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Le Cheval de Turin (La philosophie du chaos ou le chaos de la philosophie)

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le cheval de Turin

Genre : drame, inclassable
Année : 2011
Durée : 2h26

Synopsis : A Turin, en 1889, Nietzsche enlaça un cheval d'attelage épuisé puis perdit la raison. Quelque part, dans la campagne : un fermier, sa fille, une charrette et le vieux cheval. Dehors le vent se lève.     

La critique :

Producteur, scénariste et réalisateur hongrois, Béla Tarr se passionne pour le noble Septième Art dès le plus jeune âge. Il débute sa carrière cinématographique à 16 ans en bricolant quelques petits films amateurs. C'est dans ce contexte qu'il signe plusieurs courts-métrages entre la fin des années 1970 et le milieu des années 1990. Pour Béla Tarr, il faudra faire preuve de longanimité et patienter jusqu'à la fin des années 1970 pour réaliser son tout premier long-métrage, Le Nid Familial (1979). Ses films suivants corroborent son extatisme et sa fascination pour les thèmes philosophiques, ésotériques, cosmologiques et métaphysiques, ce qui lui vaut d'être rapidement comparéà Andreï Tarkovski, un éminent cinéaste soviétique que Béla Tarr affectionne en catimini.
Des métrages tels que L'Outsider (1981), MacBeth (1982) et Rapports Préfabriqués (1982) lui permettent d'asseoir sa notoriété auprès d'un public plutôt intellectuel qui prise davantage les pellicules nébuleuses, voire amphigouriques.

Béla Tarr abhorre et admoneste un monde qu'il juge comme inepte, austère et décrépit. Pour le metteur en scène, tout concourt - en particulier les hommes - à avilir une société occidentale dans un état de sévère décrépitude. Impression corroborée par ses films suivants, notamment Almanach d'Automne (1985), Damnation (1988), Le Tango de Satan (1994) et Les Harmonies Werckmeister (2000). Désarçonné, Béla Tarr trouve de moins en moins de force et d'énergie pour se consacrer au Septième Art et pour réaliser de nouveaux films.
En 2007, lors du tournage de L'Homme de Londres, une adaptation d'un roman de Georges Simenon, son producteur, Humbert Balsan, met fin à ses jours. Dépité, Béla Tarr ne s'en remettra jamais. Ce suicide accrédite cette mélancolie inhérente et sous-jacente qui semble poursuivre inexorablement le cinéaste depuis le début de sa carrière.

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Que soit. En 2011, il signe son tout dernier film, son ultime chef d'oeuvre, Le Cheval de Turin, une sorte de fable sur la fin du monde et surtout la dernière révérence du réalisateur hongrois au noble Septième Art. Pourtant, le long-métrage va s'arroger l'Ours d'Argent lors du festival de Berlin la même année et ainsi ériger le génie de Béla Tarr à la face du monde et en particulier du petit monde du cinéma, un univers qu'il exècre et arbhorre en raison de son aspect dévoyé, entre autres par les roueries du lucre et du capital. Vous l'avez donc compris.
Le décès impromptu de son producteur n'est pas la seule raison de cette désaffection inopinée. Béla Tarr sermonne et vilipende un art (le cinéma...) qu'il gourmande et ne comprend plus. De surcroît, le metteur en scène connaît de plus en plus de difficultés financières pour tourner des films répudiés et incompris par un public frivole qui préfère se ruer sur des productions beaucoup plus spectaculaires et grandiloquentes. 

A travers une filmographie éclectique et emprunte d'une certaine apathie, le but de Béla Tarr est aussi d'ouvrir la conscience humaine vers de nouvelles tortuosités. C'est sûrement pour cette raison que son style contemplatif et raffiné est intimement reliéà celui de Tarkovski. A l'instar du cinéaste soviétique, Béla Tarr s'interroge sur les signes, souvent ostensibles, d'une société occidentale en pleine déréliction. Toujours la même antienne... En outre, la distribution de Le Cheval de Turin ne se compose que de trois comédiens, à savoir Erika Bok, Janos Derzsi et Mihaly Kormos.
Attention, SPOILERS ! (1) Janvier 1889. Turin. Le philosophe allemand Friedrich Nietzsche s'oppose au comportement brutal d'un cocher flagellant son cheval qui refuse d'avancer. Nietzsche sanglote et enlace l'animal. Puis son logeur le reconduit à son domicile.
 

