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Channel: Cinéma Choc
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Mandala (Grâce à Maki, j'ai retrouvé une totale liberté de pensée cosmique vers un nouvel âge réminiscent)

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Genre : Drame, thriller, expérimental (interdiction inconnue mais...)

Année : 1971

Durée : 2h12

 

Synopsis :

Deux cou­ples qui pas­sent leurs vacan­ces dans un châ­teau s'ini­tient à l'échangisme. Sans qu'ils le sachent, ils sont fil­més par le pro­prié­taire des lieux, un étrange homme qui cher­che à fon­der une com­mu­nauté régie par des règles très sim­ples : le sexe libre et l'agri­culture.

 

La critique :

Comme une évidence que vous redoutez mais que vous avez depuis longtemps accepté en désespoir de cause, mon attrait indécent pour le cinéma japonais m'a conduit à des dizaines et des dizaines de billets sur des oeuvres de ce pays-là que je présente toujours avec grand enthousiasme. Et cet entrain qui a menéà une exploration de plus en plus approfondie m'a logiquement fait atteindre la prestigieuse Nouvelle Vague japonaise qui a fini par devenir l'un de mes grands travaux de chroniqueur. De Yasuzo Masumura en passant par Masahiro Shinoda et Yoshishige Yoshida, leurs films ne peuvent que susciter mon admiration. Vous vous en doutez, tous ne sont pas aptes à passer les impitoyables critères de sélection de Cinéma Choc pour être présentés. Ceci concerne surtout notre Yoshida chéri, ce qui n'enlève rien à l'excellence de son boulot. Malgré tout, j'ai encore suffisamment de pellicules en stock pour vous pourrir l'existence jusqu'à la fin de l'année. Au moins, arrivé au bout du tunnel, vous pourrez vous dire fièrement que le blog peut (ou pourrait) être un centre névralgique de la blogosphère française concernant ce courant révolutionnaire qui a pris naissance à la suite de tout un tas de bouleversements sociologiques, socio-économiques et socio-politiques. L'intrusion de la TV dans les foyers qui occasionne des baisses de recettes pour les sociétés de production, une certaine forme de lassitude envers le classicisme et finalement les révoltes sociales qui grondent dans les rues.

Ces envies de changements impactèrent logiquement les arts, la population voulant du cinéma plus réaliste, en accord avec son temps. La réforme cinématographique était inévitable et sera amorcée avec une nouvelle génération de réalisateurs qui se chargeront d'insuffler un souffle nouveau à l'entreprise. Rien de neuf sous le soleil car vous en connaissez l'exégèse par coeur. Et comme vous le savez aussi, cela fait depuis un petit temps que je me suis intéresséà la scène indépendante de cette NV japonaise. Déjà que le mouvement en lui-même est méconnu dans nos contrées mais si, en plus, on se décide à creuser, ça sera pire encore. Et ça me plaît justement car j'affectionne tout particulièrement de parler de films rares. Avec Koreyoki Kurahara et, dernièrement, Kazuo Kuroki, un troisième personnage s'était immiscé dans nos colonnes. Les perspicaces auront deviné qu'il s'agit de Akio Jissoji avec son sensationnel Mujo qui est sa plus célébrissime réalisation. Vous me connaissez par coeur, après cette claque, il m'était impossible d'en rester àça et c'est après prospection que j'appris qu'il fut le premier segment d'une trilogie métaphysique, essentiellement tournée vers le bouddhisme.
Visiblement inédite chez nous (oh mais quelle surprise !!!), cela était d'autant plus un moteur pour m'y jeter. Il est alors temps de passer au deuxième long-métrage qui est Mandala, aussi appeléMandara.

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ATTENTION SPOILERS : Deux cou­ples qui pas­sent leurs vacan­ces dans un châ­teau s'ini­tient à l'échangisme. Sans qu'ils le sachent, ils sont fil­més par le pro­prié­taire des lieux, un étrange homme qui cher­che à fon­der une com­mu­nauté régie par des règles très sim­ples : le sexe libre et l'agri­culture.

