Genre : Drame
Année : 1970
Durée : 2 heures
Synopsis :
Michio Yamada, récemment diplômé, est envoyéà Tokyo afin de travailler dans un département de vente de fruits pour un programme du gouvernement. Mais dérobant une arme dans une caserne américaine, il l'utilise, et tue plusieurs personnes.
La critique :
Ceux qui nous suivent depuis longtemps et régulièrement (soit quatre à cinq personnes en comptant les auteurs eux-mêmes) savent à quel point Cinéma Choc affectionne depuis maintenant plusieurs ANNEES un courant révolu, méconnu et loin de nos frontières. La pochette et l'année de sortie vous auront sans doute mis la puce à l'oreille puisque c'est encore cette satanée Nouvelle Vague japonaise qui n'a de cesse de vous oppresser, vous torturer, au point qu'une partie non négligeable d'entre vous aurait probablement développé de l'urticaire à la lecture de la simple introduction d'un billet s'y référant. Quand est-ce que cette rétrospective arrivera-t-elle à terme ? Eh bien, ce n'est pas pour tout de suite et vous m'en voyez navré car j'ai réalisé depuis un bon bout de temps que la disponibilité sur le Net est infiniment supérieure à celle en format physique.
Mais le téléchargement c'est mal, vous comprenez... Trêve de sarcasme et poursuivons pour une Xème chronique qui fait toujours gonfler plus le pedigree du blog qui pourrait bien devenir the place to be pour les quelques individus qui voudraient s'essayer à cette précieuse Nouvelle Vague dont j'ai plus d'une fois louangé ses qualités intrinsèques.
Mais voilà, ces dithyrambes ne s'étaient essentiellement focalisées que sur une poignée de réalisateurs qui, s'ils sont les plus réputés, n'ont pas non plus le monopole de la création de pointe. Avec la découverte de l'ATG, plusieurs personnages haut en couleurs se révélèrent et parvinrent à ce que j'accroche à leur style. Dans le cas d'aujourd'hui, on retrouvera un cinéaste présentéà plusieurs reprises mais sans que ses oeuvres ne fassent partie de la NV jap'. Un bonhomme très connu car il s'agit de Kaneto Shindo qui reçut les ferveurs du site pour Onibaba, les tueuses et Kuroneko. Deux excellents films d'horreur qui n'ont plus rien à prouver au vu de leur solide réputation.
Néanmoins, ceux-ci étaient à part de notre rétrospective, ce qui ne sera pas le cas du long-métrage d'aujourd'hui au très poétique nom Vivre aujourd'hui, mourir demain. Un Shindo mineur, méconnu et visiblement inédit dans nos contrées. C'est grâce à l'immense générosité d'un forumeur avec qui j'ai sympathisé qui me permit de l'obtenir en même temps que Les Esprits maléfiques du Japon. Il va sans dire que sans lui, jamais vous n'auriez eu l'immense honneur de lire un billet les concernant.
ATTENTION SPOILERS : Michio Yamada, récemment diplômé, est envoyéà Tokyo afin de travailler dans un département de vente de fruits pour un programme du gouvernement. Mais dérobant une arme dans une caserne américaine, il l'utilise, et tue plusieurs personnes.
Rappelons que la situation japonaise n'était pas au beau fixe, le pays étant plongé dans tout un tas de problématiques sociales. L'augmentation des frais d'université qui paupérisait davantage les classes précarisées et l'ingérence américaine par le fameux traité de sécurité nippo-américain. En conséquence, on vit des contestations de masse retranscrites par de gigantesques manifestations surtout estudiantines mais intégrant aussi ouvriers, artistes et intellectuels. Shindo, en intégrant son récit en plein dans les révoltes, rappelle indéniablement le travail de Nagisa Oshima qui se plaisait aussi, en fervent militant passé, à filmer la polémique. Toutefois, il nous sera conté un événement, peut-être, moins connu de nous qui est la politique dite "shudan shushoku".
Cette mécanique d'après-guerre avait pour but d'inciter les jeunes générations fraîchement diplômées des campagnes à migrer dans la mégalopole tokyoïte où beaucoup de main d'oeuvre était demandée. C'était le temps du grand boom économique qui ne concernait, toutefois, pas tout le monde et certainement pas les villages reculés qui perdaient au change ces jeunes arrivés sur le marché du travail. Parmi eux, nous retrouvons un Michio enjouéà l'idée de travailler dans un grand magasin au niveau de la section des fruits.
