaire acquiert une dimension nouvelle, d’ordre sexuelle, apparentée au sado-masochisme puisqu’il est question de se soigner, sans oublier que la douleur sera de la partie. Ce prélude annonce la couleur de la suite des événements.
Suivant la plongée du jeune homme, nous perdons tous nos repères topologiques et chronologiques. La mécanique du rêve dans son déroulement étant instable, ne suivant pas toujours un ordre logique et cohérent, il est évident que cela se répercutera sur les songes de cet amoureux téméraire renvoyéà une condition d’amant. Sa dulcinée étant mariée à un homme sadique et antipathique qui se complait à l’humilier et à la soumettre en permanence. Si certains se limiteront pathétiquement à cette observation sans réflexion sous-jacente, il ne faut pas oublier que le pinku eiga est amoureux de la femme. Il est une ode à ce sexe rabaissé constamment. Les thématiques classiques sont déjà présentes. Takechi tance cette société japonaise patriarcale qui relègue au rang de sexe faible la femme. L’homme est vu comme le dominant, et ce dans la plus stricte normalité.
Il est le pilier du couple et est celui qui mène les règles du jeu sans que l’épouse ne dise quoi que ce soit. Le clivage social est explicite entre le dominant, en l’occurrence l’homme, et le dominé, donc la femme. Plus que jamais, une fracture s’est faite, déchirant une société déjà en plein marasme et divisée sur de nombreux sujets sulfureux. Takechi extrapole son propos au-delà du matériau cinématographique même.
Le couple est construit sur des bases fragiles et peu épanouissantes vu que tout est une question de rapport de force qui jamais ne saura être renversé, l’homme ayant toujours le dernier mot. Les actes de torture que perpétuera le mari sur la femme ne sont rien de plus que la manifestation de son emprise omniprésente dans tous les aspects de la vie. Entre bondage et même des séances d’électrocution se retrouve derrière la vitre notre homme impuissant face à l’horreur de la situation. Il n’est pas un héros, malgré ses tentatives de la sauver pour la posséder. Agit-il en tant qu’être humaniste ou sa motivation n’est mue que par l’égoïsme et répondant à des pulsions sexuelles ?
Voilà l’une des questions les plus intéressantes, faisant sans surprise de Daydream un film épousant l’intellectualisme et in fine la sincérité d’un auteur qui dénonce les dérives sociales de l’époque. Cette manière de procéder étant louangée par la population japonaise fana de cinéma social.
Mais si s’arrêter à ce simple constat est plus que bien, Takechi va encore plus loin, s’aventurant sur les chemins sinueux et dangereux de l’expérimental. Tenant plus que tout à pousser le délire phantasmatique jusqu’au bout, il nous entraîne dans un périple où, comme dit avant, toute cohérence s’évapore face aux ellipses brutales qui nous font changer de lieu et parfois même de point de vue. Les errances de nos deux tourtereaux ont souvent été comparées à celles vues dans le petit chef-d’œuvre d’exploitation Dementia. Mieux encore, Daydream n’est pas sans faire penser au style unique de David Lynch avant l’heure. Takechi multiplie les séquences de toute beauté entre le cabaret vide où la femme s’évade dans la chanson ou la transformation du corps de celle-ci en mannequin. Il faut préciser qu’il vaut mieux oublier toute outrecuidance notoire. Le coït n’est jamais montré, le film se limitant à dénuder son actrice tout en l’effleurant avec sensualité.
Cependant, quel dommage que le cinéaste ait opté pour un plus long format, induisant d’inévitables baisses de rythme dues à une redondance d’action. La scène de l’escalator, aussi belle soit-elle, s’éternise. Certains passages eux sont simplement facultatifs.
Et là je serai cash ! Daydream peut sans conteste se classer parmi les plus beaux pinku eiga visuellement parlant. Outre un splendide noir et blanc, la multiplicité de décors parfois atypiques font qu’une réelle atmosphère flotte en tous ces lieux. Ces lieux font office quelques fois de simples passages lors d’une course-poursuite effrénée. Mais qu’à cela ne tienne, les amoureux d’esthétique jubileront à n’en point douter devant une pareille maîtrise, loin de toute forme de bâclage. Avec un montage audacieux, un maniement de caméra osé, le film est un modèle d’expérimentation comme on en a rarement vu dans le milieu du pinku. La composition musicale fait aussi la part belle à l’originalité avec différents styles musicaux parfaitement en accord avec le rythme du métrage.
Enfin, les acteurs délivrent une performance tout ce qu’il y a de plus honorable entre Kanako Michi, Akira Ishihama, Chojuro Hanakawa et Yasuko Matsui. Il n’y a, comme vous le voyez, que peu de personnages.
En conclusion, Daydream est, avant toute chose, une bien étrange mais oh combien fascinante curiosité dont l’influence sera capitale pour l’avènement du pinku eiga. Loin de l’abondance de scènes de fornication, Takechi en fait un pinku d’ambiance, peu bavard, tourné sur le sensoriel au lieu de l’explicite. Il se ressent et se vit plus qu’il ne s’explique. Quel goût amer nous avons en bouche en nous disant qu’il est fort probable que jamais Daydream ne sera exploité, ne se verra être reconnu à sa juste valeur sauf des plus irréductibles thuriféraires du genre, si tout du moins ils existent encore. Et qu’on se le dise, il n’a en aucun cas à rougir face aux grands classiques du pinku, en dépit d’une longueur un peu rédhibitoire. Je ne peux cacher mon extatisme de voir Cinéma Choc lui offrir une tribune sur un Internet français particulièrement pingre en informations.
Note : 15/20