Genre : Horreur, Expérimental, Drame (Interdit aux moins de 18 ans)
Année : 2009
Durée : 1h44/1h48
Synopsis : Un couple en deuil se retire à« Eden », un chalet isolé dans la forêt, où ils espèrent guérir leurs cœurs et sauver leur mariage. Mais la nature reprend ses droits et les choses ne font qu'empirer...
La critique :
Antichrist est le douzième long-métrage de Lars von Trier et le premier opus qui ouvre sa trilogie (voire tétralogie) consacrée à la dépression. La première trilogie, intitulée Europa, traitait de l'Europe et de sa décrépitude en raison des dommages laissés par les ravages de la Seconde Guerre mondiale. Sa deuxième trilogie, intitulée Coeur d'Or, traitait la notion de sacrifice, les personnages principaux étant amenés à se sacrifier en raison de certaines circonstances propres à chaque film. Dans tous les cas, les personnages acceptent de se sacrifier et pour Bess de Breaking the Waves et Selma de Dancer in the Dark, ceci les fait accéder à un au-delà paradisiaque. Par la suite, Lars von Trier essaiera de faire une trilogie, intitulée U.S.A - Land of Opportunities, qui traitera des États-Unis en tant que puissance mondiale fondée sur la chute de l'Europe et l'esclavagisme, mais aussi de la notion de sacrifice, déjà abordée dans la trilogie précédente. En résulteront deux films, Dogville (2003) et Manderlay (2005).
Lars von Trier, en raison de l'échec commercial de Manderlay, ne pourra pas tourner son troisième opus intitulé Wasington. Il faut savoir qu'après cela, Lars von Trier fera une dépression dans laquelle il exprimait sa peur de ne plus pouvoir faire de films, il n'a d'ailleurs, pour Antichrist et pour la première fois, pas pu assurer le cadrage de son film et c'est aussi à partir de ce même film, qu'il auditionnera des actrices dépressives pour jouer les rôles principaux de ses films (Charlotte Gainsbourg pour Antichrist, Melancholia et Nymph()Maniac et Kirsten Dunst pour Melancholia, sachant que Penélope Cruz avait d'abord été approchée pour interpréter Justine dans Melancholia). Il assurera aussi que sa thérapie (entre 2006 et 2009) n'avait été d'aucune utilité et ne l'avait aidé en aucun cas.
(Concernant les deux durées du film, il faut savoir que contrairement à ce qu'assure Wikipédia, il n'y a pas de version censurée. Le film dure originalement 1 heure et 48 minutes, seulement en France, les ralentis ont été (légèrement) accélérés, rendant ainsi un film de 1 heure et 44 minutes.)
Dans cette mesure, nous pouvons nous demander : Quelle est la signification du film Antichrist ?
Dans un premier temps, nous pouvons observer que Lars von Trier fait des films qui s'interrogent sur l'essence même du Cinéma. Par exemple : Element of Crime et Epidemic, en plus de jouer avec les codes de leurs genres respectifs, déconstruisent la narration. Dancer in the Dark déconstruit les codes de la comédie musicale et Dogville ainsi que Manderlay se situent dans des décors minimalistes, pour des raisons variées et justifiées, questionnant, entre autres, le spectateur et sa capacitéà entrer dans une oeuvre et à l'accepter. Il est aussi intéressant de remarquer que les films de Lars von Trier se répondent entre eux. Par exemple, dans la trilogie Coeur d'Or, Bess, Karen et Selma représentent des personnages Christiques. Là où Grace déconstruit cette logique en refusant cet aspect sacrificiel. Dans la trilogie consacrée à la dépression, nous pouvons voir que chaque film symbolise un élément annonciateur de l'Apocalypse, ainsi Antichrist représente l'antéchrist, Melancholia l'étoile - absinthe et Nymph()Maniac, la grande prostituée / Prostituée de Babylone, aussi directement nommée dans le film, livrant ainsi à sa dépression, ses doutes et angoisses une dimension surnaturelle ; renouant avec le mysticisme qu'il avait laissé depuis Dogville.
The House that Jack Built poursuivra la dépiction de la chute d'une humanité, continuant avec le nihilisme amorcé par Nymph()Maniac et cette représentation d'une humanité immorale et (toujours) profondément mauvaise, reprenant sa structure jusqu'à finalement nous exposer une descente aux Enfers.
Dans Antichrist, les références sont nombreuses, ainsi on pense obligatoirement à Possession - Andrzej Żuławski (1981) et à Shining - Stephen King (livre de 1977) - Stanley Kubrick (film de 1980), mais aussi à Häxan : La Sorcellerie à Travers les Âges - Benjamin Christensen (1922). Le film présente aussi de nombreuses références au cinéma d'Andreï Tarkovski, auquel il est dédié et dont Lars von Trier dit avoir beaucoup pensé durant le tournage (il dit aussi avoir pensé au dramaturge August Strindberg), les influences du cinéma d'Ingmar Bergman sont aussi notables.
