Genre : Drame, historique
Année : 1915
Durée : 3h13
Synopsis :
Pendant la guerre de Sécession aux Etats-Unis, deux familles sont mises à l'épreuve : les Stoneman, favorables au Nord, et les Cameron, des sudistes.
La critique :
Une fois n'est pas coutume, Cinéma Choc voit l'arrivée d'une chronique sur une nouvelle oeuvre polémique (et c'est le cas de le dire...). Ici, pas de cinéma contemporain et plongeons un peu plus d'un siècle en arrière pour faire la connaissance de D.W Griffith, cinéaste controversé suscitant autant l'hostilité que la fascination. Si beaucoup se refusent à s'intéresser à ses films, il serait malhonnête de dire qu'il n'a pas accouché d'oeuvres majeures. On pense par exemple àLe Lys Brisé, catalogué par beaucoup comme son chef d'oeuvre. Mais ce n'est pas ce film qui nous intéresse aujourd'hui mais bien sa création la plus scandaleuse du nom de Naissance d'une Nation, sortie à l'époque des premiers balbutiements du cinéma. Naissance d'une Nation, c'est avant tout un phénomène, un scandale sans précédent qui frappa les USA au moment de sa sortie. Taxé de raciste et faisant l'apologie du Ku Klux Klan, il souleva des vagues de protestation. La NAACP, qui défendait les droits et l'intégration des noirs dans la société, en fut le fer de lance. Cette contestation n'était cependant pas dénuée de fondement dans la mesure où la popularité du film était telle qu'elle engendra des émeutes et un élan de racisme, matérialisé par un regain de popularité du KKK, non envisagé par Griffith. Plusieures grandes villes et Etats censureront par la même occasion son oeuvre.
Cependant, malgré son propos plus que douteux que je détaillerai plus en détail par après, Naissance d'une Nation rencontra un succès tout bonnement titanesque malgré des places de cinéma au prix exorbitant de 40$ (l'équivalent de 29€) afin de couvrir les frais de production colossaux de 110 000$ (à remettre dans le contexte de l'époque bien sûr). Au programme, 15 millions de dollar de bénéfices et le titre de plus gros succès de l'histoire du cinéma jusqu'à la sortie de Autant en emporte le Vent en 1940. Mais ce n'est pas tout vu que ce film est un rouage extrêmement important dans le monde du cinéma, quoi que l'on en dise. Il n'est pas seulement vu comme l'ancêtre du blockbuster mais comme le premier long-métrage, à une époque où la plupart des oeuvres ne duraient pas plus d'une demi-heure.
Il fut aussi le premier film à bénéficier d'une projection à la Maison Blanche oùWoodrow Wilson, président des USA d'alors, fut enthousiasmé par l'oeuvre avant de prendre ses distances face aux protestations qui suivirent la sortie du film. Vous en voulez encore ? Naissance d'une Nation instaura également la grammaire cinématographique, tant du point de vue esthétique que de la narration. Eisenstein, lui-même, dira : "C'est Dieu le père, il a tout créé, tout inventé. Il n'y a pas un cinéaste au monde qui ne lui doive quelque chose". Vous aurez donc aisément compris que nous tenons là une oeuvre essentielle du cinéma qui posa de nombreux codes. On peut, après cette longue introduction, passer à la critique.
ATTENTION SPOILERS : La guerre de Sécession. Deux familles éprouvées : les Stoneman (favorables au Nord) et les Cameron (sudistes. Le retour de la paix ne calme pas les esprits. Lincoln est assasiné. Les troubles naissent des politiciens véreux et des Noirs livrés à eux-mêmes. Par réaction se crée le Ku Klux Klan justicier et vengeur.
Je suppose que le synopsis vous a déjà donné une idée de l'orientation politique du récit traité par Griffith. La chose amusante au début du visionnage est qu'il y a un mot expliquant clairement que le film n'a pour objectif que de relater l'épisode douloureux de la guerre de Sécession sans prendre quelconque parti et sans faire état de quelconque supériorité raciale. L'air de rien, on en arrive à y croire vu que le mot "racisme" est l'un des termes les plus galvaudés du 21ème siècle mais très vite, les constatations sont frappantes. Le cinéaste met en scène des noirs heureux de leur condition d'esclave et glorifiant leurs maîtres mais pas seulement. Ca ce n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan.
Ainsi, le film peut être distingué en 2 actes parfaitement clairs, séparés par un carton façon théâtre. La première partie traite de la Guerre de Sécession en tant que tel avec ces 2 familles, d'un côté unionniste et opposée à l'esclavage, et de l'autre sudiste et défenseur de l'esclavage. Il s'agit de se remettre bien sûr dans le contexte de l'époque où au Nord, l'industrialisation était galopante alors que le Sud vivait encore beaucoup de l'agriculture et donc d'une main d'oeuvre bon marché, exécutée par les esclaves noirs.
Griffith suit le quotidien de ces deux familles avant que la fameuse déclaration de guerre ne voit le jour et que soient filmées de grandes scènes de guerre jusqu'à la reddition des troupes confédérées face aux troupes unionnistes. Un autre fait qui renforça le propos raciste du film est que le film se fera presque exclusivement du point de vue des sudistes et de cette famille Cameron vue comme vertueuse et innocente. Les sudistes sont représentés par de belles personnes intègres et courageuses alors que les nordistes sont caricaturés en envahisseurs totalitaires et à la mine patibulaire.
