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L'Uomo, la Donna e la Bestia (Décadence campagnarde)

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2009-29779

Genre : Drame, inclassable, extrême (interdit aux -18 ans)

Année : 1977

Durée : 1h39

 

Synopsis :

En 1977, dans la province italienne, le quotidien de différents personnages dans la ferveur d'une fête patronale de village voyant les événements se bouleverser suite à l'apparition d'un vagabond. 

 

La critique :

Au risque de me répéter, ceux qui suivent mes chroniques sur Cinéma Choc savent que je suis loin des exploits de visionnage de films extrêmes, en comparaison des membres les plus emblématiques du blog. Pourtant, mon credo de chroniqueur est de savoir diversifier ses chroniques et expérimenter l'approche narrative d'une critique. Le cinéma étant tellement vaste, recélant tellement de pépites tombées dans la plus forte confidentialité, s'enorgueillant de nombreuses oeuvres polémiques, je ne peux me cantonner à un cinéma traditionnel. Si le cinéma italien n'est pas l'apanage du blog, il est pourtant un fait qu'il possède, en son sein, un tas de pellicules excessives.
Bien sûr, le premier nom qui nous vient en tête n'est autre que Pier Paolo Pasolini, le cinéaste maudit, assassiné quelques mois avant la sortie de son principal film à scandale Salo ou les 120 Jours de Sodome qu'il n'est plus nécessaire de présenter. Pourtant, si Pasolini est le représentant majeur du cinéma transalpin extrême, il y a un autre nom beaucoup moins connu, à savoir Alberto Cavallone.

Que sait-on de cet homme ? Pas grand chose malheureusement si ce n'est qu'il ne s'agit ni plus ni moins que d'un homme à scandale dont les traces semblent s'être évaporées avec le temps. Difficile de parvenir à atteindre sa filmographie quasi introuvable. A peu de choses près, Cavallone pourrait être comparé aussi à ce cinéaste maudit mais auquel vous rajoutez des oeuvres ayant sombrées dans l'oubli et une exploitation au niveau zéro. Je vous mets au défi d'aller trouver plusieurs cinéphiles ayant visionnéMaldoror, Blue Movie ou encore Pat, una donna particolare.
Ceci dit, pas de chronique pour ceux-ci mais bien en l'honneur de ce qui est considéré comme son chef d'oeuvre, du nom de L'Uomo, la Donna e la Bestia, aussi connu sous le nom de Spell - Dolce Mattatoio (littéralement "Doux Abattoirs", tout un programme...). Il convient de dire que, avec Maldoror et Blue Movie, il fait partie de ce triptyque surréaliste et scandaleux. Des anecdotes autour ? En ce qui me concerne, je n'ai rien trouvé. Aucune quelconque trace de scandale ou polémique. Je mets ça sur le compte d'une exploitation pas fameuse du tout. Difficile également de trouver des avis sur Internet et les critiques en sont réduites à peau de chagrin. Au moins, Cinéma Choc peut se targuer d'être sur la maigre liste des sites spécialisés l'ayant chroniqué. Passons maintenant à la critique.

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ATTENTION SPOILERS : Dans la campagne italienne en 1977, une fête patronale bat son plein dans un village rustique. Les enfants se bousculent dans les ruelles, on boit, on danse, on s'amuse dans la plus pure innocence. C'est dans ce contexte festif que nous suivons le quotidien de différents habitants, tous plus répugnants et décadents les uns que les autres. Au cours de cette fête, un vagabond sans nom s'y immisce et bouleversera ce fragile équilibre.

Vous le sentez ce parfum aux effluves délicates (façon de parler...) de scandale ? S'il y a bien une question que je me suis poséà la fin du visionnage, c'est pourquoi ce film n'a pas créé un épouvantable scandale. Est-ce que les exploitants frileux avaient voulu se protéger d'une autre bombe à retardement après le cas de Salo ? Rien n'est moins sûr mais je soutiens cette hypothèse que Pasolini avait suffisamment troublé et bouleversé le cinéma italien pour qu'une certaine forme de censure tenta d'étouffer le risque d'apparition d'une popularité pour d'autres oeuvres à scandale. Mais que peut bien nous raconter ce film justement ? Sous fond d'une tranche de vie, Cavallone nous invite à suivre le quotidien de différents habitants, tous plus crapuleux et sales, les uns que les autres.
Un peintre communiste et sa femme paraphile, un boucher forniquant avec sa viande, une jeune prostituée, une fille mise en cloque par son propre père, un curé sujet de bien des fantasmes. Autant dire que nous étions loin d'anticiper un tel tableau d'insolence. Et pourtant, L'Uomo, la Donna e la Bestia est loin du film bête, vulgaire et méchant. A travers ce patchwork honteux, c'est l'occasion pour Cavallone de tancer et de villipender sévèrement la société italienne s'étant détournée de toute morale pour n'aboutir qu'à une troupe d'animaux désincarnés et déshumanisés dont les pulsions primaires sont régies par le sexe et la violence. 

