Genre : Drame, fantastique (interdit aux - 12 ans)
Année : 1964
Durée : 3h03
Synopsis :
Le film narre 4 épisodes racontant une histoire issue du folklore japonais : La chevelure noire, La femme des neiges, Hoichi sans oreilles, Dans un bol de thé.
La critique :
Après avoir chroniquéOnibaba et Kuroneko, l'heure est venue de passer, déjà, au troisième film issu de la pentalogie des "Japanese Horror Classic", une série de vieux films japonais qui furent parmi les précurseurs de l'épouvante traitée au sein du monde cinématographique nippon. Malheureusement, malgré leur statut de film culte, il est regrettable de voir que ces oeuvres ne sont pas particulièrement mises en valeur, tant chez le grand public que chez les cinéphiles. Autant le dire, il y a un réel problème de reconnaissance de cette partie du cinéma intégrant la méconnue Nouvelle Vague japonaise. Je vais donc me permettre de rendre hommage à ce mouvement encore aujourd'hui avec Kwaïdan, réalisé par Masaki Kobayashi. On tient là un (très) long-métrage différent de cette pentalogie, en ce sens qu'il n'y a pas une simple histoire mais un recueil de 4 histoires de fantômes, toutes issues du folklore japonais et adaptées du recueil qu'en a fait Lafcadio Hearn.
Le film, jugé trop long pour être exploité en salles, fut raccourci, et le deuxième conte fut supprimé de la version mise en circulation. Fort heureusement, la version chroniquée aujourd'hui est bien évidemment la "uncut" avec sa charmante durée de 3h au compteur. Une durée brute à même de décontenancer certains dès le départ. En dehors de ça, il y a peu de choses probantes à dire sur Kwaïdan si ce n'est qu'il remporta le prix spécial du jury au festival de Cannes en 1965, et qu'il influencera la grande chanteuse Kate Bush dans la réalisation de son clip The Sensual World, tiré de l'album du même nom, sorti en 1989. Donc pour changer, avec votre cher serviteur Taratata, on tient là un film méconnu que je vais me faire un plaisir de mettre en lumière et redorer un peu cette popularité qu'il a perdu. Maintenant nous pouvons passer à la critique.
ATTENTION SPOILERS : Kwaïdan retrace 4 histoires de fantômes toutes issues du folklore japonais :
- Les Cheveux Noirs : Un samouraï abandonne sa femme par dégoût de la pauvreté, et part se marier avec la fille d'une riche famille pour obtenir la richesse. Mais il n'aime pas sa nouvelle femme et est hanté par le souvenir de la première.
- La Femme des Neiges : Deux bûcherons sont pris dans une tempête de neige. Ils trouvent un refuge, mais arrive une femme étrange qui en tue un de son souffle glacial. Elle épargne l'autre, qui gardera la vie aussi longtemps qu'il ne racontera pas ce qui s'est passé cette nuit-là.
- Hoichi sans Oreilles : Un jeune aveugle recueilli par des moines près de la baie de Dan-no-ura, s'absente chaque nuit pour suivre un étrange guerrier et chanter au maitre de celui-ci l'épopée de la bataille qui se déroula dans la baie quelques siècles plus tôt.
- Dans un Bol de Thé : Un écrivain retranscrit une histoire où un samouraï voit flotter dans son bol de thé le visage d'un jeune homme narquois. Pour chasser cette vision il avale le thé. Mais bientôt, le jeune homme refait son apparition.
Il y a quelque chose de très particulier qui se dégage du synopsis quand nous le lisons. C'est cette impression de nous retrouver face à quelque chose de complètement différent rencontré dans le genre fantastique jusqu'alors. L'impression de nous retrouver devant une expérience en dehors des sentiers battus. Je vous ferai grâce de mettre de côté la notion que vous avez du fantastique car on navigue aux antipodes de tout ceci. Les personnes qui s'attendent au lot de monstres et de phénomènes paranormaux à foison peuvent aller faire un petit tour.
On le sait que le Japon a des légendes bien particulières où la morale et l'éthique sont prédominantes et Kobayashi a bien l'intention de retranscrire tout ceci en apportant sa vision très personnelle. La première histoire, du nom de Les Cheveux Noirs, autant être clair, est la moins intéressante de l'anthologie. Cela ne veut pas dire qu'elle est mauvaise mais le niveau des autres est très élevé pour qu'elle parvienne à suivre la cadence. Que soit, ici, l'avarice est sévèrement critiqué. Pour le réalisateur, mais aussi pour le conteur, l'attrait de l'argent ne peut que causer la perte de l'individu.
En l'occurrence, le samouraï ira jusqu'à délaisser son épouse dans l'espoir de vivre dans l'opulence. Les Cheveux Noirs illustre avant tout la révolte envers le fatalisme. C'est un cri contre la misère sociale mais un cri faussé par la décision du samouraï de renier ses sentiments pour des biens matériels. Evidemment, il surgira un amour factice alors qu'il sera en compagnie de sa richissime épouse. Pour le conteur, un amour reposant sur de l'argent n'est en aucun cas de l'amour et ne se résume qu'au mensonge et à l'envie. Les personnes vénales ont donc leur âme condamnée et cela ne sera pas sans conséquence. D'un point de vue purement technique, Les Cheveux Noirs se pare d'une belle image posée, à la fois chaleureuse et froide mais clairement, le niveau un peu plus bas est dû en grande partie au fait que l'esthétique est assez conventionnelle. Du coup, peu ou prou de surprise au programme. On tient un récit agréable, à défaut d'être marquant.
