Genre : Inclassable, expérimental (interdiction non mentionnée)
Année : 1984 - 1998
Durée : 3h
Synopsis :
A travers 10 court-métrages tous plus expérimentaux les uns que les autres, Olivier Smolders nous convie à son cinéma suscitant l'introspection mentale du spectateur face aux réflexions tourmentées sur la nature de l'homme et sur sa perception face au monde. Dans un but spirituel, il tente d'élever son art pour interroger, interpeller.
La critique :
Tout juste sorti de la titanesque anthologie made in ICPCE nomméContre-Oeil, ayant fait chauffer mes neurones à blanc, mes facultés mentales ont petit à petit repris leur cours normal. Il faut dire que cette expérience n'y allait pas de main morte en proposant, ce qui est sans nul doute, les court-métrages les plus inclassables de tous les temps. Inclassables à un point tel que Begotten et Eraserhead passeraient pour des blockbusters hollywoodiens. Grâce à ces 4h20 de sévices visuels et auditifs endurés, j'eus la certitude que mon attrait pour le cinéma d'art et d'essai était bien là. Dans cette optique des choses, il était certain que les éventuelles expériences cinématographiques suivantes allaient être plus "faciles d'accès", si j'ose dire. Il était tout à fait certain que je voulais réitérer l'expérience. Malheureusement, un tel cinéma est difficilement trouvable, voire tout bonnement introuvable en téléchargement sur Internet. Que me restait-il à faire ? Eh bien acheter le support physique, pardi !
Moi et ma bibliothèque d'un peu plus de 2000 films soigneusement stockés sur 4 disques durs externes, a pu voir l'arrivée de plusieurs DVD sur mon étagère. L'un de ceux-ci fera honneur au cinéma belge, au cinéma de ma chère et tendre patrie. Je parle bien sûr de la fameuse compilation nommée Exercices Spirituels réalisée par Olivier Smolders. Un cinéaste assez peu, voire très peu, connu chez nous comme à l'international.
Etonnant que de me retrouver face à ce type de cinéma sachant qu'il est belge. Une information prouvant une belle variété et d'ouverture d'esprit au sein du plat pays. Qui est ce type ? Une personne émérite assurément vu qu'il est professeur à l'Institut National des arts du spectacle et des techniques de diffusion de Bruxelles. Parallèlement, il a aussi étéélu maître de conférences à l'Université de Liège. Connu pour ses court-métrages sobres, il a pu s'enorgueillir de nombreux prix à l'échelle internationale. Un seul long-métrage du nom de Nuit Noire (à ne pas confondre avec le moyen-métrage de Quarxx) est à mentionner. Avec Exercices Spirituels, ses 10 premiers court-métrages acquirent en visibilité et suscitèrent l'intérêt des cinéphiles borderline.
Dix court-métrages librement inspirés de deux penseurs : Ignace de Loyola et Clovis Trouille. Le premier fut un prêtre et théologien fondateur de la Compagnie de Jésus dont les membres sont nommés "jésuites". Il fut également le créateur de l'ouvrage éponyme "Exercices Spirituels". Le second est un peintre français anticlérical et antimilitariste, devenu anarchiste après le traumatisme de la Première Guerre mondiale. Sur base de ces informations, la chronique s'annonce, façon de parler, sous les meilleurs auspices pour un nouveau chauffage à blanc cérébral.
