Genre : Drame
Année : 2000
Durée : 2h10
Synopsis :
Par un bel après-midi de printemps, quelques amis pique-niquent pour célébrer leurs retrouvailles. Yongho, un invité inattendu dont ils étaient sans nouvelles depuis des années, fait alors son apparition. Mais celui-ci se comporte de manière étrange et paraît complètement déphasé. Il fuit le groupe et court vers des rails situés sur un pont adjacent. Un train arrive. Yongho ne bouge pas... Sa vie relatée en flash backs nous permet de comprendre les raisons de son geste.
La critique :
Vous croyiez que vous seriez débarrassés de mes films coréens ? Malheur à vous car je suis encore loin d'achever ma "maigre" collection des films de ce pays. Un pays qui n'a plus rien à prouver en matière d'un Septième Art porté au firmament par le biais de réalisateurs incontournables, tels Park Chan-wook, Kim Jee-woon ou Na Hong-jin. Toujours la même antienne, la Corée du Sud a pu, par le biais de ces réalisateurs, s'offrir une place de choix dans le paysage cinématographique international avec ses thrillers qui ont pu solidifier sa réputation et amplifier sa renommée.
On citera Old Boy, I Saw The Devil ou The Chaser que nous ne présentons plus et qui ont tous, déjà, été chroniqués sur le blog pour les intéressés. Bien évidemment, comme pour tout pays, un grand nombre de films ne parviennent pas à s'imposer, au-delà de leur terre natale. J'ai pu, par le passé, vous présenter des films coréens rares, parfois inédits par chez nous. L'exemple du très beau mais dur Children... ou du moyen The Gifted Hands sont des exemples de choix. Vient également se rajouter Peppermint Candy de Lee Chang-dong. Un homme à la fois écrivain, scénariste, réalisateur, producteur et... homme politique. Oui, ce n'est pas une blague mais Chang-dong sera nommé, en 2003, Ministre de la Culture.
Peppermint Candy, voilà un nom qui résonna dans tout le pays au moment de sa sortie. S'il fut beaucoup moins représentéà l'international, en dépit de sa sélection à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en 2000 et de trois récompenses, il remportera un grand succès dans son pays d'origine avec 500 000 entrées sur seulement dix écrans. Un buzz qui ferma le clapet aux investisseurs peu intéressés par le projet. Une telle vague d'engouement est dûà son contexte politique très particulier. Un contexte voyant le pays passer de la dictature militaire à la démocratie avec l'arrivée au pouvoir, en 1993, de Kim Young-Sam mettant fin à plus d'une décennie d'oppression.
L'histoire du pays est abordée entre 1979 et 1999, soit durant la période complète du pouvoir dictatorial. Cela ne sera pas un hasard que ce film, hommage à la Corée du Sud de la fin du 20ème siècle, soit sorti sur les écrans coréens le premier janvier 2000 à minuit. Les critiques, tant nationales qu'internationales, exaltent. C'est un témoignage d'un passé trouble qui nous est offert.
ATTENTION SPOILERS : 1999. Kim Yongho, désespéré, se donne la mort lors d'un pique-nique où il retrouve d'anciens camarades qu'il n'a pas vus depuis 20 ans. Le film remonte alors ces vingt dernières années à la recherche de la cause de ce suicide en relatant différents épisodes de sa vie. Se dessine alors le portrait d'un homme brisé, cynique et violent, qui se ferme délibérément à toute velléité d'humanisme.
Je me rappelle encore avoir lancé le téléchargement dans la minute, à la lecture de ce synopsis ayant mis ma curiosité en état d'ébullition. Difficile, en effet, que de ne pas être intéressé. Il faut dire que la thématique du suicide en fil conducteur n'a jamais été vraiment traité de part chez nous. Trop hostile, trop pessimiste. Le cinéma coréen, à la différence d'un cinéma occidental plus niais et aseptisé, n'est pas réputé pour faire de cadeaux à son spectateur, devant s'attendre à ne pas ressortir de là le coeur soulagé. En l'état, Peppermint Candy s'inscrit avec les "honneurs" en faisant s'évaporer, dès le début, toute forme d'optimisme. Yongho, après être passé brièvement à cette fête de retrouvailles, s'en échappe rapidement en courant pour se diriger vers un pont adjacent. Un seul ancien camarade tente de le ramener à la raison, alors que les autres s'en contrefoutent ouvertement.