Il est indéniable que ces derniers temps, chaque nouvelle rencontre (si on excepte Nagisa Oshima) s'est soldée par un chauffage à blanc de mes neurones. Chose que je n'avais plus rencontré depuis la trilogie politique de Yoshishige Yoshida qui, pourtant, est intrinsèquement liée à ces films underground. Leur point commun est d'être toutes issues de la société de production ATG (Art Theatre Guild) dont je vous avais déjà touché un mot dans les billets sur Mujo et Les Esprits maléfiques du Japon. A contre-sens total de la politique de rentabilité des grandes maisons, cette entreprise promouvait les démarches artistiques et la dimension intellectuelle en réduisant, parfois à l'extrême, les moyens financiers. Ne vous méprenez pas, sous sa vision du Septième Art que certains jugeront suicidaire pour engranger du pécule, l'ATG produira une grande partie de la scène indépendante japonaise, dont nombre d'oeuvres phares et de classiques des grands auteurs. Comme quoi !
Pour Akio Jissoji, sa mentalitéétait en totale adéquation avec l'ATG, de sorte qu'il deviendra l'un de ses piliers mais aussi un précieux atout après Mujo qui sera l'un des plus grands succès de la firme. Bénéficiant de la confiance des têtes pensantes, il put réitérer son exploration de l'érotisme spirituel un an après avec Mandala, nettement moins connu à l'international au point que parvenir à obtenir des renseignements relève plus de la gageure qu'autre chose.

Que soit, Mujo m'a appris à cerner son géniteur qui préférait la fulgurance graphique à la cohérence scénaristique. Nous démarrons ainsi de la plus belle des manières avec ce couple échangiste forniquant dans des draps blancs sur un fond blanc immaculé. Nous sommes dans le stade de pureté le plus pur qui soit. Quand bien même, son homme s'ébaudit de cette sexualité taboue, ce n'est pas le cas de sa femme qui ne montre guère d'extatisme à pratiquer cela. Dans ce motel perdu au beau milieu de paysages côtiers, ils sont épiés par des caméras cachées, façon télé-réalité en un peu plus intellectuel que Secret Story, placées par Maki, le propriétaire des lieux. Homme que l'on soupçonnerait être, à première vue, juste simple voyeur, on tient en fait un joyeux illuminé qui a décidé de fonder un groupuscule hors de la civilisation moderne, au beau milieu de la nature.
Les seules règles mises en avant est de jouir du sexe libre et pratiquer l'agriculture pour qu'ils en viennent à devenir auto-suffisants. Après quelques péripéties, notre couple en vient à rencontrer ce grand gourou des temps modernes qui leur annonce les avoir choisi pour intégrer leur société parallèle. Ils n'ont aucune obligation et sont libres de partir quand ils veulent. Pourtant, ils finiront par accepter, ce qui n'est, en soit, pas surprenant. L'homme est hanté par des souvenirs passés dont il ne parvient pas à s'extirper et la femme n'est pas épanouie dans la vie. Ce sont des cibles parfaites. Il n'en fallait pas plus.

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Manipulateur et perfide, le chef va user d'une rhétorique autant destructrice que subtile pour faire tomber les masques cachant l'immoralité totale du dogme qu'il a conçu et dont le sexe féminin en est l'épicentre. Leur corps est, toujours selon lui, un moyen de se rapprocher de Dieu et in fine d'accéder à la spiritualité. Par conséquent, le couple n'existe pas dans ce microcosme. La polygamie est indispensable et la procréation n'en est aucunement une finalité. Prônant le malthusianisme, il en vient très vite à légitimer le viol qui, selon lui, est une nécessité. Pire encore, il scandera que celui-ci n'existerait pas si les femmes se donnaient spontanément aux hommes plutôt que de résister. Voilà, comme ça c'est dit ! Le prétendu sexe libre n'est en fin de compte qu'une façade éhontée qui n'a de liberté que celle des hommes à pouvoir abuser en totale impunité des femmes pour soulager leurs pulsions.
Cette mécanique quelque peu poussée à l'extrême dénonce le patriarcat japonais annihilant le libre-arbitre et le désir des femmes à pouvoir vivre comme elles l'entendent. Jamais Mandala ne sombre dans l'exutoire ou dans la promotion de la culture du viol puisqu'il souligne toute l'absurdité de la condition de la femme japonaise avec un jusqu'au boutisme qui en perturbera plus d'un. 