Solaris - Andreï Tarkovski (1972)
Antichrist - Lars von Trier (2009)
Au sujet d'Antichrist, Lars von Trier a annoncé : "Mon film est plus drôle qu'on ne le pense". Il est vrai que la majorité des films du Cinéaste proposent un aspect humoristique, dans un sens Trierien du mot, et Antichrist, dans ses multiples niveaux de lectures, n'échappe pas à cette règle. Par exemple, lors de son prologue, le cinéaste "s'amuse"à comparer les expressions d'orgasme du couple à la chute de leur enfant, le tout sur une musique intitulée Lascia Ch'io Pianga qui signifie "Laissez-moi pleurer", ce qui est assez drôle quand il s'agit d'un film traitant d'un psychologue essayant, en vain, de traiter la dépression de sa femme. Le reste de l'aspect humoristique reposera sur une manière qu'aura von Trier, au travers de son oeuvre, de se moquer, voire d'humilier son thérapeute, par le biais du personnage de sa femme, qui ne cessera de faire remarquer son arrogance ; mais aussi en ne cessant de le confronter au surnaturel alors qu'il est une représentation de ce qui est rationnel, mis en opposition avec l'aspect irrationnel de la dépression à laquelle sont conférés le mystique et le surnaturel.
La dépression de la Femme sans Nom (qu'interprète Charlotte Gainsbourg) permet d'aborder les thématiques du film. Ainsi, au travers de ses angoisses, nous pouvons constater la dépiction, dans l'oeuvre, de natures hostiles et dangereuses, causant la destruction et engendrant le mal. Les deux natures, dont il est question, sont la nature dans le sens premier du terme, les origines de la vie, dans lequel "le chaos règne" et la nature humaine, toutes les deux des forces destructrices, car le film fait référence à cet ordre animal dans lequel le plus faible servira de repas au plus fort. La nature, dans le sens premier du terme, sera même appelée par la protagoniste : "l'Église de Satan".
Quant à l'autre nature, celle que : "nous portons à l'intérieur de nous", la nature humaine donc, il y fait référence dans les dialogues à sa puissance destructrice, au désir destructeur, dont elle est pourvue (souvent traité(e) sur ce blog d'ailleurs, via la critique de films extrêmes). Ainsi, nous pouvons constater que l'auteur poursuit sa philosophie misanthrope (et non misogyne, telle qu'elle lui a été, injustement, reprochée depuis ses débuts) qu'il va étendre jusqu'à tous les aspects de la vie même. Dans Melancholia, Justine dit : "La vie est mauvaise", il est donc ici question d'une vision extrêmement pessimiste de l'existence qui est assimilée directement au mal, ici tout est mauvais, tout est mal, jusque dans la profondeur de notre Être, mais aussi dans le monde qui nous entoure.
Cette évocation me permet d'invoquer et de désapprouver les accusations "d'extrême misogynie" dont ferait preuve l'oeuvre, il lui est ainsi reproché ce dialogue, fait par la Femme sans Nom : " Ce genre de nature. Le genre de nature qui pousse certains à faire du mal aux femmes ? Ce genre de nature m'a beaucoup intéressée quand j'étais ici. Ce genre de nature était le sujet de ma thèse. Mais tu ne devrais pas sous-estimer Éden. J'y ai découvert une chose inattendue. Si la nature est mauvaise, c'est valable aussi pour la nature de...
- des femmes ? De la nature féminine ?
- La nature de toutes les soeurs... Les femmes ne contrôlent pas leur corps. C'est la nature qui le contrôle. Je l'ai lu dans mes livres. "
Par la suite, l'Homme sans Nom (interprété par Willem Dafoe) contredit ce qu'avance son épouse, en lui disant que sa thèse avait pour but de dénoncer les actes misogynes et barbares endurés aux femmes à travers l'histoire (via la sorcellerie) et de les réfuter. Or, il constate et lui fait constater qu'elle les épouse. Dans Antichrist, il est question d'une femme qui, à la suite de sa dépression et par le biais d'éléments surnaturels la conduisant à la folie et la poussant au sacrifice, se lie aux théories misogynes qu'elle devait réfuter lors de sa thèse, comme Lars von Trier, dans sa période de doute, due à sa dépression, aurait pu croire aux critiques négatives à l'égard de son oeuvre.
