Genre : Drame, fantastique, épouvante
Année : 1928
Durée :1h06
Synopsis :
Allan vient au secours de son ami Roderick Usher, qui vit dans une maison où règne une atmosphère étrange. Lady Madeleine, sa femme, meurt dans de mystérieuses circonstances. Son mari refuse de croire à cette mort et interdit de clouer le cercueil. Il est persuadé que sa bien-aimée va revenir. Elle reparait une nuit et le couple s'enfuit tandis que la demeure s'écroule.
La critique :
Qu'on se le dise, on ne pourra pas dire que le cinéma français est riche en terme d'inventivité ces dernières années, que ça soit tant dans les idées scénaristiques que dans les genres plébiscités et la construction d'un académisme sidérant. Cette fois-ci, faisons un bond de près de 90 ans en arrière, dans les années 20 où le paysage cinématographique voyait apparaître une véritable révolution via un courant, assez peu oubliéà notre époque, j'ai nommé l'Avant Garde, également appelé impressionnisme français par opposition à l'expressionnisme allemand.
Très vite, les revendications de cette école de pensée sont claires, il faut faire du cinéma un art radicalement neuf et notamment en étant contre les abus d'adaptations littéraires et être partisan de scénarios spécialement écrits pour l'écran. Ce courant regroupant différents cinéastes comme Abel Gance ou Germaine Dulac mais aussi Jean Epstein, auteur du film présenté aujourd'hui et ayant très vite villipendé les tournures des événement s'éloignant de l'idée initiale de la pensée.
Ce qui est aujourd'hui caractérisé comme "première Avant Garde" n'aura connu son apogée que dans un temps très restreint d'une dizaine d'années et n'aura pas pu, au grand dam de Jean Epstein, férocement opposé au surréalisme, s'imposer durablement comme il l'aurait souhaité. Néanmoins, ce courant, très vite dépassé par la "seconde Avant Garde" où le dadaïsme et le surréalisme étaient brandis comme fers de lance, aura su s'imposer dans le paysage français et de faire de Jean Epstein, un cinéaste très reconnu dans les milieux cinéphiles avec une oeuvre pour le moins considérable.
De fait, le réalisateur de Coeur Fidèle, La Glace à Trois Faces ou encore Finis Terrae, pour les cinéphiles, clôt son cycle tel qu'on le connaissait alors avec l'oeuvre présentée aujourd'hui et portant le doux nom de La Chute de la Maison Usher qui est une adaptation d'une nouvelle éponyme d'Edgar Allan Poe. Sans plus attendre, passons à la critique.
ATTENTION SPOILERS :Appelé par Lord Roderick Usher, inquiet de la santé de sa compagne, avec laquelle il vit dans une maison perdue au milieu des étangs, un de ses amis se rend dans ce lieu chargé d'angoisse et d'énigmes. il trouve le maître de céans en train de peindre avec acharnement le portrait de son épouse ; celle-ci s'étiole dans cette atmosphère lugubre, transmettant le peu de vie qui lui reste au portrait. Un jour, elle s'effondre. On l'enterre dans la crypte du parc. Mais Roderick est persuadé qu'elle n'est qu'endormie. Elle sortira seule de la tombe par une nuit d'orage, tandis que la foudre tombe sur la maison Usher.
Vous l'avez compris, nous sommes bien loin du cinéma d'épouvante tel qu'on le connaît aujourd'hui et ne reposant sur rien, si ce n'est sur des screamer. Indéniablement, La Chute de la Maison Usher est une oeuvre à part de ce courant et n'est, en elle-même, pas une adaptation au sens littéraire du récit dont il est issu. Je vous ai dit au-dessus que l'Avant Garde refusait les abus d'adaptations littéraires et le film ici en est l'exemple frappant. Pourquoi ? Parce que cette adaptation est avant tout le fruit des souvenirs du réalisateur de sa lecture du récit, ne voulant pas retranscrire à la lettre le scénario. De plus, il poussera son idée novatrice d'inclure plusieurs éléments d'autres oeuvres de l'écrivain comme avec Le Portrait Ovale. Ce melting-pot est-il cependant de bonne qualité ?
Oh que oui ! Et plus encore, l'oeuvre est hypnotisante et nous fait découvrir les facettes d'un genre jusque là fort confidentiel aux yeux du grand public, voire même d'un type cinématographique très beau et très intriguant.
