Genre : Drame (interdit aux -16 ans)
Année : 1966
Durée : 1h27
Synopsis :
Sous la monarchie austro-hongroise, un pensionnaire de collège devient malgré lui complice de vexations et brimades infligées à l'un de ses camarades.
La critique :
Le cinéma allemand n'est peut-être pas le cinéma qui suscite le plus l'engouement du grand public. Pourtant, c'est oublier le fait que son histoire est riche et son catalogue, considérable. Depuis l'expressionnisme allemand, en passant par les films de propagande nazis et jusqu'aujourd'hui avec des réalisateurs tels que Fassbinder, Herzog et Volker Schlöndorff qui nous intéresse aujourd'hui. Ce nom vous dira peut-être quelque chose car il s'agit bien du réalisateur derrière le film Le Tambour qui lui a permis d'obtenir une reconnaissance internationale via la, très convoitée, palme d'Or à Cannes et l'Oscar du meilleur film étranger à Hollywood. Mais ce n'est pas ce film qui sera chroniqué aujourd'hui, mais bel et bien son premier long-métrage qu'il réalisa à 26 ans, et qui se nomme Les Désarrois de l'élève Törless (ou Toerless, c'est vous qui voyez), tiré du roman homonyme de Robert Musil.
A sa sortie, les critiques couvrent d'éloge cette oeuvre qui remportera le prix de la Critique Internationale au festival de Cannes ainsi que l'une des plus importantes distinctions ouest-allemandes, le Ruban d'Argent. En d'autres termes, Schlöndorff démarra très fort sa carrière de réalisateur de talent et si il n'est guère suffisamment connu du grand public, il est un passage incontournable pour tout cinéphile. Paradoxalement, Les Désarrois de l'élève Törless ne sera pas particulièrement mis en avant quand on pense aux grands drames du cinéma allemand.
Une impression corroborée par le fait que Le Tambour est bien trop plébiscité au détriment de ses autres réalisations (ce n'est pas le seul réalisateur àêtre dans ce cas de figure). Le leitmotiv habituel étant que ce n'est pas parce qu'une oeuvre a sombrée dans l'anonymat qu'elle n'est pas de qualité. Je l'ai suffisamment démontré sur le blog avec une foule de réalisations inconnues. La véritable question est de savoir si le film d'aujourd'hui peut s'inscrire dans ce registre.
ATTENTION SPOILERS : Au début du XXème siècle, en Autriche, le jeune Toerless intègre un internat. Durant une nuit, un vol a lieu. Deux élèves, Reiting et Beineberg, démasquent le coupable et menacent de le dénoncer s'il ne satisfait pas leurs désirs. Le pauvre Basini va ainsi subir toutes sortes de sévices, sous l'œil de Toerless, observateur passif mais troublé.
On peut dire que le cinéaste démarre en beauté sa carrière en s'attaquant à la réalisation d'un livre froid et peu joyeux. C'est aussi pour lui l'occasion de s'attaquer à un thème tabou de notre société, qui n'est autre que le harcèlement scolaire. On le sait, l'enseignement secondaire est, ce qui pourrait s'apparenter à l'épreuve la plus difficile d'une vie pour se forger un caractère et s'imposer dans un monde sans répit où humiliations peuvent être légions sur des adolescents ayant eu moins de chance que les autres. A l'heure des réseaux sociaux, le harcèlement a pris une nouvelle forme beaucoup plus pernicieuse, débouchant sur des malheurs intolérables. Malgré tout, les enseignants ferment souvent les yeux sur ces pratiques. Pourquoi ? Mystère mais nous ne sommes pas dans une analyse sociologique mais bel et bien dans la critique d'un film. Dans le film, les conditions sont différentes et ne s'apparentent pas à un simple collège mais à un internat où victimes et bourreaux cohabitent.
C'est dans ce climat qu'un drame se prépare, à savoir la punition engendrée sur un adolescent endetté qui eut recours au vol pour s'en sortir, par d'autres adolescents.
La chose qui frappe dans ce récit est la tournure des événements et la perception de la justice à travers les yeux de futurs adultes. Schlöndorff pose d'emblée un délit planant sur la victime voleuse afin d'euphémiser tout manichéisme possible entre la victime innocente et les bourreaux sadiques. Des bourreaux qui ne sentiront pas l'intérêt de réprimander Basini afin de lui expliquer que le vol est un acte punissable. Non, à aucun moment, la notion de justice ne leur viendra en tête. C'est une occasion pour eux de tirer profit d'un coupable afin de le persécuter et de jouir d'une totale puissance sur celui-ci. Une telle situation n'est pas sans rappeler le principe même de dictature où la victime est asservie et réduite à l'état d'impuissance. Schlöndorff confère à cet internat une aura démoniaque en exposant le fait que l'enfance n'est pas innocente et que le milieu scolaire n'est qu'un simulacre d'apprentissage, de savoir et d'insouciance. Nul doute qu'une telle dénonciation dût déranger à l'époque et ne peut que déranger encore maintenant. En ce sens, Les Désarrois de l'élève Törless peut clairement s'inscrire dans la dialectique des films intemporels.
