Genre : Historique
Année : 1938
Durée : 1H43
L’histoire : Au XIIIème siècle, la Russie est la proie des invasions teutonnes. Le prince Alexandre Nevski est bien décidéà repousser l’envahisseur et à mener une guerre féroce contre les chevaliers teutoniques.
La critique :
Continuation de notre cycle Eisenstein avec un autre chef d’œuvre de ce réalisateur de génie, j'ai nommé Alexandre Nevski, réalisé en 1938. A cette époque, Eisenstein sort de deux échecs : Que Viva Mexico et Le Pré de Béjine, deux films en partie détruits et condamnés à l’oubli. En 1938, le réalisateur russe se remet à travailler sur commande du régime stalinien. En l’occurrence, la commande se nomme Alexandre Nevski, un film historique et épique de propagande, inspiré par l’histoire réelle du prince Nevski et de la bataille du lac Peïpous.
Attention SPOILERS ! Au XIIIe siècle, l’ordre des chevaliers teutoniques lance une invasion contre la Russie. Les teutons sèment la terreur et terrassent tout sur leur passage. La population russe semble prête à se résigner face à la puissance adverse.
Cependant, le prince Alexandre Nevski a bien l’intention de repousser l’invasion teutonique. Il va alors tout faire pour unifier les peuples de Russie sous un seul et même drapeau, et monter une armée afin de combattre l’envahisseur. Tout se terminera dans la terrible bataille du lac Peïpous. Alexandre Nevski se présente donc comme un film épique de chevalerie ayant pour base un fait historique majeur, en l’occurrence, l’invasion teutonne et l’opposition russe.
En resituant le film dans son contexte, on comprend rapidement le sens de cette commande du gouvernement russe. Nous sommes en 1938. L’Allemagne nazie grandit et commence à conquérir des pays de l’Est de l’Europe. A cette époque, le pacte de non agression germano-soviétique n’a pas encore été conclu. Alexandre Nevski s’impose donc comme un avertissement à ceux qui voudraient envahir la Russie, à tous ceux qui veulent entrer en Russie le glaive à la main, « ils périront par le glaive » comme le dit l’intertitre au début du film.
Les intentions sont très claires, le film est ponctué de chants patriotiques vantant la puissance de la Russie et invoquant le malheur à tous ceux qui tenterait d’envahir « la très sainte terre de Russie ». On comprend donc que le personnage d’Alexandre Nevski représente l’idéologie stalinienne de l’époque et que les chevaliers teutoniques représentent bien évidemment l’Allemagne nazie. On note aussi la présence des mongols, fourbes dans le film et représentant la menace provenant de l’Est.
Ce n’est bien sûr pas la première fois qu’Eisenstein fait dans la propagande, et Alexandre Nevski est teinté par le patriotisme et l’idéologie stalinienne. Cela pourra en décourager certains et c’est bien dommage car il faut savoir passer au-delà de l’idéologie du film afin d’admirer un spectacle puissant. Clairement Alexandre Nevski, bien que restreint par la censure (Eisenstein sera même surveillé pendant tout le tournage), révolutionne littéralement la fresque historique et le cinéma en général.
Tout d’abord, c’est une première pour Eisenstein qui réalise là son premier film parlant. Ainsi la façon de diriger les acteurs est totalement nouvelle pour lui. Les protagonistes du film sont des stéréotypes classiques issus là encore du patriotisme. Il en va de même pour le personnage d’Alexandre Nevski. D’ailleurs à ce propos, l’acteur Nikolaï Tcherkassov sera imposé au réalisateur par Staline. Ce géant d'un mètre 98 correspond là encore au fantasme stalinien.
Le plus gros du travail vient avant tout de la réalisation d’Eisenstein. C’est à nouveau l’occasion pour le réalisateur russe d’innover ses théories de montage sur le contrepoint audiovisuel, à savoir le contraste entre la musique et l’image. D’ailleurs en parlant de musique, le réalisateur peut compter sur le grand compositeur Sergueï Prokofiev.
Ce contraste entre l’image et la musique donne à l’œuvre un ton particulier et totalement nouveau pour l’époque. En ce qui concerne l’image, là encore, le réalisateur atteint des sommets. Esthétiquement, c’est peut-être son film le plus réussi, Eisenstein joue avec le noir et blanc comme personne avant lui. Tout est très raffiné, que ce soit dans les cadrages ou dans les décors. Les images dégagent chacune une grande puissance faisant passer Alexandre Nevski pour un véritable opéra filmique. Le sommet du spectaculaire et de la beauté visuelle est atteint lors de la scène finale, une séquence de bataille s’étirant sur 40 minutes. Dans cette scène devenue mythique, on voit Nevski arriver à repousser les teutons vers le lac Peïpous gelé. L’inévitable se produira, la glace se brisera sous les galops et les chevaliers teutoniques seront engloutis par le lac. Prés de 75 ans après, cette séquence constitue toujours un spectacle hallucinant et incroyable.Certaines scènes se révèlent également très violentes pour l’époque, notamment celles qui présentent les exactions des teutoniques. Entre autres, on citera les tortures et les bébés jetés vivants dans les flammes d’un bûcher. Lors de sa présentation à Moscou en 1938, le film sera particulièrement bien accueilli, notamment pour son lien avec l’idéologie stalinienne.
Cependant, quand en 1939, le pacte de non agression germano-soviétique sera conclu, le film sera jugé inutile et sera retiré des salles. Aujourd’hui Alexandre Nevski est devenue un véritable classique du Septième Art. Eisenstein signe un spectacle d’une immense qualité. Un pur chef d’œuvre et un incontournable à voir absolument.
Note : 18/20