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Bullet Ballet (L'arme fatale)

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Genre : Drame, thriller, expérimental (interdit aux - 16 ans)

Année : 1998

Durée : 1h27

 

Synopsis :

Quelques jours après le suicide de sa compagne, Goda croise dans une ruelle Chisato, une fille qu'il avait rencontrée et sauvée peu de temps avant, alors qu'elle tentait de se jeter sous un train. Mais celle-ci, hurlant au viol, le publicitaire se retrouve face à face à Goto et sa bande. Agressé et volé, il est sommé par ces derniers de ramener tout son argent la prochaine fois. À bout de nerfs, Goda décide d'acheter une arme. Mais lors de la transaction, il ne remarque pas que l'arme en question n'est qu'un simple pistolet à eau. Il se résout alors de monter son propre revolver avec des pièces de métal. Il n'a plus qu'une obsession : tuer.

 

La critique :

Vous en rêviez encore n'est-ce-pas ? Affiche hostile et en noir et blanc, des asiatiques, un nom qui sonne purement "délire japonais" et le nom du cinéaste qui en fera mouiller plus d'un. Comme toujours, Cinéma Choc apprécie plus que tout le Japon, terre de réalisations toutes plus déjantées, surréalistes ou encore outrancières. Passé maître dans l'art du cinéma "brain damage" ou encore fer de lance du Septième Art trash et extrême, il est plus qu'impardonnable pour les thuriféraires de borderline de passer outre ces prestigieuses contrées, où l'imagination fertile (et le mot est faible) n'en finit plus de susciter notre étonnement et nos bégaiements. Ils se comptent sur les doigts de 500 mains mais, à coup sûr, Shin'ya Tsukamoto peut se targuer d'être une égérie de l'underground dont la réputation a largement dépassé les frontières de son pays. Incontournable, culte, indéfinissable, les mots manquent pour décrire le personnage et ses oeuvres. Plus ou moins passé inaperçu avec The Adventure of Denchu Kozo, c'est avec Tetsuo, très fréquemment cité comme son chef d'oeuvre absolu, qu'il se fera connaître au point d'électriser les réalisateurs occidentaux, à commencer par le très célèbre Quentin Tarantino qui n'a jamais caché son extatisme d'en faire un remake. Projet finalement avorté mais toutefois, il parrainera le projet d'auto-remake de Tsukamoto, un troisième épisode nomméTetsuo : The Bullet Man qui est le premier film américain de son géniteur. 

Bien entendu, le blog s'est plus d'une fois intéressé au bonhomme au point d'en faire presque une rétrospective en chroniquant une belle partie de sa filmographie, et dont je vous laisse trouver le tag en question pour découvrir nos billets. Bien qu'une partie non négligeable de son oeuvre globale n'ait pas encore bénéficié de nos faveurs, il était plus que temps de nous attarder sur le cas de Bullet Ballet, classé parmi les métrages proéminents de son géniteur. Pour la petite information superfétatoire, il fait partie de ces pellicules qui auraient dûêtre chroniquées avant la fin de l'année 2018 avec d'autres (Electric Dragon 80 000V, Lung IIet justement The Adventure of Denchu Kozo) enfin publiées. Mieux vaut tard que jamais comme dirait l'autre ! Mais que peut-on dire de croustillant dessus ? Eh bien, peu de choses si ce n'est qu'il fera son petit bonhomme de chemin dans différents festivals en recueillant deux nominations au prix du meilleur film à Gijón et à Singapour, ainsi que le Grand Prix au festival du film fantastique de Suède. A fortiori, Bullet Ballet a plusieurs arguties dans sa besace qu'il est plus que temps de présenter.

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ATTENTION SPOILERS : Quelques jours après le suicide de sa compagne, Goda croise dans une ruelle Chisato, une fille qu'il avait rencontrée et sauvée peu de temps avant, alors qu'elle tentait de se jeter sous un train. Mais celle-ci, hurlant au viol, le publicitaire se retrouve face à face à Goto et sa bande. Agressé et volé, il est sommé par ces derniers de ramener tout son argent la prochaine fois. À bout de nerfs, Goda décide d'acheter une arme. Mais lors de la transaction, il ne remarque pas que l'arme en question n'est qu'un simple pistolet à eau. Il se résout alors de monter son propre revolver avec des pièces de métal. Il n'a plus qu'une obsession : tuer.

