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Histoire d'une Prostituée (Une tragédie amoureuse sous les explosions)

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Genre : Drame, guerre (interdit aux - 12 ans)

Année : 1965

Durée : 1h36

 

Synopsis :

Alors que le conflit sino-japonais fait rage, une jeune prostituée tombe amoureuse d’un soldat. Parallèlement, elle est victime d’un officier sadique qui la harcèle.

 

La critique :

Non, non, non ! Ce n'est pas encore aujourd'hui que je vous laisserai tranquille avec le vieux cinéma japonais que j'affectionne plus que tout autre, et en particulier cette fameuse Nouvelle Vague japonaise que j'ai depuis un moment présenté avec engouement. Car, au risque de me répéter, depuis plus d'un an, il est regrettable de se rendre compte que le vieux cinéma japonais, en creusant un peu, a la malchance de voir certains pans oubliés de distributeurs quelque peu désintéressés. Et cette Nouvelle Vague est l'une de ces bien cruelles victimes voyant certaines de ses pellicules, soit inédites de par chez nous, soit introuvables en support DVD, soit trouvables, moyennant un budget parfois conséquent.
Catastrophique quand on voit à quel point ce courant, et je n'hésite pas à le dire, officie dans l'excellence. Fort heureusement, on peut remercier le téléchargement illégal de nous offrir un accès à un catalogue plutôt pas mal. Bref, depuis Les Funérailles des Roses, j'ai eu la chance de ratisser un peu à tous les étages en abordant chaque icône, qu'ils soient Yoshida, Shinoda, Masumura, Imamura, Teshigahara ou Matsumoto. Pourtant, il en manque un dernier qui aura les honneurs d'avoir une chronique dans nos colonnes. Je veux bien sûr parler de Seijun Suzuki, considéré comme l'enfant turbulent de la Nikkatsu. Pour cela, il faut se remettre dans le contexte de l'époque. Comme vous le savez, avec l'influence grandissante de la télévision, le cinéma voyait une chute inquiétante de son taux d'audience. Il fallait fédérer le public vers quelque chose de novateur, abandonnant le classicisme de jadis alors dominé par Ozu, Mizoguchi et Naruse. La Nikkatsu sera celle qui amorcera ce virage avant-gardiste.

Pourtant, les conditions de tournage étaient très compliquées vu l'influence quasi tyrannique de la Nikkatsu. Il fallait travailler vite, au point de devoir tourner plusieurs films par an. Les marges de décisions étaient restreintes vu que les studios imposaient les scénarios (quasi toujours du yakuza-eiga ou du pinku-eiga), le format et la durée précise du film. Si Suzuki parvint à se faire connaître comme un réalisateur de séries B rentables pour les dirigeants de l'entreprise, son style de plus en plus personnel qu'il insufflait dans ses films finit par ne plus plaire à une Hollyw... Nikkatsu conservatrice, adepte d'oeuvres formatées pour le marché, se méfiant de l'audace de ce jeune iconoclaste.
Les menaces restèrent sans succès mais ça n'empêchera pas le cinéaste de se faire licencier après son plus célèbre film, La Marque du Tueur, que j'aborderai dans quelques semaines. Banni des studios pendant 10 ans, oublié du grand public, il fut redécouvert par des cinéphiles et soutenu par de célèbres auteurs à l'instar de Jim Jarmusch, Wong Kar-wai et Quentin Tarantino se réclamant de son influence. Pour une première sur Cinéma Choc, je jetais mon dévolu sur Histoire d'une Prostituée, miraculeusement trouvé sur YggTorrent en VOSTFR, cité parmi les films proéminents de son géniteur. A l'instar de tout film de cette Nouvelle Vague, j'en attendais beaucoup et quand, en plus, je me confrontais à un nouveau réalisateur, la curiosité et l'attente en étaient à leur paroxysme.

