Genre : Science-fiction, drame (interdit aux - 12 ans)
Année : 2013
Durée : 2h57
Synopsis :
Un groupe de scientifiques est envoyé sur Arkanar, une planète placée sous le joug d’un régime tyrannique à une époque qui ressemble étrangement au Moyen-Âge. Tandis que les intellectuels et les artistes sont persécutés, les chercheurs ont pour mot d’ordre de ne pas infléchir le cours politique et historique des événements. Le mystérieux Don Rumata à qui le peuple prête des facultés divines, va déclencher une guerre pour sauver quelques hommes du sort qui leur est réservé.
La critique :
Il y avait un tout petit temps que le cinéma russe n'avait plus pointé le bout de son nez sur le blog. Vu comme austère et élitiste par les profanes et, à l'inverse, vu comme exigeant et intéressant par les cinéphiles, ce Septième Art déchaîne les passions. Mis en lumière grâce àAndreï Tarkovski qu'il est inutile de présenter encore en 2018, il a permis au monde entier de mieux appréhender les oeuvres natives du plus grand (en taille) pays du monde. Pourtant, c'est peu dire qu'il fut l'un des piliers majeurs de la naissance du cinéma, cela en grande partie grâce à l'érudition de Dziga Vertov et son mythique L'Homme à la Caméra. De son côté, Sergueï Eisenstein a su aussi consolider ses bases. Bien des années plus tard, toute une génération de cinéastes talentueux a émergé, certains plus connus (Zviaguintsev, Kalatozov...) et d'autres moins (Balabanov, Poudovkine...).
Peut aussi se rajouter Alexeï Guerman qui a su avoir le privilège de rejoindre la première catégorie citée juste au-dessus. Incontournable chez les cinéphiles, il est quand même considéré comme l'un des plus grands réalisateurs russes de la seconde moitié du XXème siècle et ce, en dépit, de seulement 6 réalisations en 40 ans. Oui vous avez bien lu ! Ceux qui trouvaient Béla Tarr un peu trop lent dans ses sorties peuvent souffler au vu des passionnés de Guerman qui avaient le temps de prendre une bonne dose de rides entre deux sorties.
Sa carrière démarre vraiment en 1967 lorsqu'il co-réalise, avec Grigori Aronov, Le Septième Compagnon, adapté d'une nouvelle de son père. Oui car son père, Iouri Guerman, était écrivain et scénariste. En 1971 sortait La Vérification qui fut censuré avec ses deux oeuvres suivantes, Vingt Jours sans Guerre et Mon Ami Ivan Lapchine, considérées comme des chefs d'oeuvre permettant la renommée du cinéaste à travers le monde. N'oublions pas que nous étions toujours à l'époque de l'URSS et qu'il n'était pas rare que certaines égéries virent leurs pellicules interdites. Tarkovski en fera d'ailleurs les frais avec son sublime Andreï Roublev. Quoi qu'il en soit, il n'est pas seulement question de récompenses sur ces films mais aussi de titres honorifiques qu'il recevra au cours de sa carrière.
En 1994, il est distingué Artiste du peuple de la Fédération de Russie. En 1998, on lui décerne l'Ordre du Mérite pour la Patrie et 10 ans plus tard, il est décoré de l'Ordre d'Honneur pour sa contribution au développement du cinéma national. En 2013, année de sa mort, sortit son film testament Il est Difficile d'être un Dieu. Décédé peu avant la fin du tournage, il ne verra jamais le résultat final, dont le mixage sera réalisé par son fils. Oeuvre polémique pour les spectateurs, il n'est pas facile d'aborder Il est Difficile d'être un Dieu. Certains sont partagés entre le statut de chef d'oeuvre et d'autres de délire. De son côté, la polémique au sein de l'équipe du tournage sera d'un autre niveau. Considéré comme maniaque impulsif, les temps de tournage atteignaient des sommets indécents (14 ans pour Khroustaliov, ma voiture !) et selon les dires : "Il lui arrivait d’arrêter le tournage pendant un mois, rien que pour un bouquet de fleurs absent dans le plan."Premier film de Guerman visionné par mes soins, je dois bien avouer ne pas y avoir été de main morte pour commencer sa filmographie.
ATTENTION SPOILERS : Un groupe de scientifiques est envoyé sur Arkanar, une planète placée sous le joug d’un régime tyrannique à une époque qui ressemble étrangement au Moyen-Âge. Tandis que les intellectuels et les artistes sont persécutés, les chercheurs ont pour mot d’ordre de ne pas infléchir le cours politique et historique des événements. Le mystérieux Don Rumata à qui le peuple prête des facultés divines, va déclencher une guerre pour sauver quelques hommes du sort qui leur est réservé.
