Genre : horreur, gore, trash (interdit aux - 16 ans)
Année : 2016
Durée : 2 heures
Synopsis : Un fils modèle devient un tueur méthodique suite à l'assassinat de son père, propriétaire d’une boutique de kebab, par des jeunes trop alcoolisés.
La critique :
L'horreur culinaire au cinéma, un genre atrabilaire et forcément à part entière. Il faudrait sans doute remonter aux années 1970 pour trouver les premiers reliquats de ce registre cinématographique copieux et plantureux avec La Grande Bouffe (Marco Ferreri, 1973), un drame scandaleux et sulfureux qui suscitera les anathèmes et les quolibets en son temps en narrant le suicide collectif de quatre comparses en pleine déréliction physique et mentale. Le cinéma d'horreur asiatique confectionnera lui aussi quelques mets onctueux et sapides avec le déroutant Nouvelle Cuisine (Fruit Chan, 2004) et ses raviolis aux vertus médicinales... ou presque...
Evidemment, les mets gastronomiques et raffinés se devaient de dériver vers le cannibalisme ad nauseam avec Vorace (Antonia Bird, 1999), un huis clos horrifique et terrifiant qui se transmute subrepticement en parties de tripailles et de barbaques.
Mais jusqu'à présent, personne ne s'était encore focalisé sur les activités culinaires d'une sandwicherie, en particulier d'un "commerce kebab". C'est désormais chose faite avec K-Shop, réalisé par les soins de Dan Pringle en 2016. Il faut se rendre sur le site IMDb (Source : https://www.imdb.com/name/nm3796706/) pour trouver quelques informations élusives sur le cinéaste. Avant d'officier derrière K-Shop, à priori sa toute première réalisation, Dan Pringle s'est tout d'abord affairéà la production de plusieurs films (courts et longs-métrages confondus...), entre autres Silent Things (Rob Brown, 2010), Dying For Freedom (Steven Lake, 2011) ou encore Emulsion (Suki Singh, 2014), par ailleurs inconnus au bataillon et inédits dans nos contrées hexagonales.
Certes, K-Shop n'a pas bénéficié d'une exploitation dans les salles de cinéma en France et semble (hélas...) condamnéàécumer les bacs via le support vidéo.
A contrario, le film a pu sortir (de façon élusive) dans quelques salles locales et indépendantes au Royaume-Uni. De surcroît, K-Shop a recueilli des avis plutôt panégyriques lors de sa présentation dans divers festivals, notamment lors du PIFFF (Paris International Fantastic Film Festival) en 2016. Les thuriféraires de l'horreur britannique conservent encore quelques réminiscences de The Descent (Neil Marschall, 2005), Eden Lake (James Watkins, 2008), Severance (Christopher Smith, 2006), Creep (Christopher Smith, 2004), ou encore de Shaun of The Dead (Edgar Wright, 2004) parmi les dernières productions édifiantes de l'épouvante "so british". Reste à savoir si K-Shop va pouvoir s'immiscer dans cette catégorie. Réponse à venir dans les lignes de cette chronique...
En outre, la distribution de K-Shop risque de ne pas vous évoquer grand-chose, à moins que vous connaissiez les noms de Ziab Abaza, Reece Noi, Ewen MacIntosh, Scott Williams et Darren Morfitt ; mais j'en doute...
Attention, SPOILERS ! (1) Salah est un étudiant libanais qui vit au Royaume-Uni pour soutenir et réussir son mémoire d’économie. Son père tient un kebab ouvert jusque tard dans un quartier plutôt agité. Magnanime, Salah aide parfois son patriarche à tenir un commerce peu pérenne et menacé par de vils créanciers. Lors d'une rixe avec quelques clients un peu trop avinés, le père décède à l'hôpital et laisse à son fiston de nombreuses factures impayées. Salah doit alors abandonner ses rêves de diplomatie pour maintenir le commerce de Papa et affronter bien à sa manière le monde de la nuit, surtout après qu’il tue à son tour un client par mégarde… (1)
Salah sombre alors dans le cannibalisme et confectionne ses mets onctueux (sic...) à base de chair humaine qu'il vend ensuite à sa clientèle...