Rien n'empêchera l'inéluctable. Yongho, au visage dévasté par les larmes, hurle sa douleur avant d'être fauché par un train. Le ton est donné et le spectateur se fera vite une raison qu'il peut se carrer le happy-end là où je pense (en toute amitié bien sûr !). Avant toute chose, comme un certain nombre de films, Peppermint Candy peut s'inscrire dans la case des pellicules d'époque dont il est nécessaire de lire les grandes lignes de la situation de cet intervalle de 20 ans ne tenant pas du hasard. Après cette séquence introductive, le cheminement scénaristique va s'opérer en sens inverse par le biais de plusieurs chapitres, tous reliés par un train allant à reculons, traversant de sublimes paysages de campagne. Cette ligne du temps inversée permettra de dresser un portrait bien différent de l'individu intègre, timoré, au visage innocent.
Yongho est, ce qu'on pourrait appeler, un rouage d'une génération malmenée, sacrifiée par des remaniements sociétaux brutaux. Des changements draconiens ayant perturbés la vie de nombre de citoyens. Remontant le temps, passant de 1999 à 1994 et etc, la vie de Yongho est contée. Une histoire démarrant, dès son jeune âge, dans les forces armées qu'il est sommé d'intégrer, comme des milliers d'autres coréens. Alors qu'il rêvait de devenir photographe, ses espoirs sont balayés par un Etat tout puissant faisant sombrer ses soldats dans une souffrance inutile. Simples maillons d'une hiérarchie militaire brutale, ils servent de chair fraîche, sans quelconque considération. Ils sont les victimes d'un pays déshumanisé dont les insidieuses envies sont de faire régner la terreur.
Toute forme d'émancipation psychologique est impossible pour ces larbins soumis à la dictature toute puissante. Une chose semble encore le rattacher à l'humanité : une collection de bonbons à la menthe que lui envoie Sunim, une jeune étudiante qu'il a toujours aimée. Rongé par cette douloureuse expérience, Yongho sort des rangs et intègre une force policière chargée de réprimer sauvagement les actions d'activistes anti-gouvernementaux. Leurs méthodes sont brutales, flirtant dangereusement avec la torture. Dans ces conditions, ils peuvent jouir de leur toute puissance, décharger leur frustration accumulée et réduire à quia les personnes inculpées. A de nombreuses reprises, on a pu voir la justice coréenne, réputée pour son manque d'impartialité et d'éthique, être tancée dans le cinéma. Peppermint Candy représente un fait largement démontré. Une police dénuée de tout humanisme, à l'image de son gouvernement, n'ayant aucun respect pour la vie humaine.
Parallèlement, Yongho n'a guère d'épanouissement en dehors de son métier. Peu concerné par sa femme, il aime se jouer d'infidélités pour se soulager d'un mal-être existentiel. Lorsque survient le boom économique coréen, c'est l'occasion pour le personnage principal de rentrer dans le rang en se recyclant en homme d'affaires et en se rangeant avec une petite femme et un enfant. Espérant pouvoir se décharger d'un lourd passé, sa rancoeur est tenace et il n'y arrivera pas. Son manque de considération envers sa femme et son enfant atteint des dimensions inquiétantes, alors qu'il jouit toujours de l'infidélité. Malgré sa situation financière stable, le destin frappera une nouvelle fois quand l'entreprise, dans laquelle il travaille, fera faillite. C'est une nouvelle plongée en enfer.
Ruiné, abandonné par sa femme, vivant avec un autre homme, et son enfant, il est condamnéà vivre dans un sordide taudis où même les rats refuseraient d'y vivre. Yongho achète une arme et a bien l'intention de s'en servir pour emmener avec lui une autre personne dans l'au-delà. Le courage lui fera défaut et, face au train, il sera tué dans l'indifférence la plus totale. Difficile que de passer un bon moment devant Peppermint Candy tant Lee Chang-dong repousse l'austéritéà des niveaux propices à filer le bourdon à un croque-mort. Il nous conte la vie d'un homme sacrifié par son pays. La vie gâchée, rongée par l'adversité, sans que les rares moments de bonheur puissent annihiler l'inéluctable fin.
