Genre : comédie (interdit aux - 18 ans au moment de sa sortie)
Année : 1933
Durée : 41 minutes
Synopsis : Trois internes se rebellent et organisent une révolte dans un collège de province.
La critique :
Jean Vigo, c'est avant tout une histoire et une enfance particulière. Son père, Eugène Bonaventure Vigo, est un anarchiste convaincu et farouchement engagé pour la cause révolutionnaire. Puis, en 1917, le patriarche se convertit au Pacifisme. Ce changement brutal est consubstanciel aux ravages et aux exactions de la Première Guerre Mondiale. Répudiés et honnis par les mouvements d'extrême droite, Eugène Bonaventure Vigo et sa famille se terrent peu à peu dans le silence.
Une opprobre que subit également son fils, donc Jean Vigo, régulièrement semoncé par ses camarades de classe. Cette exclusion sociale, sociétale, professionnelle et scolaire va largement influencer l'oeuvre cinématographique de Jean Vigo. Preuve en est avec son film le plus notoire, Zéro de Conduite, sorti en 1933.
Soit une dizaine d'années avant la furie et la folie de la Seconde Guerre Mondiale et surtout en pleine gloriole du Nazisme et d'un Troisième Reich érigé par Adolf Hitler. Zéro de Conduite a donc une vraie consonance historique. Mais pas seulement. Ce moyen-métrage est réalisé comme un pamphlet libertaire préfigurant, presque quarante ans avant, le capitalisme hédoniste du début des années 1970. On peut donc légitimement évoquer une oeuvre à la fois acerbe, idéologique et visionnaire.
En l'occurrence, Zéro de Conduite est aussi un film autobiographique, Jean Vigo relatant ses propres souvenirs d'éphèbe indocile. Déjà adolescent, le futur cinéaste se regimbait contre l'autorité patriarcale et celle anônnée par l'Education Nationale. Thématique sur laquelle nous reviendrons...
Evidemment, à l'époque, une telle oeuvre suscite les anathèmes, les acrimonies et les quolibets de la censure, ainsi que de l'association des Pères de familles organisés. De facto, Zéro de Conduite sera interdit, banni, honni et censuré jusqu'en 1946, soit l'année de la Libération. Oui, on tient donc là un moyen-métrage polémique, scandaleux et donc interdit aux moins de 18 ans en son temps. Heureusement, depuis la Libération, le comité de censure s'est ravisé et a réhabilité le film.
Depuis cette date, Zéro de Conduite est même conseillé au jeune public. La distribution de ce moyen-métrage réunit Jean Dasté, Robert Le Flon, Delphin, Du Verron "Blanchar", Louis Lefebvre et Léon Larive. Attention, SPOILERS ! (1) Les vacances se terminent et il est temps pour quelques garçons de revenir au collège, un lieu sans joie où les professeurs, des adultes obtus, leur infligent des punitions sévères et les privent de liberté et de créativité.
Quatre d'entre eux, punis avec un « zéro » de conduite, décident de se rebeller, avec la complicité d'un nouveau surveillant, Huguet, plus proche de la mentalité des jeunes que de celle, rigide, des autres adultes. C'est ainsi que se déchaîne une bataille le jour de la fête du collège, les adultes ont le dessous et les garçons peuvent courir sur les toits, enfin libres (1). Merci de concevoir Zéro de Conduite pour une comédie à la fois grivoise, licencieuse et condescendante... Tout du moins à l'époque !
Depuis les années 1930, l'institution scolaire a évidemment connu de nombreux bouleversements rédhibitoires. Les pseudos révolutions soixante-huitardes sont passées par là, marquant de leur empreinte indélébile, les manuels scolaires et l'idéologie à professer. Toujours plus de liberté, il est interdit d'interdire et surtout ne plus circonscrire les moindres caprices d'adolescents hégémoniques.
En l'occurrence, Zéro de Conduite retranscrit déjà cette doxa dominante avec presque quarante années d'avance. Le moyen-métrage pointe déjà les dernières heures du Patriarcat. Dans le film, ce ne sont pas seulement l'école, les "pions" et les professeurs qui sont tancés, gourmandés et admonestés, mais aussi cette dichotomie entre deux générations farouchement opposées : les enfants et les adultes. Plus question de se laisser endoctriner par les homélies emphatiques de l'autorité, comme le claironne un jeune jouvenceau furibond : "A bas les punitions ! Vive la révolte !".
Dès lors, Jean Vigo se permet toutes les excentricités. Par exemple, le Proviseur Principal est un semi-avorton qui ne parvient même plus à toiser les élèves ni àériger un simulacre d'autorité.
Ensuite, c'est un professeur qui joue les mimes et les saltimbanques, participant sournoisement à l'insurrection des élèves indociles. Seul leurs uniformes les distinguent encore des adultes... Bref, tout ce qui s'apparente de loin ou de près à une autorité fixant des écueils et des corollaires doit être invariablement moqué, tancé, vitupéré, honni et ridiculisé. Mais Zéro de Conduite, c'est aussi ce combat perdu (?) entre l'insouciance et la rigidité de la vie quotidienne.
Ces enfants autocratiques préfigurent, quelque part, cette génération de demain. Qu'adviendra cette jeunesse irascible et insultant toute tentative de prescrire des limites ? Mais Jean Vigo n'en a cure et prône l'insubordination contre cette société qui s'apprête à péricliter et à faillir juste après la Crise de 1929 et bientôt sous les bombes, le nazisme et les canons de la Seconde Guerre Mondiale. Evidemment, les contempteurs pourront pester et clabauder, à raison, contre la simplicité de la mise en scène. A contrario, les cinéphiles y verront une oeuvre certes un peu désuète, mais qui annonce déjà en son temps le mouvement de la Nouvelle Vague et même d'autres classiques beaucoup plus virulents, notamment La Fureur de Vivre (Nicholas Ray, 1956) et Orange Mécanique (Stanley Kubrick, 1971).
Note : 14/20