En ce qui concerne La Femme des Neiges, on change de ton et surtout de niveau de lecture. Autant le dire, celui-ci est plus difficile dans son taux de subtilitéà détecter. On pourrait postuler le fait que tout secret se doit d'être respecté et que briser cette confiance ne peut que mener à la honte de l'individu. Mais ce qui frappe indubitablement dans cette histoire est l'esthétique à tomber par terre et qui n'est pas sans rappeler le chef d'oeuvre Rêves du grand Kurosawa. L'aspect théâtral est parfaitement revendiqué avec ces toiles peintes constituant le ciel, comme vous pourrez le voir avec la première image. Des toiles renforcant l'aspect purement fantastique de l'histoire. Le fantastique au service de l'esthétique. Kobayashi ira même jusqu'à incruster des gigantesques globes oculaires dans le ciel, conférant une atmosphère surréaliste mais bâtissant un univers étrangement cohérent.
Difficile que de ne pas écarquiller les yeux sur certaines séquences de toute beauté. Ce qui démarrait comme une oeuvre à la qualité rudimentaire se transmute en une oeuvre d'une éblouissante beauté, ce qui relève considérablement l'intérêt. Nul doute, Kobayashi nous tient entre ses mains à partir de la deuxième histoire pour ne plus jamais nous relâcher.
La troisième histoire du curieux nom de Hoichi sans Oreilles est la plus longue avec une durée d'approximativement 1h. Nous connaissons tous le profond respect aux morts qui sied au sein du pays du Soleil Levant et l'histoire ici illustre à la perfection ces coutumes ancestrales. Kobayashi met bien en valeur l'admiration qu'a le peuple pour son passé et pour les batailles qui eurent lieu. Encore une fois, tout ceci repose sur une belle métaphore avec ce joueur de luth possédé par une force surnaturelle qui le guidera chaque nuit au cimetière où repose l'âme des soldats qui périrent dans la bataille de Dan-no-ura. Ce troisième segment est probablement le plus fourni, le plus consistant.
Dès le début, toujours dans une optique théâtrale, le cinéaste met en scène la bataille de Dan-no-ura sous un superbe ciel rougeoyant. Une séquence impressionnante à même de faire baver tout amoureux d'esthétique. Et tout ceci se répercutera sur la suite des événements avec une image à tomber par terre. La qualité parvient à défier sans problème la superbe de La Femme des Neiges. Le spectateur ne peut qu'être absorbé par la richesse de l'image.
Enfin, la quatrième et dernière histoire du nom de Dans un Bol de Thé est de loin l'oeuvre la plus expérimentale de Kwaïdan car elle se pare d'un scénario assez particulier. Le narration s'ouvre sur une interrogation "Pourquoi tant de contes sont-ils restés inachevés ?". Clairement, nous tenons là l'histoire la plus audacieuse du recueil car l'épilogue repose purement sur de l'abstrait, sur une interprétation de l'univers de l'auteur. Rien n'est explicite et le spectateur est amenéà faire sa propre conclusion. L'histoire est pour le moins déstabilisante, pareillement pour les fantômes ayant trait pour trait un visage humain souriant. Déstabilisante mais aussi la plus sombre car le mental de l'écrivain va peu à peu sombrer dans une folie dont il n'a pas l'air de s'en rendre compte.
Cependant, nous nous éloignons de la poésie théâtrale des deux histoires précédentes pour retourner à une esthétique plus conventionnelle, mais restant d'une remarquable beauté. Dans tous les cas, le pari est parfaitement réussi.
De manière générale, l'intensité reste palpable tout au long des 4 récits avec des événements qui s'enchaînent bien. Un point de vue qui divisera indubitablement car le film a un rythme fort contemplatif et posé. Ne vous attendez pas à un quelconque screamer ou une goutte de sang. Sur Kwaïdan flotte un délicieux parfum de poésie apaisante qui en vient à quasiment nous faire découvrir une expérience nouvelle. C'est aussi pour ça que je n'ai pas développé plus en détail les différentes histoires juste pour vous laisser la surprise. Certains pesteront contre un style à contre-courant de ce qu'ils ont l'habitude de voir, au risque de me répéter, mais il est plus que nécessaire de mettre en avant ce type de recueil se parant d'un univers d'une richesse insoupçonnée. Kwaïdan nous emmène durant 3h au pays du Soleil Levant pour nous faire découvrir son histoire si riche, si florissante, si singulière.
Un peu à la manière d'un Rêves de Kurosawa, on est balloté dans une atmosphère onirique et hypnotisante en martelant que le cinéma japonais est sans aucun doute l'un des plus riches, l'un des plus surprenants rencontré jusqu'ici et aussi l'un des plus professionnels dans ses dénonciations. Quand on voit que Mizoguchi, avec des histoires d'une pure simplicité, parvient à nous questionner sur la notion de respect des femmes et de la condition sociale, on en vient à se coucher. Alors oui, la première histoire ne met pas en confiance par son aspect rudimentaire et sans réelles surprises mais les trois autres histoires forcent le respect et méritent à elles seules le visionnage.
Encore faut-il savoir endurer 3h de rythme contemplatif mais ça serait une erreur de passer à côté, juste pour ce point. En conclusion, et je vais être bref, laissez une chance à ce genre de cinéma qui mérite de se retrouver loin de la déprimante confidentialité dont il se pare. Le cinéma est trop riche pour se cantonner toujours à un même schéma narratif d'un même genre cinématographique.
Note :17/20