« Par ce terme d’exercices spirituels, on entend toute manière d’examiner sa conscience, de méditer, de contempler, de prier vocalement et mentalement, et d’autres opérations spirituelles, comme il sera dit plus loin. De même, en effet, que se promener, marcher et courir sont des exercices corporels, de même appelle-t-on exercices spirituels toute manière de préparer et de disposer l’âme pour écarter de soi toutes les affections désordonnées et, après les avoir écartées, pour chercher et trouver la volonté divine dans la disposition de sa vie en vue du salut de son âme. »
Telle est la première annotation ouvrant ce fameux livre rédigé par de Loyola. Une introduction ne mettant pas en confiance pour assurer une chronique de qualité minimale, sachant qu'il y a 10 sympathiques oeuvres toutes plus austères les unes que les autres. Je me permets de vous les décrire brièvement :
- Adoration (15 min) : Expérience visuelle mettant en scène un horrible fait divers survenu dans la France des années 80 où une étudiante hollandaise de 24 ans fut sauvagement assassinée par un étudiant japonais mentalement instable (Ah !). A noter que l'oeuvre fut déjà chroniquée par le passé sur le blog et est également l'un des segments de l'anthologie Cinema of Death. Premier court-métrage ayant le mérite de calmer les ardeurs avec cet étudiant au physique innocent mais au regard glacial. Rien ne nous prédispose à nous retrouver face à l'insoutenable quand il abattra dans le dos avec son arme à feu, dans un calme stupéfiant, son amie en train de réciter des vers de poésie face caméra. Dès le début, il s'affaire à un véritable rite initiatique, plaçant et déplaçant la caméra, modifiant le décor pour que tout soit parfait pour le rituel. Un rituel dont les proportions ne sont pas loin du rapport christique face à la chair quand il dégustera avec tendresse la chair de cette douce nymphe sans vie.
Le final s'achevant dans le nihilisme le plus profond avec ce harakiri. Une fin en dehors du véritable récit dont Smolders a pris quelques libertés.
- Mort à Vignole (25 min) : Un narrateur conte des vacances passées en famille à Vignole, petite île de pêcheurs au large de Venise. Avec sa dextérité aux commandes d'une caméra 8mm, il filme ces visages d'enfants et commente ces archives particulières que sont les films de famille. Smolders, avec ce brillant métrage, nous renvoie à la notion même de famille. Qu'est-ce qu'une famille ? Quelle est sa réelle finalité ? Combien de temps se souvient-on de nous ? Quelles émotions se dégageront, des années plus tard, de ces images muettes de gens dont nous connaissions l'avenir qu'ils ignoraient alors ? Autant de questionnements difficiles à cerner alors que la caméra s'aventure sur les canaux de Venise ou à Léopoldville où a grandi le réalisateur. Sans nous apporter de réelle réponse, on rentre en état d'introspection sur la dimension familiale, nos rapports avec cette sphère et l'avenir qu'il nous est offert. Un avenir qui ne dépendra que de nous sans réellement savoir où notre chemin ira. Là est tout le symbolisme du film de famille basé sur un espace-temps différent.
- L'Amateur (26 min) : Un homme à la recherche de la femme aux mille visages qu'il pourra aimer exporte son amour et sa haine en un maëlstrom déstabilisateur. C'est une femme qu'il chérira, une femme de la vie de tous les jours que nous pourrions croiser dans un train entre deux gares. Est-il conscient de courir après cette chimère ou ne cherche-t-il qu'à pouvoir exaucer son irréfragable obsession en filmant ces femmes de tout âge et de tout physique se dévêtir sans un mot devant la caméra tout en s'exposant ? Réduite au silence, elles affichent chacune une posture et un ressenti différent que ça soit timidité, plaisir, envie de se montrer ou profonde tristesse.
En se déshabillant, elles exhibent une autre part d'elles-mêmes face à la merci du regard des autres. Sans lorgner dans la case du pornographe, il filme ces quidams féminins avec toute retenue.
- Neuvaine (30 min) : "Nom féminin, série de prières accompagnées d'actes de dévotion et de pratiques de pénitence que l'on continue durant neuf jours dans l'intention d'une grâce particulière". Telle est la définition de cet obscur mot de l'immense richesse de la langue française. Sur un ton confessionnal, un homme nous raconte son adolescence et ses déboires dans un collège catholique où il fut enfermé, neuf jours durant, dans une pièce avec pour seule compagnon un crucifix. Gloubi-boulga de ressentis divers face à un voeu de silence perverti par la frustration et la haine, il tente en vain de chercher sa "sainte Véronique". Se pose la question suivante : Ce film de fin d'étude est-il une mise en abîme du passé de Olivier Smolders ? Est-ce une autobiographie à consonnance métaphysique ?