Mais il y a aussi une dimension encore plus ambiguëà ce sujet dans le film, car ce que dit la Femme sans Nom pourrait aussi présenter un aspect féministe, car il démontre une force surnaturelle destructrice (l'aspect de pouvoir destructeur étant souvent assimilée à la masculinité) présente cette fois-ci du côté féminin. Antichrist, de la même manière que Melancholia en 2011, nous présente un portrait féminin à la mystique destructrice, que l'on pourrait voir comme une vengeance dû aux sacrifices des protagonistes de la trilogie Coeur d'Or (à savoir Bess et Selma). L'oeuvre, avant que cela arrive, laisse plusieurs indices sur cet aspect (comme quoi la Femme sans Nom serait liée à cette puissance destructrice mystique inhérente à la nature), que ce soit dans les dialogues (la Femme sans Nom est menaçante dans ses propos lors de certains passages), mais aussi dans sa mise en scène, lorsqu'il montre la Femme sans Nom se fondant dans la Nature à plusieurs reprises.
Maintenant que nous avons abordé l'aspect thématique de l'oeuvre, il est temps pour nous de voir l'aspect métaphorique ; car en effet, à la question : "Quelle est la signification du film Antichrist ? ", nous pouvons répondre que l'oeuvre intitulée Antichrist est une métaphore de la dépression de son auteur. Ainsi, en sachant que celui-ci n'a jamais pu faire le dernier volet de sa trilogie U.S.A - Land of Opportunities, intitulé Wasington et que durant cette dépression (et même après Antichrist, d'ailleurs) Lars von Trier craignait ne plus pouvoir, ni être capable, de faire des films à nouveau. Il est difficile de ne pas voir Nic (soit l'enfant décédé du couple) comme une personnification de Wasington. Cette perte aura comme conséquence la séparation des deux aspects de la psyché de son auteur, s'orientant plus d'un côté que de l'autre. En effet, le mari représente ce qui est rationnel et la femme, représente, elle, la marque la plus profonde du deuil, qui en traînant en longueur cause la dépression, chose qui est irrationnelle dans le sens où elle déforme la réalité (ce qui est d'ailleurs dit par le mari dans le film) ; de la même manière que von Trier déforme le cadre lors de passages anxiogènes, et porte une dimension disproportionnée aux sentiments, impactant jusqu'aux fonctionnements moteurs de l'être humain.
La femme est dans un état tel qu'elle ne peut plus bouger, subit des crampes, des crises d'angoisse à répétition et va jusqu'à se faire du mal pour tenter de stopper ce mal être insupportable. La séquence de la marche funéraire démontre bien cet aspect, le mari pleure en suivant de près le cercueil, comme s'il souhaitait le rattraper, comme pour enlever la mort et ne pas se séparer de son enfant défunt, alors que la femme, elle suit plus éloignée, n'exprimant qu'une tristesse (légèrement) retenue sur son visage avant de tout simplement s'effondrer et faire un malaise, expression d'un mal plus intérieur. Le seul élément qui pourrait réunifier ces deux représentations (donc le rationnel et l'irrationnel dépressif), que la mise en scène s'évertuera de séparer dans le cadre lors des échanges dialogués après la fin du Prologue, est la création commune. En ce sens, Antichrist dépeint la recherche désespérée de la réunification par le biais de l'élément créateur. On comprend mieux pourquoi la sexualité est donc omniprésente dans le film, elle est la représentation directe de l'action créatrice, lorsqu'il était encore possible de créer. Dans le Prologue, elle était filmée en gros plan. Par la suite, le cadrage s'éloignera de plus en plus et ne montrera plus de gros plans sur les pénétrations, exprimant donc une fracture mais aussi l'échec créatif, l'acte sexuel se terminant toujours par la douleur et/ou renverra à la mort. La destruction finale des parties génitales des deux personnages sera donc l'expression finale/dernière et symbolique de cette incapacitéà créer, étant donc privés de leurs attributs créateurs qui sont aussi des attributs de plaisir ; les personnages sont confrontés à leur échec. Comme si Lars von Trier ne parvenant pas à réunir le rationalisme qui le sortirait de sa dépression, à lui-même, perdrait tout sentiment de plaisir intimement liéà sa capacitéà faire des oeuvres.
(Plan du prologue, dont la pénétration montrée explicitement peut être perçue comme le symbole de la réunion jusqu'alors possible des deux aspects)
(Deuxième séquence représentative de la sexualité des protagonistes, elle se terminera par la douleur du mari)
(Troisième séquence représentative de la sexualité des protagonistes, dans laquelle la femme demande que son mari la frappe)
Il est intéressant de remarquer que l'ordre des douleurs subies suit exactement l'ordre des privations sexuelles de chacun des protagonistes. Par exemple, la deuxième séquence sexuelle, étant la première à illustrer cette logique de la recherche de l'acte créateur, se termine par la douleur du mari infligée par sa femme, ce sera le premier à subir une castration, par sa femme. Dans l'autre séquence, c'est elle qui demande à son mari de lui infliger de la douleur (bien qu'il n'en ait pas envie), de la même manière que ce sera elle-même qui s'infligera une excision (alors qu'il restera passif). Ces deux séquences représentatives de la sexualité sont aussi annonciatrices de la suite du film, en plus d'être une illustration de la recherche désespérée et vaine de la création.
