Genre : Expérimental, Documentaire, Muet
Année : 1932
Durée : 1H25
L’histoire : Histoire et chronique du Mexique à travers divers personnages et divers événements.
La critique :
Aujourd’hui, nous allons évoquer un des films les plus énigmatiques de l’histoire du cinéma, j’ai nommé Que Viva Mexico ! de Serguei Eisenstein. Un véritable film maudit d’un réalisateur de génie. L’histoire du film en lui-même est entrée dans la légende du septième art. C’est donc à la fois l’histoire du Mexique et l’histoire de l’œuvre en elle-même qui nous sont racontées. En effet, il s’agit là d’une version montée en 1979, soit 44 ans après la réalisation du film. Attention SPOILERS !
Que Viva Mexico ! s’ouvre d’abord sur des images du Mexique. Ensuite, on a droit à une interview de Grigori Aleksandrov, l’assistant réalisateur d’Eisenstein, qui nous raconte la naissance du film. Dans les années 1930, Eisenstein effectue un voyage aux Amériques. Son idée est alors de tourner un film sur « le nouveau continent ».
Malheureusement, le réalisateur russe ne parviendra pas à s’entendre avec Hollywood. Il décide alors de faire un film au Mexique un pays qu’il affectionne particulièrement pour ses richesses culturelles. Le producteur Upton Sinclair, un socialiste millionnaire, accepte de produire le film. Au final, ce qui devait être une œuvre se déroulant au Mexique devient une œuvre sur le Mexique. C’est alors que le film démarre, un film muet en l’occurrence. Cependant, les habituelles planches écrites qui décrivent des éléments tels que les dialogues ou les prologues, sont ici remplacées par une voix-off rajoutée lors du montage en 1979. L’histoire du Mexique est alors évoquée à travers trois chapitres : Fiesta, Sandunga, Maguey.
On suit le parcours de différents personnages et divers événements. Un mariage, une corrida, la fête des morts, mais également l’oppression des riches propriétaires dont sont victimes les péons.
Que Viva Mexico ! se situe donc une fois encore entre le cinéma et le documentaire. Plusieurs scènes sont directement issues de la vie réelle. D’autres ont été jouées par des acteurs étant tous des non-professionnels, ce qui accentue cependant le réalisme. A la fin du film, on retrouve Grigori Aleksandrov qui nous raconte la fin de cette œuvre. A l’époque, Eisenstein et Aleksandrov avaient filmé 70 000 mètres de pellicule. Cependant, Sinclair leur coupa les vivres et récupéra les bandes.
C’est ainsi que se termina Que Viva Mexico ! Ainsi le quatrième chapitre, initialement prévu et intitulé Soldadera, ne sera pas réalisé. Ce qui est plus d'autant plus regrettable quand on sait que ce chapitre devait raconter la révolution mexicaine. Eisenstein sera littéralement dépossédé de son film et plus jamais, il n’en parlera.
30 ans après la mort de ce génie, les USA permirent à l’URSS de récupérer des rushes. Cependant, il manquait 15 000 mètres de pellicule. Eisenstein était mort, de même qu'Edouard Tissé, le directeur de la photographie, il ne restait plus qu’Aleksandrov. En 1979, ce dernier décida d’effectuer le montage du film avec ce qui était disponible, il sera aidé de la monteuse Esther Tobak. Ils monteront alors le film « tel que l’avait conçu Eisenstein, tel que je me l’imaginais et tel que je me le rappelle » déclare Aleksandov. C’est ainsi que le film sort enfin 44 ans après sa réalisation.
Au final, le résultat est certes très beau mais forcément décevant quand on pense à ce que cela aurait pu (dû ?) être. On a droit à une grande fresque expérimentale entre la fiction et le documentaire sur le Mexique.
On retrouve le style du réalisateur qui s’attache aux symboliques. Plus que tout, Eisenstein s’intéresse au folklore local. Il filme ainsi les temples et monuments aztèques de façon magistrale, ainsi que les fiestas mexicaines. Par ailleurs, le réalisateur russe semble particulièrement fasciné par la fête des morts, un événement qui lui permet là encore de jouer avec les symboles pour évoquer certains aspects de la société. Car en effet, Que Viva Mexico ! prend également une dimension critique lorsqu’il montre l’oppression des propriétaires sur les péons avant la révolution.
Ce chapitre se terminera sur une scène choc dans laquelle des opposants sont enterrés jusqu’aux épaules et sont mis à morts, la tête piétinée par les cavaliers. Une scène forte comme Eisenstein sait les faire. Bien des années plus tard, cette scène trouve des résonnances dans le chef d’œuvre de Fernando Arrabal, Viva La Muerte.
Comme habituellement chez le réalisateur, il n’y a pas vraiment de personnages principaux, Que Viva Mexico ne raconte pas l’histoire de personnes mais l’histoire d’un pays, comme ce fut le cas pour les précédentes œuvres du cinéaste. Que Viva Mexico ! permet donc à Eisenstein de se diriger vers de nouveaux horizons esthétiques et une fois encore, le cinéaste tire largement profit du paysage mexicain et de sa culture pour nous livrer des images somptueuses, parfois étranges et irréelles. Que Viva Mexico ! est vraiment un film à part et difficile àévaluer.
Cependant, on ne peut que regretter que ce film ne soit pas ce qu’il aurait dûêtre. A ce propos, l’écrivain Dominique Fernandez déclara : « Il ne monta jamais son film, ce qui aurait peut-être été le plus beau film du monde ». Un film maudit qui a sombré dans l’oubli, mais qui dégage une force particulière. Une vraie curiosité cinéphilique à découvrir.
Note : 16,5/20