On serait en droit d'y réfléchir au vu de la tonalité particulière de ce métrage, probablement l'un des plus difficiles à appréhender de tous.
- Ravissements (7 min) : "Pour le baiser coupable d'une sainte, j'accepterais la peste comme une bénédiction.". Ravissant non ? Au sein d'une pièce, innocentes jeunes filles et pieuses dames se confient, tantôt assises, tantôt debout face caméra. Elles sont statiques, figées dans le temps et l'espace et se confient de manière christique. Nous inondant de leurs états d'âme, elles semblent avoir comme objectif que de s'abandonner toutes entières dans les mains de Dieu. D'autant plus difficile à cerner, l'hypnose ne cesse sa poursuite, abandonnant notre esprit dans les yeux de ces demoiselles au visage mélancolique.
- Pensées et Visions d'une Tête Coupée (26 min) : Dédié au peintre-sculpteur belge Antoine Wiertz, cet essai cinématographique se veut garant d'une mise en valeur de cet artiste décrié de son temps, accumulant quolibets et invectives des plus éminentes critiques de l'époque. Des critiques lui reprochant sa fougue et son irrévérence à 360° de la pensée de jadis. Wiertz part à contre-sens et brouille les pistes séparant le beau du laid. Ce métrage en couleur préside ses grandes oeuvres où le loufoque est en synergie avec le grandiloquent. Des tableaux gigantesques témoignent d'un professionnalisme insoupçonné, alors que les réflexions intérieures soulignent une envie de refonder l'art, d'exhiber un talent que les critiques n'ont pas su cerner, trop obnubilées par le carcan étroit de la notion même d'Art.
- La Philosophie dans le Boudoir (14 min) : A ne pas confondre avec la pellicule scandaleuse de Jacques Scandaleri. Nous retrouvons à nouveau ces femmes figées, statiques, prostrées dans un décor semblant être en dehors du temps. Une Eugénie est au centre de cette histoire. Objet de litanies dégradantes, elle ne doit, comme toute femme, avoir d'autre buts, projets, désirs ou envies que de se "faire foutre" du matin au soir. Telle est ce pourquoi la nature l'a créée. Charmant n'est-il pas ?
Si les dénonciations semblent là, elles sont empreintes d'un sentiment de fatalisme de femme résignées qui ne peuvent se soumettre qu'à la domination. Tel est ce rôle qui leur a été confié.
- Point de Fuite (10 min) : Un professeur rentre dans une classe et est surprise de voir les élèves entièrement nus. Malgré cela, elle commence à donner la suite de son cours sur les perspectives avant qu'un élève ne se lève pour inscrire "Faites comme nous" sur le tableau. Bouleversée, elle accepte de se désaper sous le regard morne de ses étudiants. Continuant son cours face au tableau, les élèves en profitent pour se rhabiller. Le final se clôturant sur une chute délicieusement prévisible. Que faire face au silence ? Qu'est-ce que peut cacher ce silence ?
Le genre de questions qui taraudent ceux qui se retrouvent dans cette dame lorsque leurs paroles se fondent dans le vide devant une assemblée. Faut-il se mettre au niveau de la classe ? Critique des disparités sociales entre élève et professeur ? Le doute est toujours solidement ancré.
- L'Art d'Aimer (15 min) : Nous est conté l'histoire d'un petit enfant né par malheur dans une famille compliquée. Le père est mort, la mère est malade et dépressive. Elle le néglige et le gosse n'a plus d'autre choix que de se créer un simulacre de monde épanouissant. Plongé dans la culpabilité, une nourrice interviendra et lui apprendra l'art d'aimer. Sa vie va ensuite s'améliorer et, par tableaux, se succèderont les chambres de différentes femmes qu'il côtoyait.
Sa mère, faisant obstruction à la joie et la félicité, s'accaparera sur elle la rancoeur trop longtemps accumulée de son enfant qui la frappera au point de vouloir la faire mourir. Smolders met en scène l'exemple de la marâtre frustrée, aigrie par la vie et n'ayant aucune pitiéà ruiner la vie des personnes facilement exposées dans sa vie. Frustrée par son propre deuil ? Nul ne le sait.