Contre toute attente, le commerce devient de nouveau fructueux. Mais Salah reste inconsolable suite au décès de son père. Le jeune étudiant se transmute alors en un serial killer violent et sanguinaire. Jusqu'ici personne n'avait encore osé mélanger horreur et sauce kebab ! Que les amateurs de sensations sanguinolentes se rassérènent... Dan Pringle défie haut la main une telle gageure. Sur le fond comme sur la forme, K-Shop n'est pas sans évoquer, par certaines accointances, le cinéma d'horreur hongkongais, et en particulier les érubescences jubilatoires de la Catégorie III, notamment The Untold Story (Herman Yau, 1993) et Ebola Syndrome (Herman, 1996).
Toutefois, K-Shop se veut beaucoup plus amer dans sa vision sociétale. La singularité du film tient justement dans cette vision sociologique qui n'est pas sans rappeler les longs-métrages et la rhétorique acrimonieuse de Ken Loach.
K-Shop, c'est donc un savant mélange entre horreur trash et drame social. Indubitablement, le film de Dan Pringle met mal à l'aise. K-Shop flagorne et révulse le spectateur à la fois par son irrévérence et son didactisme irrévocable. Dan Pringle montre sans fard des membres humains découpés et charcutés par les soins de Salah. Irascible, le jeune homme s'enfonce dans un abîme de géhenne, de résipiscence et de déshumanisation. Mais K-Shop, c'est avant tout la chronique d'une violence ordinaire, celle qui se déroule quotidiennement sous nos yeux et devant certains commerces dans des cités urbaines en déshérence et en proie à la prostitution, au trafic de drogue et de divers règlements de compte.
K-Shop, c'est aussi l'analyse d'une société consumériste qui a lentement dérivé vers une xénophobie latente et des comportements belliqueux devenus anodins, même aux yeux d'une police indifférente.
Par certaines analogies, la trame scénaristique de K-Shop n'est pas sans rappeler non plus les vigilante movies des années 1970. K-Shop est bel et bien un film de vengeance, mais avec une vraie dynamique sociale et une critique hargneuse du déclin occidental. Salah n'est finalement qu'un épigone, version libanaise, de l'inspecteur Harry Callahan ou encore de Paul Kersey. La scansion reste toujours identique, à savoir l'histoire d'un citoyen lambda qui se transmute prestement en serial killer vindicatif. Seule dissimilitude et pas des moindres, le jeune homme a échangé le révolver contre un couteau de cuisine particulièrement aiguisé.
Finalement, rien n'a changé depuis la décennie 1970, à la seule différence que le capitalisme et sa violence inhérente ont encore accentué les problématiques de l'intégration et l'assimilation. Dommage que Dan Pringle n'ait pas étayé davantage ce sujet, le réalisateur éludant de s'immiscer sur ce chemin escarpé. On relèvera également la précellence du casting. Indiscutablement, Dan Pringle dirige magnifiquement ses comédiens. Mention spéciale à Ziad Abaza, totalement investi dans son rôle d'étudiant, puis de commerçant sévèrement courroucé.
Seul bémol et pas des moindres, après une première heure en fanfare, K-Shop devient légèrement rébarbatif dans sa seconde partie. Néanmoins, une telle oeuvre mérite indéniablement les encouragements dans nos colonnes. S'il ne se fait pas dévorer par l'oligarchie cinématographique, Dan Pringle devrait logiquement s'imposer comme une référence prééminente dans le cinéma trash. Un réalisateur à suivre... donc !
Note :14.5/20
Alice In Oliver
(1) Synopsis du film sur : http://faispasgenre.com/2016/12/k-shop/