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Le philosophe y demeure prostré durant deux jours, avant de sombrer, au cours des onze dernières années de son existence, dans une crise de démence (1). Ensuite, le film se polarise sur la vie peu exaltante d'un cocher et de sa fille. Un vent capricieux et tourmenté s'abat inexorablement depuis plusieurs jours dans une contrée désertique et isolée du monde. Bientôt, l'eau et la nourriture commencent sérieusement à s'amenuiser. Le Cheval de Turin, c'est donc le portrait d'un patriarche et de sa fille qui s'étiolent, se désagrègent et s'alanguissent au fil du temps qui passe, inexorablement. Cet état de déliquescence frappe également leur propre bétail, en particulier leur cheval qui refuse, à son tour, de se sustenter et même d'avancer malgré les injonctions de son cocher.
Autant l'annoncer de suite. Le Cheval de Turin est une oeuvre profondément lente et ésotérique qui désarçonnera sûrement le public peu aguerri à ce genre de pellicule sinueuse et alambiquée. 

Pour ceux et celles qui attendent impatiemment un gros film d'action avec des séquences spectaculaires et débridées, prière de quitter gentiment leur siège et d'aller faire un petit tour. En l'état, Le Cheval de Turin est un film âpre et difficile à décortiquer puisqu'il nécessite plusieurs niveaux (ou lectures, vous choisirez...) d'analyse. De prime abord, on peut voir ce film comme une allégorie sur les derniers jours d'un père, de sa fille et de leur cheval. La caméra de Béla Tarr se polarise lourdement sur le quotidien anomique de ces trois êtres lymphatiques.
Leurs journées longues et fastidieuses sont donc rythmées (si j'ose dire...) par des regards furtifs scrutant, à travers une fenêtre, un vent balayant des plaines vidées de leur substance. Corrélativement, Béla Tarr se focalise également sur l'indolence et l'apathie d'un cheval. 

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Au rythme des pas de l'animal, le spectateur oppressé, lui aussi, halète, suffoque et se nimbe de cette impression d'adynamie généralisée. Impression corroborée par l'apport d'une musique lancinante et de violons nostalgiques, comme si tout ce décor, pour le moins frugal, ainsi que ses personnages, se devaient de disparaître de la surface de la planète. Puis, un autre homme, lui aussi anonyme, débarque et prévient le cocher. Le monde que nous connaissons est en profonde désuétude. Quelque chose ou quelqu'un (on ne sait pas...) a provoqué la dernière absoute d'une société déjà chaotique et agonisante. Même la terre se meurt. La faune et la flore qui la composent se délitent sans qu'il y ait nécessairement d'explication rationnelle. Ce temps irraisonnable est une sorte de punition divine et/ou cosmologique. Nous nous sommes servis, nous avons souillé et nous nous sommes accaparés les offrandes d'une terre abondante et fertile.  

Il est donc temps de payer... Jusqu'à la fin des temps, jusqu'à l'arrivée des ténèbres... Nous n'aurons pas plus d'explications ni d'arguties sur les raisons intrinsèques de cette brumaille impudente et irrépressible. Mais à l'instar de ce temps exécrable, de ce vent tempétueux et intarissable, l'argument se trouve ailleurs, probablement dans ces regards évasifs qui s'échangent et s'enchevêtrent entre un père et sa fille. Alors que cette dernière scrute un horizon lointain et impalpable à la recherche chimérique d'un nouveau lendemain, le patriarche s'endort sans barguigner dans la pénombre. 
Béla Tarr ne filme pas ses deux principaux protagonistes comme des êtres humains, mais comme des ombres sénescentes et condamnées à s'évanouir dans le crépuscule. On peut donc voir Le Cheval de Turin de deux manières bien distinctes, soit comme un film sur la fin du monde (ou la fin d'un monde...), soit comme une métaphore sur la perte d'humanité.

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En dépit des apparences, Le Cheval de Turin n'est pas une oeuvre misanthrope, mais plutôt une fable sur ce qui régit la lumière et sa parfaite antithèse. En outre, les deux personnages principaux du film ont opté pour cette solitude indicible justement amorcée par des temps eschatologiques. Même la rencontre avec autrui - en particulier des gitans - se soldera par une xénophobie ostensible. Superbe d'un point de vue esthétique et arborant une imagerie à la fois somptueuse et vespérale, Le Cheval de Turin se veut être une expérience hétéroclite.
Pourquoi cette allusion à Nietzsche en guise de préambule ? Sans doute pour préfigurer cette philosophie du chaos... A moins que ce ne soit l'inverse... En l'état, difficile d'en dire davantage. Chaque spectateur, pour le moins médusé, aura sa propre interprétation du film. Indiscutablement, une telle oeuvre mériterait sans doute une analyse beaucoup plus précautionneuse. J'espère donc que vous me pardonnerez pour la frugalité de cette chronique et pour la note finale, elle aussi en mode interrogatif.

Note :?

sparklehorse2 Alice In Oliver


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