A juste titre, si l'on devait décerner le titre de film le plus esthétiquement pestilentiel, nul doute qu'Il est Difficile d'être un Dieu serait un candidat de choix. Nos impressions sont corroborées d'emblée lors de ce premier plan où un narrateur parle de cette civilisation comme arriérée et à la mentalité de 800 ans en arrière. Le tout avec une campagne extérieure insalubre et, mes très chers amis, ça ne fait que commencer. Bienvenue sur Arkanar, la planète qu'il faudrait récurer à l'eau de Javel dans son entièreté. Un endroit où le service d'hygiène ferait un infarctus d'entrée de jeu. Un endroit où les rats peuvent être considérés comme le gratin mondain. Non je ne suis pas en train de délirer parce que le spectacle qui va suivre va continuer sans fléchir. Dans une odeur insoutenable, les villageois vivent et s'ébaudissent sans quelconque retenue. Il n'y a pas d'électricité, pas d'eau courante, ni de réels sanitaires.
Les pluies, aussi brèves qu'intenses, liquéfient la terre se transformant en une boue tenace dans les ruelles insalubres de la capitale. Forcément, pas de routes à proprement parler ! Tout est négligé, aucun entretien, aucune envie de vouloir être un minimum décent et de vivre dans un minimum syndical de propreté. Le spectateur est invité, avec les personnages, à patauger dans les entrailles, les corps décomposés et excréments en tout genre. Les gens pissent et défèquent comme bon leur semble. On observera un petit vomi gratuit par-ci par-là qui fait toujours plaisir à observer. Les crachats sont utilisés en ponctuation. Arkanar fait office de chaos généralisé où l'hygiène bafouée par les dimensions émétiques et scatologiques est banalisée et, pire encore, revendiquée.
Certes, s'il fait bel et bien allusion à un régime tyrannique, on a bien du mal à saisir les lois politiques régissant la planète. Un sentiment d'anarchie gronde dans les rues. Beaucoup de gens semblent ne pas travailler et se contentent de vaquer à de précaires occupations comme balancer de la boue dans la gueule des quidams. Et au milieu de cela, un envoyé terrien, Don Rumata considéré comme être aux pouvoirs divins, suscitant la curiosité des hommes et des femmes. On ne connaît pas l'origine précise de la mission initiée mais tout ce que l'on sait est qu'une guerre de clans va avoir lieu. Dans ce microcosme semblant être bloqué au Moyen-Âge, on en vient à se demander si ce que nous voyons à l'écran est bel et bien des hommes ou des cochons se vautrant dans leur fange. Et encore même les cochons ont un minimum de décence à ne pas se rouler dans leur merde en rigolant...
Guerman illustre la déshumanisation poussée au-delà de frontières impensables. L'individu n'a absolument plus le moindre sens civique, ni honneur envers lui-même. Il ne se soucie pas de sa propreté et de son intégrité physique. Il vit avec un ersatz de fierté dans des vêtements boueux, puant une odeur que je n'ose imaginer. Non content de se complaire dedans, son intelligence est précaire. S'il y a bien une atmosphère de sociabilité qui s'y ressent, difficile de mettre le terme de "civilisation" sur ce piètre résultat tant il ne semble y avoir aucune cohésion inter-individuelle, aucun débat, aucune volonté d'émancipation. On pourra plus d'une fois en voir avec une tête hébétée, pris de rictus involontaires ou de réactions incompréhensibles façon Gilles de la Tourette. Les poules et les oies rencontrées semblent avoir un plus grand quotient intellectuel.
Le fait est d'autant plus choquant qu'une politique intellectuelle type Idiocratie règne en maître. Les intellectuels et artistes, ceux sensés guider le peuple vers le haut, vers l'épanouissement intellectuel sont persécutés sans retenue. En d'autres termes, il faut éradiquer la lucidité pour ne laisser place qu'à la stupidité d'individus déchargés de toute retenue, de toute morale et guidés uniquement par leurs pulsions archaïques. La violence est omniprésente dans ce rythme de vie oppressant. Des actes de violence sont monnaie courante, parfois sans quelconque raison justifiée. On pend des gens qu'on laisse en pleine rue, recouverts d'une décoction de merde et... de merde.
On pend aussi des animaux, mais visiblement pas dans un but de se nourrir. La violence est absurde, n'a aucun sens logique et à aucun moment, les choses ne tourneront. L'agressivité est brutale dans sa mise en scène où le sang peut gicler sans retenue. Des nez sont cassés, parfois réduits en bouillie. On écrase le crâne d'un gros mastard avec une pierre avant de l'envoyer valser dans une porte en bois. On ébouillante un pauvre homme. J'avoue ne pas avoir su anticiper un tel tableau d'insolence et de subversivité propre à bouleverser quiconque, même le cinéphile endurci.