Cette structure scénaristique à contre-sens cerne bien l'ampleur du problème de cet homme ravagé moralement. Même en compagnie d'une femme, il ne peut connaître ce que l'on nomme l'amour. Un seul éclat semble résider dans sa vie. Un éclat représentant l'amour de Yongho pour Sunim par le biais d'une relation à la fois idyllique et fragmentée, s'achevant sur le lit de mort de cette femme souffrant d'un mal sans nom. Le déclencheur de la décision finale pour Yongho d'en finir avec la vie. Il a tout perdu et plus rien ne peut le rattacher à cette terre merdique où l'espoir n'a jamais pu germer. Le fait de recourir à un tel choix de mise en scène nécessitera une attention permanente du spectateur s'il ne veut pas être perdu dans les méandres eschatologiques de cet homme maudit.
Là sera la grosse difficulté pour le cinéphile. Le tout coupléà un rythme très posé, sans pour autant verser dans le léthargique. Le style est volontairement lent, presque à même d'étirer le temps. Avec ces deux paramètres cruciaux, Peppermint Candy risque d'en lasser plus d'un, au vu des 130 minutes de séance. C'est dommage mais c'est tout à fait compréhensible. Moi-même, j'admets avoir trouvé la première fois le temps long. Un second visionnage pourra s'avérer nécessaire pour bien cerner tous les tenants et aboutissants.
Bien que le propos sous-jacent soit très sombre, il entre en contraste avec une esthétique tout à fait raffinée, éclatante, portée sur la campagne et ses plaines verdoyantes, loin de Séoul. La vie est calme où les natifs semblent couler des jours heureux sans quelconque fioriture. Les plans sont souvent aérés et lisses. La bande sonore s'inscrit dans le pur style dramatique avec ses mélodies dépressives. Au niveau du jeu d'acteurs, Sol Kyung-gu crève l'écran par son charisme si touchant. Entièrement dans la peau de son personnage, on le sent porter tout le poids d'une vie massacrée sur ses frêles épaules. Le regard de terreur face au train vaut à lui seul le visionnage.
Face à un tel palmarès, les autres acteurs ont bien du mal à tenir la route, bien que Sori Moon et son charme inhabituel nous hypnotise. Inutile de mentionner les autres, à moins que vous ne connaissiez Kim Yeo-jin, Kim In-kwon ou Dae-yeon Lee mais j'en doute. D'ailleurs, je me permettrais de faire mention au fait qu'il ne semble pas y avoir de VF pour ce long-métrage et que mes soupçons (à prendre avec de grosses pincettes) portent à envisager que Peppermint Candy pourrait bien être inédit dans nos contrées car la seule version internationale proposée en support physique ne serait accompagnée que d'un sous-titrage anglais. Pourtant, il existe bel et bien une version VOSTFR sur le Net. Est-elle tirée d'un DVD ou est-ce un sous-titrage de passionnés ? Mystère !
Bref, je suppose que je ne dois pas vous faire un dessin comme quoi Peppermint Candy est une énième grande réussite du cinéma coréen qu'il n'est plus, depuis longtemps, nécessaire de démontrer. A travers le portrait d'un homme brisé, Chang-dong tance le lourd passé d'une Corée désincarnée, dénuée d'empathie envers ses concitoyens, les voyant comme de la chair à canon, des entités malléables inféodées dont la vie n'est qu'un modeste détail. Peppermint Candy brosse les ravages d'un pays sur un jeune homme qui n'a rien demandé et qui n'aspirait qu'àêtre heureux dans ce monde de merde. "Être heureux", voilà une bien curieuse expression dans notre société actuelle où l'impression de déshumanisation semble se confirmer chaque jour. Une expression qui est loin d'être partie intégrante de la société entière. Chang-dong ne peut que renforcer cet état de fait que le bonheur est le plus grand stabilisateur du bien-être moral et que son absence peut aboutir à l'inéluctable.
Yongho est ce monsieur tout le monde dont la vie peut être calquée sur un grand nombre de vies des suicidés de la vie réelle. Si le métrage ne plaira pas à tous et qu'il faut savoir apprécier les films à la mise en scène lente, difficile que de ne pas être interpellé par une telle tonalité glaciale, d'autant plus quand nous avons connu un ou plusieurs suicide(s) dans nos connaissances. Une pellicule qui risque fort bien de ne pas égayer votre soirée mais qui se montre sociologiquement nécessaire pour appréhender une récurrente problématique de notre société, décidément loin d'une stabilité sociétale.
Note :16/20