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ATTENTION SPOILERS : Alors que le conflit sino-japonais fait rage, une jeune prostituée tombe amoureuse d’un soldat. Parallèlement, elle est victime d’un officier sadique qui la harcèle.

Donc, comme dit auparavant, Suzuki s'est spécialisé et est encore associé dans la mémoire des cinéphiles comme le cinéaste du yakuza auquel on prête un grand nombre de métrages. Pour la petite info, la plupart des films antérieurs à 1963 n'ont jamais été traduits en français. Alors que le sexe et la violence faisaient partie intégrante de son travail de jadis, Histoire d'une Prostituée marque un travail de rupture en raison de son sujet, de son second niveau de lecture et finalement du traitement du mélange violence + sexe. Outre le titre assez explicite, Suzuki s'attaque à un sujet lourdement polémique durant la conquête de la Chine par le Japon en suivant la destinée de ce qui s'appelait les "femmes de réconfort", à savoir des prostituées suivant l'armée japonaise dans tous ses déplacements et destinées à leur offrir un peu de bon temps. Impossible de trouver d'éventuelles traces de censure ou de quelconque scandale mais l'on ne s'étonnera pas, si en traitant de ce sujet impensable pour être adapté au cinéma de l'époque, que les diatribes et autres véhémentes remarques n'aient fusé dans l'assemblée.
Il faut dire qu'il n'y va pas de main morte. Quiconque s'y connaît un minimum en histoire doit savoir l'aura que dégageait l'armée japonaise en ces temps de trouble où Hirohito était au pouvoir. Une armée aliénée où chaque corps d'arme était totalement dévouéà l'empereur. La mort était représentée comme étant synonyme de fierté et le fameux harakiri coulait encore de beaux jours devant lui. 

Cependant, en raison de la gravité du sujet, Suzuki prévient tout débordement qui lui coûterait une posture déjà bien mal en point. Ainsi, les péripatéticiennes sont représentées par des japonaises "dévouées" alors qu'il s'agissait en réalité de chinoises capturées et reconverties en esclaves sexuelles. Tant qu'à faire, il évite aussi de représenter la sauvagerie de l'armée japonaise massacrant les chinois. Le tristement célèbre Massacre de Nankin en est un bien malheureux exemple. La trame va se polariser sur une situation inattendue émergeant sur un innommable bourbier : une histoire d'amour voyant Harumi s'éprendre de Mikami, un jeune soldat.
Entre eux, un officier sadique se prenant un malin plaisir à exercer sa domination la plus totale et malsaine sur un bataillon. Il n'hésite pas à gifler ses soldats et à maltraiter Harumi qu'il s'accaparera, au grand dam d'un Mikami ayant prêté allégeance envers ses supérieurs. Alors qu'elle fait exploser sa rancoeur envers celui qui bloque cette union, le soldat se force à réfréner ses pulsions et son attirance risquant de le faire sombrer à tout moment dans une spirale dont il ne pourrait décemment ressortir indemne. 

 

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Sans aller jusqu'à l'accusation la plus frontale et grossière, Histoire d'une Prostituée témoigne avant tout de ces rêves et espoirs brisés dans un climat déshumanisé voyant les morts s'accumuler. L'armée japonaise est vue comme dénuée de toute valeur, de toute grâce. Elle n'est plus le parfait instrument impérial valeureux que la propagande étatique et les enseignements tentaient de fabriquer. Entre leurs mains, la femme est réduite au rang de simple objet sexuel interchangeable que l'on souille avant de repartir au combat. Elle est un moyen de combattre la misère sexuelle, accueillant le précieux fluide phallique perverti par ces relations homme-femme complètement désincarnées.
Et au milieu de ce tas de fumier, l'émergence d'un amour véritable qui sera rabroué par le commandant non sans que quelques quolibets ne proviennent du régiment. Le fanatisme des militaires y est dénoncé, de même que le patriotisme engendrant chaos et souffrance, ce qui amène par extension un puissant propos antimilitariste dénonçant avec brio toutes les tares d'un conflit inutile dont il ne ressort que le malheur et l'horreur moderne. 

