Genre : drame, érotique (interdit aux - 16 ans)
Année : 1976
Durée : 1h42
Synopsis : Tokyo, 1936. Kichizo, le propriétaire d'une auberge, désire fortement la servante Sada Abe. Au fil de leur relation, Kichizo a des pulsions sexuelles de plus en plus violentes. A tel point qu'il en vient presque à violer les femmes qu'il fréquente. Un jour, le drame survient : il tue une vieille geisha, alors que Sada multiplie de son côté les expériences sexuelles.
La critique :
Né en 1932 et décédé en 2013, Nagisa Oshima fait partie de ces cinéastes japonais qui ont marqué durablement le Noble Septième Art en général et le cinéma asiatique en particulier. Le réalisateur compte presque 25 longs-métrages à son actif. La plupart de ses films sont nimbés d'un parfum de souffre, de scandale et de polémique. C'est par exemple le cas de L'Enterrement du Soleil (1960), Nuit et Brouillard du Japon (1960), Les Plaisirs de la Chair (1965), L'Obsédé en plein jour (1966), La Pendaison (1968), L'Empire de la Passion (1978) et Furyo (1983).
Vient également s'ajouter L'Empire des Sens, qui constitue aussi le film le plus populaire de Nagisa Oshima. En 1972, le producteur Anatole Dauman lui demande de réaliser un drame érotique.
A l'origine, cette tragédie doit s'intituler Corrida de l'Amour, mais la version française lui préfère le titre de L'Empire des Sens, probablement en référence au vieil adage de Stendhal : "Au premier grain de passion, il y a le premier grain de fiasco". Thématique sur laquelle nous reviendrons ultérieurement. Toutefois, le titre original - donc japonais - du film, Ai no Korida, signifie littéralement Corrida de l'amour, même s'il est bien question ici de l'essence même du désir et de la passion charnelle.
En outre, L'Empire des Sens s'inspire d'un fait divers authentique qui a bouleversé la société nippone en son temps, plus particulièrement dans les années 1930. Un couple, Sada Abe et Kichizo, se livrent à des activités sexuelles frénétiques qui dérivent vers la soumission, la torture, la castration puis la mort.
Sada Abe est une ancienne servante et geisha qui s'adonne régulièrement à la prostitution avec des hommes de fortune. La jeune femme carnassière sera évidemment arrêtée, puis écrouée après avoir été retrouvée errante dans la rue, avec le sexe encore turgescent de son amant. Vous l'avez donc compris. L'Empire des Sens a tout du film scandaleux et polémique qui provoquera évidemment les foudres et les anathèmes lors de sa sortie au Pays du Soleil Levant.
Au Japon, le film subit même les affres et le diktat de la censure. Présenté au Festival de Cannes en 1976, le succès du long-métrage dépassera largement ses frontières. Aujourd'hui, L'Empire des Sens fait même partie des grands classiques du Noble Septième Art. Encensé par les critiques et la presse cinéma, le métrage rencontre les plébiscites de la sphère intellectuelle.
Reste à savoir si le film mérite un tel panégyrisme. Réponse dans les lignes à venir. En l'occurrence, L'Empire des Sens contient des séquences pornographiques non simulées... Et pourtant, le film n'écopera que d'une interdiction aux moins de 16 ans lors de sa sortie en salles. Les fans le qualifient de pornographie soft ou d'érotisme hard à consonance sadomasochiste. Les détracteurs y voient tout simplement un film lubrique, sadique et malsain.
En l'état, il faudrait surtout évoquer une tragédie sanglante et érotique. La distribution de L'Empire des Sens réunit Eiko Matsuda, Tatsuya Fuji, Aoi Nakajima, Yasuko Matsui et Meika Seri. Attention, SPOILERS ! (1) 1936, dans les quartiers bourgeois de Tokyo. Sada Abe, ancienne prostituée devenue domestique, aime épier les ébats amoureux de ses maîtres et soulager de temps à autre les vieillards vicieux.
Son patron Kichizo, bien que marié, va bientôt manifester son attirance pour elle et va l'entraîner dans une escalade érotique qui ne connaîtra plus de bornes. Kichizo a désormais deux maisons : celle qu'il partage avec son épouse et celle qu'il partage avec Sada. Les rapports amoureux et sexuels entre Sada et Kichizo sont désormais épicés par des relations annexes, qui sont pour eux autant de célébrations initiatiques. Progressivement, ils vont avoir de plus en plus de mal à se passer l'un de l'autre, et Sada va de moins en moins tolérer l'idée qu'il puisse y avoir une autre femme dans la vie de son compagnon. Dans les années 1970, surgissent plusieurs films scandaleux qui vont largement défrayer la chronique, notamment Salo ou les 120 Journées de Sodome (Pier Paolo Pasolini, 1975), La Grande Bouffe (Marco Ferreri, 1973), Les Diables (Ken Russell, 1971) et bien évidemment, L'Empire des Sens.
A juste titre, le long-métrage de Nagisa Oshima est souvent qualifié du plus beau film pornographique du monde. Oubliez les immondices pornographiques actuelles pour une pellicule esthétique et servie par la maestria de Nagisa Oshima, plus inspiré que jamais. Le film sort aussi dans un contexte de libération sexuelle. Période durant laquelle les femmes s'emparent du désir masculin. Sylvia Kristel et Brigitte Lahaie deviennent les nouvelles égéries d'un érotisme et d'une pornographie qui s'affranchissent d'un joug masculin. Durant les années 1970, les films érotiques et pornographiques relatent essentiellement du libertinage, du candaulisme, du voyeurisme, du lesbianisme et une once de sadomasochisme.
L'Empire des Sens se démarque de ses augustes devanciers puisqu'il associe le désir sexuel (Eros) à la mort (Thanatos).
Le désir doit supplanter l'amour pour ne pas se consumer. Inexorablement. Telle est la réthorique quasi eschatologique du cinéaste japonais qui a parfaitement cerné l'axiome de Stendhal. Dès lors, la romance amoureuse entre Sada Abe et Kichizo se confine dans un huis-clos funeste et sinistre. Les deux corps doivent s'entremêler, copuler, coïter, s'enfourcher et s'accoupler jusqu'à l'obtention de la "petit mort". Mais la satisfaction sexuelle, corporelle et charnelle des deux énamourés semble intarissable, dérivant vers des rituels impudiques et morbides.
Ainsi, la passion charnelle entre les deux amants s'apparente à une sorte de cycle infernal. Peu à peu, les deux tourtereaux se coupent de la réalité et du monde extérieur. L'amant doit souffrir, agonir et exhaler son dernier soupir pour satisfaire sa maîtresse érotomaniaque. Le pénis ithyphallique se transmute en Phallus/Fascinus et devient donc l'incarnation de cette fascination originelle, celle décrétée par les civilisations gréco-romaines.
Ce n'est pas un hasard si L'Empire des Sens s'est exporté aussi facilement dans le monde entier et en particulier dans le monde occidental, jouant sur ce désir charnel et universel, celui qui transporte la passion vers l'échec, la déroute ou plutôt le fiasco, selon le bon vieux proverbe de Stendhal. En résulte un long-métrage justement fascinant, qui étonne toujours autant par sa fougue, sa virulence et son irrévérence, même plus de quarante ans après sa sortie.
Note : 17.5/20