- Seuls (12 min) : Dans un institut psychiatrique sont filmés une ribambelle d'enfants plongés dans une solitude pesante, isolé de tous. Dans ce silence assourdissant, une berceuse parvient à briser cette silencieuse symphonie de jeunesses brisées. Ces enfants autistes se balancent, leur tête ou leur corps en entier, font des grimaces, scrutent la caméra de leur regard morne et impénétrable. Ce métrage ne serait-il qu'une mise en abîme d'une jeunesse à la dérive, abandonnée de ses aïeuls face à un monde en dévastation latente ? Las et confinés dans cet univers stérile, on en sort presque troublé.
Comme vous avez pu le constater, le défi est étourdissant pour chroniquer cet Exercices Spirituels et ce serait pisser dans un violon que de vous dire que l'abstrait est l'essence même de chaque récit. Prisonniers des extravagances de Smolders, elles se montrent bien loin de toute forme de psychédélisme et abordent un calme religieux dans leur mise en scène. Les métrages, souvent en noir et blanc, se mêlent à une étrange catatonie qu'il est difficile à décrire sans pour autant faire perdre trop longtemps notre attention. Là est tout l'objectif de cette anthologie que de garder l'attention permanente du spectateur tout au long. On s'accordera à dire que ce n'est pas facile, que l'on peut perdre souvent le fil mais que, malgréça, Exercices Spirituels est d'une beauté formelle impressionnante.
Le minimalisme, la simplicité des décors s'arquent avec un travail d'image où les cadrages sont tiptop. On recensera une focalisation assez forte sur les plans très rapprochés des personnages, surtout leur visage, parfois impassible, parfois troublé. Bande sonore au poil également, à la fois timide et scintillante.
C'est donc un autre grand défi s'achevant que de chroniquer un tel mastodonte de l'expérimental, propre à bouleverser le plus endurci, le laissant évanoui devant une complexité stratosphérique. Exercices Spirituels, outre sa relative ambiguïté, ne se base pas sur du vide et propose de véritables questionnements existentiels liés au sacré, à la famille, au regard des autres ou à ses propres choix de vie. La spiritualité est là et même s'il est facile de passer à côté des divers propos, on ne peut que reconnaître l'érudition d'un réalisateur barré, underground, n'ayant pas froid aux yeux. Le sentimentalisme se mêle à l'inquiétude en un avenir difficile à appréhender.
Les films de Smolders peuvent presque se voir comme des films d'adolescents pour les adolescents. De Adoration et sa froideur morbide, on passe par l'inquiétante obscurité de Seuls, le cocasse Point de Fuite et le touchant Mort à Vignole. Smolders, en gardant son style si singulier, diversifie ses approches cinématographiques innovantes. La voix-off omniprésente peut parfois laisser la place aux rares voix sortant de la bouche des personnages. Face à tous ces questionnements multiples où difficile est la frontière entre l'abstrait et le concret, le cinéma atteint de nouvelles strates et passe du sensoriel au cinéma interrogatif. L'histoire fait plus trait à une forme d'introspection mentale jamais rencontrée jusque-là. Inédit, inouï, très difficile d'accès au point que 2000 personnes dans le monde seraient intéressées par ce visionnage. Exercices Spirituels est une expérience qui se vit pleinement, pas en une fois au risque de se retrouver balbutiant, la bave au coin de la bouche, dans le canapé sans être capable de faire l'addition 1+1 = 2. Je dois avouer être assez content de découvrir une facette inenvisageable du cinéma belge jusqu'alors. Une belle prouesse offerte qui aura saigné, une fois de plus, ma cervelle. Ainsi, je me permettrais de mettre temporairement de côté les chroniques de cinéma expérimental parce que Contre-Oeil et Exercices Spirituels dans un laps de temps assez court, ça fait mal... très mal.
Note :Euh...