A ce sujet, Reiting et Beineberg mais aussi Toerless, dans une moindre mesure, ne se priveront pas de faire subir tout un tas de sévices à Basini par pure jouissance personnelle. Cela ira d'arrosage d'eau froide à des pressions psychologiques en passant par les mauvais traitements. Le clou du spectacle sera le lynchage public de Basini, pendu par les pieds, dans la salle de gymnastique. Pourtant, réduire le film à la simple dénonciation du harcèlement serait un brin réducteur car le réalisateur expose le regard de Toerless, le regard d'un enfant, d'abord pris dans la tournure des événements pour se retrouver spectateur impuissant en voyant les choses se corser. T
oerless c'est l'incarnation même de cette personne qui n'a aucune capacitéà protéger une victime sous peine de représailles. C'est cette incarnation de l'injustice frappant les justes. La dernière séquence étant extrêmement importante car exposant le comportement du jeune éphèbe durant tout le film. Les Désarrois de l'élève Törless, c'est le regard d'un adolescent sur les notions de bien et de mal. Où commence le mal et où se finit le bien ? C'est l'analyse psycho-sociologique d'un adolescent sur le sadisme et le sentiment de toute puissance ancré dans chaque individu.
Nul doute que l'oeuvre recèle de niveaux de lecture riches qui passionnera ceux qui ont été pris dans un récit tourmenté. Schlöndorff parvient à susciter l'adhésion du spectateur via une mise en scène relativement rythmée, tout en étant posée et sans artifice ou autre exagération. L'enchaînement des situation est crédible de A à Z au cours des courtes 87 minutes. Cependant, si le film s'est paré d'une interdiction aux moins de 16 ans lors de sa sortie, il faut bien avouer que cette interdiction est dépassée aujourd'hui dans un cinéma où la violence s'est banalisée. Cependant, ne vous attendez pas à un pétard mouillé car Les Désarrois de l'élève Törless se pare d'une atmosphère dérangeante et malmène ce spectateur qui, comme Toerless, se sent impuissant face à un Basini oppressé, humilié et même torturé.
Schlöndorff ira même jusqu'à mettre en scène les désirs sexuels naissant chez tous les jeunes de cet âge, où les bourreaux iront s'énamourer dans les bras d'une femme délurée et que l'on soupçonne se prostituer.
Au niveau de l'esthétique, le cinéaste a fait des merveilles en nous livrant une image superbe et lisse, très aérée en mettant bien les décors en évidence. Difficile que de ne pas être charmé par ces splendides plans au début s'étalant sur cette campagne à perte de vue où marchent les adolescents. Plans et cadrages sont chirurgicaux. Autant le dire, c'est un régal visuel. La bande sonore est correcte mais sans être transcendante. En ce qui concerne le jeu d'acteur, c'est du très bon boulot également. Matthieu Carrière incarne bien ce Toerless désemparé par une situation qui le dépasse tout comme Marian Seidowsky est épatant dans la peau de ce Basini petit et sans défense.
Alfred Diertz offre une prestation convaincante mais la palme du jeu d'acteur sera adressée àBernd Tischer. Celui-ci est totalement dans la peau de ce Beineberg psychopathique, sadique tout en étant doté d'un raffinement et d'une intelligence remarquable. Il est assez dommage de voir que ce personnage est retombé dans l'oubli car il ne démériterait pas sa place parmi les plus grands méchants rencontrés dans le cinéma.
En conclusion, Les Désarrois de l'élève Törless est indéniablement un film de grande qualité, bouleversant car dénonçant une réalité que certains, et plus que jamais aujourd'hui, cherchent à occulter. C'est aussi un film qui a des burnes car il s'attaque, 2 ans avant la libération des moeurs, de manière frontale à son sujet alors que le monde cinématographique ne s'était pas encore libéré de certaines contraintes. Se parant d'une critique acide et subtile, l'oeuvre ne filmera que rarement les adultes, un peu comme si le corps enseignant se déresponsabilisait de certaines choses malfaisantes se produisant en son sein. L'injustice se produisant dans les dernières minutes du film fait que ce n'est pas toujours les principaux responsables qui sont punis mais je n'en dis pas plus. En revanche, si le propos du film est intemporel, le choc proposé est absent avec un regard de 50 ans plus tard.
Les Désarrois de l'élève Törless a vieilli de ce point de vue et ce, malgré une ambiance plutôt pesante. Mais ne boudons pas notre déplaisir, nous avons là l'exemple type du long-métrage qui mérite d'être redécouvert.
Note :15/20