A cela se rajoutent aussi de virulentes diatribes sur les croyances et la présence d'un Dieu. Il ne semble tout simplement pas y avoir de Dieu, ni d'idoles dont la finalité ne peut être que la destruction. Pas non plus de notion d'art. Tout symbole intellectuel est balayé au profit des plus bas instincts de l'homme stoppé au stade régressif de l'obscurantisme médiéval. Il ne croit en rien, est plongé dans le nihilisme le plus paroxystique et à cela, sa réaction sera de se masquer le visage de boue (comme en témoigne la pochette) comme pour refuser de voir la réalité, SA réalité. Durant 3 heures, Guerman nous fait nous balader au gré des rencontres avec les indigènes où se rajoutent des dialogues sans guère de sens, lorgnant à la fois dans la philosophie et l'absurde. Don Rumata côtoie le peuple, avec un certain dédain et nous sommes làà le suivre dans un périple puant qui prendra sa finalité dans un soulèvement populaire.
Je vais grandement vous étonner mais je préfère vous dire qu'Il est Difficile d'être un Dieu est un film difficile d'accès. Outre la répulsion qu'il peut susciter, le fait de patauger durant 3h dans les crottes pourra en lasser plus d'un. Il est vrai qu'un raccourcissement du récit n'aurait pas été de trop, même si une certaine hypnose nous tient en laisse, fasciné par un tel mode de vie. Une hypnose qui ne sera pas non plus permanente vu que décrocher un bref moment de l'histoire pourra se produire. Une histoire que certains trouveront loufoque, alambiquée voire carrément propice àêtre à bout de souffle. Personnellement, je comprendrais amplement les critiques négatives et l'hostilitéà ce film car ce n'est pas toujours évident de rester concentré.
C'est avec un certain sourire en coin quelque peu gêné que je me dois de vous parler un peu de l'esthétique du film. Bon, je suppose que vous en avez suffisamment appris dans les paragraphes plus haut concernant ce que vous verrez. Oui MAIS, malgré l'environnement répugnant, on ne peut nier que Guerman a su magnifier la saleté régnante via une très belle image d'un noir et blanc de grande qualité. Un noir et blanc utilisé dans tous ses films et donc celui-ci aussi. Pourquoi ? Dans une interview, il aurait dit que les souvenirs n'avaient pas de couleurs. Ok chef, perso j'adore le noir et blanc donc tu peux donner n'importe quelle excuse, ça me plaira ! Les scènes se déroulent correctement avec une caméra typée documentaire. Un tel choix permet au spectateur d'être comme un voyageur, en compagnie de Don Rumata, à s'enorgueillir (façon de parler...) des us et coutumes du peuple.
Il convient de dire que les plans aérés ne sont pas plus fréquents que cela. Il y a une nette tendance aux plans serrés sur les hommes et les mouvements. A plusieurs reprises, certains regarderont la caméra, voire même lui parleront, comme si nous étions parmi eux. Un choix pareil de mise en scène permet au spectateur de faire partie intégrante de l'aventure et c'est une audace particulièrement plaisante. En ce qui concerne la bande son, elle se pare de relents tragiques de qualité certaine. Pour les acteurs, on notera la présence de Leonid Yarmolnik, Aleksandr Illin, Yuriy Tsurilo, Evgeniy Gerchakov ou Aleksandr Chutko. Peu de femmes seront présentes.
Donc, je me répète pour les téméraires qui voudraient se lancer dans l'aventure, il convient de dire qu'Il est Difficile d'être un Dieu est un métrage particulièrement difficile d'accès en raison de sa mise en scène inouïe. Démarrant de prime abord avec un synopsis plus qu'intéressant, Arkanar a tôt fait de nous montrer ses vices et son enfer mâtiné par la crasse à des niveaux invraisemblables. Dans cette ambiance eschatologique singulière, prélude à un désastre irrémédiable, nous naviguons au milieu d'une avalanche d'insanités en tout genre, d'averses, d'incendies, de barbarie absurde, de borborygmes animaliers, résultant de la création d'une humanité qui a oublié d'être humaine. Une apocalypse esthétique à même de vous donner envie de prendre 3 douches après le visionnage.
Le scénario, en lui-même, est peu important au vu de la nature des dialogues assez particulière et de sa progression illogique. Il est Difficile d'être un Dieu s'inscrit dans la veine des films sensoriels qui se ressentent plus qu'ils ne se comprennent. Guerman parvient à faire du grand cinéma avec ces décors épiques où l'on n'imagine pas le budget nécessaire pour retranscrire un réalisme aussi cru. Témoignage d'une folie crépusculaire sans nom, le cinéaste fait naître de la fange putride, des orgies putréfiées et des nids buboniques, un film de qualité certaine qui repoussera autant qu'il fascinera. Pour les estomacs les plus sensibles, un seau est plus que recommandé pour éviter toute régurgitation qui serait strictement indépendante de ma volonté.
Note :15/20