Ce simple état de fait permet de classer Naissance d'une Nation dans la catégorie des films de propagande où les confédérés sont réellement glorifiés. Mais là où on aurait pu simplement voir en cette oeuvre un travail grotesque sans recherche, Naissance d'une Nation se montre ambitieux, extrêmement ambitieux même. Avec un oeil d'un siècle plus tard, difficile de ne pas être impressionné par tout le réalisme et la puissance des images. L'impression de se retrouver devant une grande fresque est de mise. Les mouvements de foule sont impressionnants et les charges de cavalerie sont bluffantes. On repensera à cette scène de guerre à la fin de la première partie, où l'on jurerait se retrouver en pleine guerre de Sécession.
C'est un fait indéniable que Griffith a sublimé et professionnalisé son film à des hauteurs insoupçonnées. Le suspens est là, palpable pour arriver à l'intertitre annonçant la seconde partie. Celle-ci, nommée la Reconstruction, voit la situation d'après-guerre alors que les troupes confédérées ont été vaincues. C'est l'occasion ici pour le réalisateur de renforcer le trait propagandiste de son oeuvre. On peut voir alors les unionnistes arriver fièrement dans les états du Sud toujours avec un trait d'envahisseur notoire, tandis que les sudistes seront filmés comme des opprimés.
Pire encore, les esclaves noirs seront hostiles aux unionnistes et même à leurs propres frères noirs libres. L'assassinat du président Lincoln n'arrangera rien et sera l'occasion pour le sénateur Stoneman d'organiser une violente répression sur les états du Sud. La mise en place du mulâtre Silas Lynch comme gouverneur sera caricaturée comme personnage malfaisant voulant fonder un état noir et opprimant les blancs.
La répression se met en place, les noirs unionnistes sont décrits comme corrompus et dont les pulsions sont régies par la violence. La chute du haut d'une falaise d'une des filles Cameron sera le catalyseur pour l'avènement du KKK. Griffith poussera le vice à les décrire comme justicier, libérateur et défenseur des blancs opprimés alors qu'ils commettront des meurtres racistes pour la suprématie de la race blanche. De leur avènement jusqu'à la fin du film, ils seront représentés comme victorieux et faisant face à la tyrannie unionniste anti-esclavagiste.
Qu'on se le dise, si Griffith voulait adopter un propos impartial sur les événements, soit c'était pour se foutre de la gueule du peuple, soit il s'enfonça dans une maladresse abyssale. Cependant, comme je l'ai dit au-dessus, si on ne se focalise pas sur le second niveau de lecture, il s'agit de dire que Naissance d'une Nation est une perle de mise en scène. La deuxième partie est tout autant stupéfiante dans le déroulement des événements et les charges du KKK impressionnent réellement.
L'intensité est présente aussi dans cette deuxième partie car Griffith maîtrise son récit et ses idées de A à Z. On reste pantois devant cette facultéà fasciner le spectateur durant un peu plus de 3h sans discontinuer, alors que le film est un MUET ! Je l'écris en grand car le muet est difficile d'accès et peut vite faire dévier l'attention. En l'occurrence, Naissance d'une Nation multiplie les gros mouvements de foule, les scènes de guérilla, tout en jonglant avec le drame familial et la romance pris dans les tourments d'une guerre sale et raciale. Le film est une leçon de mise en scène et d'innovation technique entre mouvements de caméra, profondeur de champs, gros plans, flash-back, emploi de très nombreux figurants, montage parallèle. Les révolutions sont omniprésentes et font de Naissance d'une Nation un pilier vital du septième art.
Tout cela est au service d'un trait historique, certes, douteux mais qui a partiellement existé. Un fond discutable alors que la forme est irréprochable. Et ce n'est pas le visuel qui dira le contraire vu que la caméra est filmée de main de maître afin d'obtenir une image belle et raffinée. La bande sonore offre tantôt sonorités mélancoliques, tantôt sonorités épiques. Le film est d'une certaine manière grandiloquent et prétentieux sur les bords quand on se retrouve face aux intertitres où les initiales DW et Griffith apparaissent dans la reliure. Des intertitres où coexistent paroles rudimentaires et présentations historiques vu que le cinéaste introduit de nombreuses scènes clés. On pense bien sûr aux scènes de bataille qui furent reconstituées à partir de photographies de l'époque.
On pense aussi aux scènes de la période de reconstruction (notamment les scènes du corps législatif) s'inspirant des dessins politiques, sans doute moins objectifs. N'oublions pas le casting avec la ravissante Lillian Gish, Mae Marsh, Henry B.Walthall, Miriam Cooper, Mary Alden, Ralph Lewis, Donald Crisp ou encore Howard Gaye. Chaque acteur est impliqué dans son personnage, même si on pestera, comme je l'ai déjà dit, sur un jeu d'acteur volontairement exagéré et malfaisant côté unionniste.
En conclusion, il faut être honnête et admettre que Naissance d'une Nation est un très grand film qui eut un apport inestimable sur toute la technique cinématographique. Oui, le film a un propos ouvertement raciste (quoi qu'en dise le réalisateur). Oui, le film est orienté politiquement du côté des sudistes vertueux face aux unionnistes maléfiques. Cependant, on ne peut être indifférent au professionnalisme de la mise en scène, à l'intensité impressionnante pour un film muet, aux décors ravissants, à l'image de grande qualité et au déroulement scénaristique rythmé et puissant. Plus d'un siècle après sa sortie, Naissance d'une Nation est un régal pour les yeux et occupera pleinement vos 3h13 précises de temps. Comme je l'ai toujours dit, le talent n'a pas d'idéologie et si le côté propagandiste est là, le film est une grande prouesse qui n'aura pas usurpé son statut de classique du cinéma.
Un voyage dans le temps que vous n'oublierez pas de sitôt et qui ne peut laisser indifférent. Les simples d'esprit ne se focaliseront que sur le fond pro-esclavagiste, les cinéphiles verront une oeuvre d'art absorbante à la gloire de la grammaire cinématographique. Ceci dit, comme tout film de propagande, aucune note ne peut être attribuée.
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