De l'autre côté, cette volonté d'exploiter les sols en autarcie, loin de toute pratique industrielle qui serait potentiellement dévastatrice, tient à se rapprocher de la nature dont l'humanité tire son origine. Au mal absolu de la mainmise sur la femme vient s'ajouter le respect le plus élémentaire de Mère Nature. Bien et mal coexistent en chaque individu embrigadé, tantôt respectable, tantôt innommable. Le coït est privé de toute sa substance pour ne devenir qu'une consommation à but transcendantal. Il n'y a ni jouissance, ni harmonie là-dedans. Celles-ci ne se détectant que, justement, dans l'agriculture. A travers Mandala, Jissoji représente toute la dangerosité des sectes dont l'emprise sur la psyché des personnes fragiles peut finir par devenir irréparable.
Les déviances au nom de religions extrémistes fumantes ne reposant sur rien de concret, si ce n'est de bafouer et même désintégrer toute règle morale pour que seule la chair soit l'objet central. L'aveuglement provoqué par un pervers narcissique sur des gens qui ruineront leur fierté pour espérer être en accord avec des cultes dépravés. Mandala repousse allègrement les limites de la moralité, allant même jusqu'à frôler (ou dépasser pour certains) la ligne rouge.

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Vous trouviez Mujo déjà bien austère en son genre ? Alors vous serez ravi ou (désemparé) de savoir que Mandala repousse encore plus loin la mise en scène délirante qui, jamais, n'épousera une narration rectiligne. A la simplicité, Jissoji opte pour les transitions brutes, la destruction totale des repères topologiques et chronologiques, les ellipses invraisemblables. Le formalisme artistique est seule pièce maîtresse du jeu qui ne s'embarrasse aucunement de la compréhension du cinéphile toujours plus stupéfait dans la tournure des événements. Après un acte effroyable, le film versera de plus en plus dans le thriller psychologique voyant son point culminant dans la fête mystique donnée en faveur des dieux. D'un noir et blanc ténébreux, son infernale mise en scène nous rapproche d'une sensation de palper l'enfer de Dante. Le climat toujours plus anxiogène amènera l'homme à contempler un authentique suicide collectif moral où chacun semble avoir laisser le démon grimaçant prendre le contrôle de leurs capacités cognitives. Après, je serai cash en disant que les thuriféraires de cinéma conventionnel risqueront de quitter prématurément la séance. Mais sait-on jamais, la surprise peut être au rendez-vous (et je l'espère). 

Si Mujo avait opté pour le noir et blanc, ici la couleur sera prédominante, avec quelques passages dans ces deux couleurs, surtout dans la dernière partie où tout devient terrifiant. Evoluant au fin fond de la forêt, loin de la civilisation japonaise moderne qui nous frappera de plein fouet quand nous verrons la procession croiser une voiture, les paysages sont sensationnels. La plage, les étendues verdoyantes sont sublimées par une méticulosité extraterrestre sur le travail des plans et surtout sur ces incroyables travellings en vitesse rapide, assurément parmi les plus beaux que l'on ait pu voir à ce jour (tout du moins, en ce qui me concerne). Et que dire aussi de cette bande son rappelant les orgues de cathédrales qui ne font que nous scotcher. Nous finirons par un casting de visages inquiétants parmi lesquels Koji Shimizu, Akiko Mori, Ryo Tamura, Hiroko Sakurai, Shin Kishida, Daigo Kusano, Mihiro Wakabayashi et Maya Kitajima.

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Décidément, quel plaisir que la rédaction d'une chronique sur un cru de Akio Jissoji dont on ne peut que louanger son univers visuel distinctif entre milles qui ne pourra que plaire ou repousser. Mandala fait largement honneur à son frère aîné en s'embarquant sur un terreau tout autant sensible que la relation incestueuse. Ici, c'est un plongeon pour le moins choquant dans les abîmes de l'humanité, le marais boueux de la démence, à un point qu'il serait catégoriquement impossible de sortir un tel truc en 2020 sans provoquer un scandale de masse sur les réseaux sociaux, reconvertis en tribunaux populaires. Jissoji, dans ses expérimentations érotico-ésotériques, livre un triste constat qu'en chaque utopie se trouve la destruction et que l'idéalisme contient en elle les germes de sa propre perte, surtout quand il se positionne sur des bases aussi sensibles. Mandala, un film qui marque durablement au fer rouge et qui ne pourra que créer la polémique et le débat par sa représentation crue de la cruauté.
Une oeuvre ouvertement "Sadienne", d'une difficulté d'accès record par sa nébulosité assez poussive qui sera le gros frein pour faire se décider le téméraire à appuyer sur le bouton Play. Indubitablement, un tel long-métrage ne pourrait se retrouver sans interdiction à un jeune public. En conclusion, je vous souhaite d'avance une "agréable" séance pour ceux qui oseront.

 

Note : 17/20

 

orange-mecanique Taratata


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