Histoire d'une Prostituée prône avant tout l'amour. Un amour qui peut pousser autant dans le calme que sur des braises ardentes. Même au beau milieu d'une guerre, il ne s'éteint jamais. Car si le pessimisme le plus total grandit minute après minute, un propos optimiste sur les rapports humains se construit en parallèle. Un ressenti très particulier se dégage lors du visionnage à la fois sombre et malsain mais pas dénué d'une certaine beauté mélancolique. La superbe scène emblématique de copulation entre ces deux amants est bien entendu le meilleur exemple.
On peut passer de la douceur à la tristesse pour finir sur la révolte. Une révolte quand Mikami subit de manière impassible le courroux de son supérieur. Une révolte quand Harumi recevra un violent coup de crosse bien placé dans le ventre par ce dernier. Histoire d'une Prostituée peut se voir comme un film d'amour évoluant dans un contexte violent et hostile comme ce fut le cas du chef d'oeuvre absolu L'Ange Rouge, qui officiait néanmoins dans un tout autre registre. 

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Là où on pourra développer une certaine déception est sur la sobriété d'une image dont on ne ressent pas de volonté de l'esthétiser, de la rendre grande, belle et raffinée. Si le tout est correctement filmé, le film ne nous berce pas suffisamment les yeux. A ce sujet, j'ai volontairement pris les images issues des plus belles séquences du film pour illustrer ma chronique. Pourtant, force est de constater que Suzuki expérimente dans sa mise en scène. On retrouvera des effets stylistiques dont les plus frappants sont les arrêts sur image, un décalage entre l'image et le son ou cette volonté de perdre les personnages dans des étendues vastes. Ces essais sont concluants et ne poussent jamais à l'overdose, comme on peut parfois le voir dans certains films où les expérimentations sont tellement redondantes que la pellicule en devient une caricature. Pour continuer, on ne s'extasiera pas vraiment sur une bande son qui ne percute pas assez. Et en ce qui concerne les acteurs, la grande star est logiquement Yumiko Nogawa dont la prestation est géniale dans sa manière de crédibiliser à ce point la dépression et l'hystérie d'une Harumi désemparée par l'horreur sentimentale de la guerre. On pourra rechigner sur une certaine passivité de Tamio Kawaji en soldat Mikami. De son côté, Hiroshi Cho arbore à merveille les traits barbares du colonel sadique.

Une fois n'est pas coutume, la Nouvelle Vague japonaise expose à la vue de tous son audace et son originalité dans la manière d'aborder toute une gamme de sujets différents et spinescents avec l'érudition suivant très fréquemment derrière. Aux sulfureux titres tels que La Bête Aveugle, Les Funérailles des Roses ou encore Fleur Pâle, Histoire d'une Prostituée peut rejoindre le cercle des films à sujet polémique avec panache. Le cinéphile se voit s'éprendre avec un attachement sans égal de ce couple d'amants déjà condamné d'avance. Un hymne envers la suppression de la guerre et de la réconciliation tant des peuples que des sexes, Histoire d'une Prostituée exploite son thème avec beaucoup de pudeur. Il ne sombre jamais dans le racoleur lors de certaines scènes à tonalitéérotique sans pour autant le classer dans le genre. Si on ne peut s'empêcher de nous rendre compte qu'il manque ce petit quelque chose pour ériger Histoire d'une Prostituée parmi les plus hautes strates de la Nouvelle Vague, le métrage se suit avec suffisamment de facilité et d'intérêt pour aller jusqu'au bout sans encombre. Peu importe la situation, l'amour transcende tous les problèmes, se mêlant à la plus grande adversité pour faire grâce d'un instant de bonheur. Un film à découvrir.

 

Note : 16/20

 

 

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