Jean Epstein crée une atmosphère particulière et au travail d'orfèvre. Un travail qui reposera essentiellement sur l'atmosphère, plus que le récit lui-même. Selon l'un des principes majeurs de l'Avant Garde, le langage visuel est primordial, souvent plus que l'histoire et cette thématique est parfaitement observable ici. Le réalisateur nous entraîne dans un scénario, certes simple et logique dans sa trame, mais servant l' l'atmosphère. Un style remarquable alors que, même actuellement, l'ambiance était et est au service du scénario. En d'autres termes, Epstein inverse les rapports et pourtant la recette fonctionne et nous offre quelque chose d'irréel, inquiétant, étrange où, plus qu'un simple film d'épouvante, l'histoire est avant tout une véritable allégorie de la tristesse dans sa plus pure expression.
Lord Roderick, dévasté par la perte de sa femme, représentant tout pour lui, va peu à peu basculer.
Vous l'avez compris, le drame surpasse le fantastique en nous livrant une oeuvre d'une véritable poésie morbide où la mélancolie et la souffrance ponctuent le récit au cours des très courtes 66 minutes de séance ne relâchant jamais l'intérêt du spectateur hypnotisé par une superbe atmosphère l'enveloppant complètement et dont on remarque directement que le film ne navigue à aucun moment dans les conventions expressionnistes. A aucun moment, le jeu des ombres mis en évidence par la lumière n'est aux abonnés présente, à aucun moment le jeu d'acteur volontairement exagéré n'est présent. On a là un courant novateur et véritablement singulier où les essais cinématographiques révolutionnaires pour l'époque sont expérimentés. Surimpressions, ralentis, accélérations apportent un souffle nouveau et une mise en scène remarquable pour la fin des années 20, comme vous pourrez le remarquer sur l'image au-dessus. Une autre caractéristique est que Epstein accorde beaucoup d'importance aux décors filmés de manière rigoureuse et toujours dans un cadre étouffant, étrange et à la tonalité glauque entre un lac, une forêt semblant morte, des marais et des ruines où les ombres ne sont jamais mises en évidence par la lumière.
Le récit est pensé et à aucun moment, Epstein ne perd de vue son idée. Les évènements se succèdent de manière logique mais paradoxalement, la construction scénaristique se montrera plus difficile d'accès que prévue, au risque de me répéter. Le réalisateur fait se dérouler l'action dans un unique décor pour ne jamais se désolidariser de l'ambiance morbide régnant sur le lieu de la demeure, parfaite représentation d'une sorte d'antichambre de l'enfer. A côté, les rapports de lieux, au cours de la séquence du trajet pour faire reposer Lady Madeleine dans la crypte, qui en est un très bon exemple, sont brouillés, de même que les rapports de temps. Tout screamer est évité et les quelques évènements fantastiques qui ne sont rien de plus qu'une représentation abstraite de la mort et des angoisses de Roderick se limiteront à des perturbations du décor (courants d'air, objets se renversant).
L'idée fonctionne et oppresse le spectateur en même temps que les gros plans inquiétants sur le visage de Roderick se succèdent à un rythme constant.
A ce niveau, les personnages s'intègrent parfaitement bien aux décors assez épurés et à la tonalité du récit avec, au casting, Jean Debucourt, Charles Lamy et surtout Marguerite Gance, belle, fascinante et à la présence toujours quasi fantômatique. Une victime de l'ambition de Sir Roderick de peindre le portrait parfait de son épouse sans se douter qu'il lui enlève la vie à mesure de la représenter de manière la plus réaliste sur la toile. Les idées scénaristiques de 2 récits parfaitement imbriqués l'un dans l'autre, continuent à fasciner et àépater le spectateur qui aura réussi à rentrer dans l'histoire devenant vite désordonnée dans la dernière partie du récit pour le moins cauchemardesque où l'enfer semble avoir pris possession des lieux sans que l'on ne sache trop pourquoi, compte tenu de la littérature éclipsée. Un style qui, encore une fois, ne plaira pas à tout le monde.
En conclusion, La Chute de la Maison Usher est décidément une oeuvre bien difficile à analyser tant le style unique déboussole le spectateur pris dans une pensée cinématographique aux antipodes de ce, auquel, il a été habitué. Epstein ne s'embarrasse pas, en priorité, de donner un sens logique à son récit et se concentre essentiellement sur la création d'une atmosphère désespérée et aux tonalités d'épouvante non négligeables, servie par une musique mélancolique aux inspirations médiévales de toute beauté. Un drame où l'horreur davantage psychologique et symbolique fait des merveilles et hypnotise. Un drame où le cauchemar et la réalité, où la vie et la mort, où la poésie et la tragédie mettent en place un grand film qui mériterait davantage plus de reconnaissance. Epstein ne peut qu'être applaudi devant ses prises de risque qui ont, au final, été plus que payantes. Fantastique et épouvante, le film l'est mais la tragédie est l'épicentre même du récit. A tous les amateurs qui voudraient s'essayer à un film d'épouvante différent, je ne peux que chaudement vous recommander l'un des plus beaux films français que j'ai pu visionner à ce jour.
Note :17/20