Mais il ne faudra pas longtemps pour que la désillusion d'un travail qui lui faisait miroiter tant d'espoirs ne le frappe. L'engouement a fait place à la lassitude. Michio finit par ne plus se retrouver dans les emplois offerts par Tokyo. Hésitant, il ne se sent plus être à sa place. Avec Michio, le réalisateur illustre les rêves brisés de jeunes qui ont déjà en eux de lourdes cicatrices. Quand on pense que Shindo s'inspire de la vie de Noriko Nagayama, un tueur en série qui a sévi à la fin des années 60, la force de frappe n'en est que plus importante. Ce parcours très mouvementé dans la capitale aura raison de lui, sombrant dans la folie lorsqu'il dérobera une arme pour tuer gratuitement plusieurs personnes qui se dresseront en travers de son chemin. Comment a-t-il pu en arriver là ?
C'est la question que tentera d'élucider Vivre aujourd'hui, mourir demain qui optera pour de nombreux flash-backs explicatifs sur sa vie passée, bien avant qu'il n'arrive à Tokyo. Et son enfance est assez peu flatteuse, à commencer par un cadre familial pauvre constituée d'une mère soumise addict au jeu et supportant l'alcool violent d'un mari qui n'accorde aucune importance à sa famille.
Et on se permettra de ne pas oublier les sévices sexuels que sa soeur subissait sous les yeux de Michio alors encore très jeune. Dans une narration fragmentée, nous serons constamment balayés entre l'époque actuelle et celle passée qui commencera à nous être contée après les premiers meurtres du bel éphèbe. Qu'on se le dise, ces allers-retours permanents ne sont pas la meilleure idée qu'ai eu Shindo qui use et abuse de ces transitions au point qu'elles finissent par énerver. Et ça l'est d'autant plus quand il filme une scène du présent qui n'a guère trop d'intérêt. Car on ne pourra cacher le fait de trouver que Vivre aujourd'hui, mourir demain se traîne en longueur, alors qu'un raccourcissement d'un bon quart d'heure aurait été judicieux. Mais ne tirez pas trop vite la moue car le film sait intégrer des moments forts et s'achève sur un beau (mais pas joyeux) finish. La partie où Michio est serveur dans un bar et côtoiera le monde de la nuit avec tous ses travers possibles se suit avec une très grande attention.
Vraisemblablement, Shindo a un grand faible pour le noir et blanc car l'an de grâce 1970 ne l'incite toujours pas à passer à la couleur. Ma foi, ce n'est pas un problème et il n'est pas seul à l'avoir fait. Toshio Matsumoto ou Kazuo Kuroki en ont fait de même aussi. Si le visuel n'est pas aussi flamboyant que L'Île Nue et ses deux films d'horreur susmentionnés, le tout suit admirablement bien la route. Cadrages, plans et décors, tout est beau et lisse. Mention à la partition sonore très éclectique qui ravira à n'en point douter les mélomanes fana de sons kitsch. Enfin, les acteurs délivreront une prestation honorable entre Daijiro Harada, Nobuko Otowa, Keiko Torii, Kiwako Taichi et Daigo Kusano.
Tout au plus, on tirera la moue sur un Kei Sato complètement sous-exploité, au bord de la présence inexistante en détective qui ne sert à rien. Un beau gâchis quand on songe à l'aura qu'il dégage.
Bien que mon exploration de la filmographie de Kaneto Shindo ne soit pas des plus éloquentes, je ne peux pas statuer sur l'importance de ce film dans son travail global. Toujours est-il que, compte tenu d'un sujet très intéressant, Vivre aujourd'hui, mourir demain est une petite déception qui n'a pas suffisamment mobilisé tout son potentiel. Certes, la toile de fond des protestations étudiantes où se retrouvent les Zengakuren est intéressante. On peut avancer avec une quasi-certitude que le réalisateur s'est grandement inspiré du style de Nagisa Oshima par son traitement du réel et la dimension socio-politique prépondérante. Cependant, la construction scénaristique couplée à une durée un peu lourde plombe la séance. Reste que le programme "shudan shushoku" a ce mérite de rattraper le coup en justifiant au moins sur ce point une petite soirée à offrir àVivre aujourd'hui, mourir demain. Correct mais pas exceptionnel !
Note : 13,5/20