Plusieurs éléments évoquent la mort dans Antichrist, déjà le symbole du deuil représenté par une biche dont la progéniture morte pend de son vagin, évocation de la fausse couche renforçant cette incapacitéà créer, faisant aussi écho à l'avortement dans Nymph()Maniac.
Nymph()Maniac - Lars von Trier (2014)
En ce sens, Antichrist peut être vu comme une vanité, le courant d'art qui représente de manière allégorique la mort, le passage du temps, la vacuité des passions et des activités humaines. La séquence que je compte prendre en exemple et qui illustre à la fois la métaphore de la recherche vaine, voire frustrée, de la création par la représentation de l'acte sexuel, est la suite de la troisième séquence représentative de la sexualité. Après le refus de sa demande par le mari, la femme s'enfuit dans la forêt afin de se masturber au pied d'un arbre, avant que celui-ci la rejoigne et finalement exécute sa demande et la frappe, engageant successivement un acte sexuel, qui pourrait être l'évocation de l'acte créateur, avant que la caméra (illustrant et effectuant ce mouvement sexuel de va et vient) ne se rapproche en très gros plan derrière la tête du mari, couvrant ainsi la visibilité, avant de révéler l'aspect mortuaire/funèbre de l'acte. Cette illustration rassemble deux aspects opposés, tel que le plaisir sexuel, créateur de la vie et la mort, par l'apparition de tous les cadavres d'Eden, qui semble inséparable du couple, appuyant cette poursuite vaine de la création qui ne naîtra pas, et faisant appartenir Antichrist au courant de la vanité.
L'antéchrist dans cette oeuvre est donc l'anéantissement, l'absence de forme physique, de matière, il est représenté par Nic, l'enfant du couple, dont la Mort, contre nature, évoque l'empêchement de la vie à suivre son cours. Ainsi cet enfant, jamais ne connaîtra les étapes suivantes de la vie, qui sont normalement traversées, mais déclenchera aussi l'empêchement de la vie des autres, donc ses parents à suivre leurs cours. L'antéchrist n'a pas besoin de représentation physique puisqu'il va contaminer les personnes directement dans leurs psychés. Il a cependant dans l'équivalent biblique ses trois rois mages, les trois mendiants qui, eux, sont bien présents sous la forme d'animaux poursuivant cette logique d'une nature mauvaise.
Concernant le final, soit après l'évidence manifeste de l'échec du couple à se réunir et à détenir la possibilité de créer à nouveau, donc après la castration et l'excision, la prédiction antéchristique veut que quand les trois mendiants arrivent, un des deux protagonistes devra mourir, inversant là aussi la logique biblique (À la venue des trois rois mages, qui offrent quelque chose, une personne naît. À la venue des trois mendiants, qui prennent quelque chose, une personne meurt.). L'Homme sans Nom finira par tuer son épouse, étant donc le survivant de l'histoire. Ce n'est cependant en aucun cas une fin heureuse, puisque l'Épilogue nous le montre traversant la forêt, mais étant envahi par les fantômes des sorcières qu'il peut désormais voir, mais aussi toujours poursuivi par les trois mendiants, signifiant ainsi que bien que débarrassé de l'aspect dépressif irrationnel que représentait sa femme, il se retrouve désormais lui-même confronté, si ce n'est hanté, par la mystique irrationnelle qui va à l'extrême encontre de sa personne.
Il vivra le reste de ses jours plongé dans un univers qui n'est pas le sien, ce qui en soit, est aussi très terrifiant, bien que von Trier le souligne ici sous un aspect moqueur comme une façon qu'il aurait, peut-être, de punir son thérapeute incompétent.
Antichrist fait partie de ces oeuvres viscérales provenant et exprimant symboliquement les tourments profonds de leurs auteurs, tel que Possession - Andrzej Żuławski (1981) par exemple. En revanche, Antichrist reste une oeuvre de von Trier assez décriée, voire anathématisée, les polémiques et scandales ayant eu des conséquences réductrices vis-à-vis de la dimension hautement symbolique et l'aspect métaphorique de l'oeuvre, dont les enjeux sont profondément intimes bien qu'ils livrent une portée métaphysique dans leurs explorations thématiques.
Note : Chef d'Oeuvre
CinemaDreamer