Aucune forme d'empathie ne se dégage pour ces personnages détournés de la religion, fort ancrée à l'époque au sein de la société italienne. Pourtant, Cavallone ne peut se cacher de dénoncer par moment l'emprise de la religion et, aussi et surtout, des idées marxistes ancrées dans la classe pauvre et moyenne. La dépravation est filmée dans la plus totale simplicité où les corps nus s'entremêlent. En ce sens, L'Uomo, la Donna e la Bestia est un pur reflet d'une époque révolue marquée par la libération des moeurs et la révolution sexuelle. Cavallone filme l'envers du décor et anticipe le futur de l'Italie qui, prise dans les tourments de cette libération, deviendra incontrôlable et dénuée de tout respect envers les autres et surtout envers soi-même. Avec un oeil de 40 ans plus tard, la libération sexuelle a changé le visage de la société devenue hyper-sexualisée, où l'acte charnel a été remplacé par le coït brut et sans caractère amoureux. La frustration sexuelle est pleinement ressentie dans le film, tant avec ce boucher s'énamourant avec sa viande, à défaut de jeunes nymphettes ou d'une femme abandonnée par un mari désintéressé et à l'alcool facile. C'est un tableau amer, pessimiste et d'un nihilisme rares que Cavallone nous envoie à la gueule. Un tableau que nous serions tenté de juger comme intemporel.
Nos conventions sont bousculées avec cette oeuvre qu'il aurait été tout bonnement impossible de sortir à notre époque de politiquement correct. 

boucher

Le jeune éphèbe qui débarquera dans cette ville perturbera les villageois. D'une certaine manière, il transporte avec lui toutes les attentes et désirs refoulés des personnages. Autant le dire, l'oeuvre est traitée de manière originale et plus métaphorique qu'elle n'en a l'air, ce qui en fait un film encore plus difficile d'accès qu'elle ne l'était à la base. Il n'y a pas de véritable ligne narrative mais plutôt une succession de scénettes étranges, de tableaux sombres, fréquemment entrecoupés par une tête de coq. Malgré ce schéma quelque peu abscons, la narration reste cohérente et on en est àêtre intéressé par la destinée sale de tous ces rebuts. Au sein du récit, Cavallone ne se prive pas de nous livrer plusieurs séquences éprouvantes et/ou malsaines. Outre les fréquentes scènes de nudité et de fornication, on pourra, entre autres, assister à la nourriture que la paraphile dévore à même la cuvette des WC, l'insertion d'un oeil de boeuf dans un vagin, des seins menacés par une paire de ciseaux et bien sûr la scène finale impensable de scatologie. Même les tableaux du peintre suscitent une certaine forme de malaise avec ces femmes découpées dans des magazines auxquels ont été collés des images d'organes. Quel raffinement artistique !

Ceci dit, si nous commençons à nous aventurer sur le terrain de l'ambiance et de l'artistique, L'Uomo, la Donna e la Bestia impressionne et se montre à des kilomètres du film sans grande ambition. Sans être totalement éloigné du néoréalisme italien, Cavallone met en place une véritable atmosphère où surréalisme côtoie réalisme. Un tel résultat n'est pas sans rappeler Arrabal ou encore Jodorowsky. Une esthétique très intéressante se dégage du long-métrage et parvient à convaincre aisément le spectateur, bien que le réalisateur ne soit pas Fellini ou Visconti.
Si l'on se fixe sur le thème du surréalisme, celui-ci est, en grande partie, renforcé par une mise en scène quelque peu expérimentale. Je renvoie à la tête du coq et certains délires fantasmagoriques de personnages. Le film est difficile à appréhender et ne plaira, de toute façon, pas à tout le monde. Mais ai-je besoin de le préciser que voir un gavage d'excrément ne sera pas du goût de tout le monde ?

ciseaux

Autre point qu'il est nécessaire de préciser : l'image est belle, vraiment belle avec des couleurs chatoyantes illuminant ce petit village, l'architecture mais aussi la crasse qui se dégage du contexte. Un gros point sera aussi à décerner à la bande son parfaite de Claudio Tallino, en accord avec l'ambiance et aux mélodies difficiles à oublier. En un sens, Cavallone perpétue le raffinement inné que nous pouvions observer dans les grandes années du cinéma transalpin et montre aux détracteurs qu'un film extrême ne fait pas nécessairement l'impasse sur son enveloppe physique.
La prestation des acteurs, tous inconnus au bataillon est de bonne facture. Les plans sont bien centrés, les cadrages sont de qualité mais le problème majeur est que, compte tenu de la rareté du support physique, se rediriger vers le support dématérialisé sera quasiment obligatoire pour certains et ne vous attendez pas à une image lisse et fourmillant de détails. Les copies dématérialisées sont soit effacées, soit en qualité très discutable. Dans son infinie mansuétude, Cavallone a mis lui-même le film complet sur Youtube mais ça ne change pas grand chose. Ce qui est déprimant car, même floue, l'image est d'une remarquable beauté alors imaginez seulement si le film était au format mkv. Bon après, pour le support physique, je n'en sais rien et j'espère que les chanceux auront été mieux servis que moi. 

En conclusion, L'Uomo, la Donna e la Bestia est indiscutablement un film de qualité certaine qui conviendra à tous les cinéphiles curieux, en quête de sensation forte ou qui ont tout simplement envie de regarder quelque chose de différent. Cavallone met en place un contexte attrayant et effrayant où nous évoluons dans un surréalisme invisible mais dont nous ressentons inconsciemment la présence. Loin du film bête et méchant, l'oeuvre se pare avant tout d'une critique acide sur le devenir d'une société italienne animale dont la déréliction irréversible semble être son aboutissement. En ce sens, on pourrait voir en ce film, le frère spirituel de Salo. Une pellicule d'une transgression inouïe à réserver à un public averti et qui continue à mettre mal à l'aise malgré son grand âge au compteur.
Inclassable, glauque, étrange et dérangeant, on tient assurément là une bombe méconnue du cinéma italien qui, malheureusement, le restera et que n'aurait pas reniéSade et le grand Pasolini. Bon appétit !

 

Note :16/20

 

 

orange-mecanique  Taratata

 


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