Oh quelle douceur nippone étrange nous avons là encore ! Mais, avec le temps, plus rien n'est en mesure de nous étonner de nos petits amis du Soleil Levant ! Néanmoins, pour les esprits les plus terre-à-terre qui seraient désappointés par ce sympathique synopsis, je serai heureux de vous dire que Bullet Ballet est probablement l'un des films les plus ancrés dans la réalité, en comparaison de certains. Il faut dire que Hiruko The Goblin, Haze, Gemini ou A Snake of June ne déméritaient pas pour verser dans l'absurde. Ce n'est peut-être d'ailleurs pas un hasard s'il est vendu avec Tokyo Fist qui, lui aussi, ne partage pas de telles accointances que certains se risqueront à dire kafkaïennes. Pourtant, gare à ne pas minorer l'accessibilité relative du soft proposé s'inscrivant dans la veine d'un Tsukamoto très en forme qui n'a aucun mal à retranscrire le monde véritable qui se noie dans un maëlstrom à la fois psychédélique et chaotique. Ceci étant dit que l'absurde n'est pas totalement aux abonnés absents si on se réfère à la situation du pistolet à eau vendu dans la plus totale normalité. Illogique diront certains mais qui ne choque pas tant que ça au final. Ces lieux sont ni plus ni moins que Tokyo mais un Tokyo perverti où différents modes de vie coexistent sans pour autant s'entremêler.
D'un côté, Goda est l'archétype du salarié japonais vivant une vie fade, sans surprise. Son quotidien morne ne lui procure ni joie, ni bonheur, ni épanouissement. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si sa personnalité est effacée et que le sourire est absent de son visage. Le drame débarque d'entrée de jeu quand il apprend que sa femme s'est suicidée et que de la drogue a été retrouvée. Bien sûr, la prise de drogue est à relier à un moyen comme un autre de s'échapper d'une vacuité existentielle qu'elle partage avec son mari.

De l'autre côté, un monde interlope où les gangs semblent évoluer en toute impunité, se nourrissant de la violence avec qui ils font corps. Rien ne semble être en mesure de réfréner leurs pulsions animales mais pas non plus celles de Goda qui vont éclater à l'issue d'un règlement de comptes. Cherchant à comprendre le geste évident de sa femme qu'il ne parvient pas à cerner, pris dans les rouages parfaitement huilés d'un marché du travail déshumanisé, il va réaliser que la violence de la rue est une réalité banalisée et qu'il est incapable, du fait de sa faiblesse, d'y faire face. Le pistolet sera l'objet salvateur pour lui permettre de s'affirmer. Que ce soit l'homme intégré dans la légalité (Goda) ou celui intégré dans l'illégalité (les membres de gangs), tous partagent les mêmes envies de destruction. Première dissimilitude, Goda se forge des barrières pour éviter de laisser éclater sa colère.
Mais ces barrières ne pourront que s'envoler, ce qui est confirmé par des scènes de guerre l'hypnotisant. La violence est en chacun de nous et d'une manière ou d'une autre le masochisme également lorsqu'il liera une étrange relation avec Chisato qui ne pourra que le faire plonger davantage. Deuxième dissimilitude et pas des moindres, la plongée de l'homme intègre semble se faire alors que certains membres non intègres tentent de vouloir faire quelque chose de leur vie. Ces jeunes tiennent à s'émanciper du milieu du banditisme en voulant reprendre les cours, et même l'un des leaders s'y essayera. Hélas, tout cela ne durera que le temps d'un bref instant.

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Une dimension nihiliste va en ressortir clairement car les nouvelles générations ne semblent pas vouloir prendre part à la construction d'un monde civilisé où les hommes sont en harmonie les uns envers les autres. Tout du moins une harmonie d'aliénation vu le rythme de vie. Sans alternative, un sentiment généralisé de désoeuvrement se forge. Si l'intégrité rêve de chaos, la non intégrité rêve de jours meilleurs mais, dans le cas de cette dernière situation, leur objectif ne s'exaucera pas. La finalité ne sera que l'animalité et la destruction sociale. Le rapport de l'homme à la chair, l'un des thèmes de prédilection de Tsukamoto, se fait sur la base du sang versé, des coups donnés et de la mort engendrée par l'arme, création humaine paradoxalement construite en toute légalité.
On ne peut cacher qu'une philosophie intrinsèque sur le concept du bien et du mal dénaturé flotte constamment dans Bullet Ballet. De quoi émoustiller davantage le cinéphile qui ne pensait pas systématiquement se retrouver devant un produit plus profond qu'il n'en a l'air au premier abord.

Mais attention à vos petites rétines car si le contexte est plus réel que d'accoutumée, qui dit Shin'ya Tsukamoto derrière la caméra dit nécessairement mise en scène tout sauf conventionnelle. C'est à ce niveau que Bullet Ballet risquera d'en faire fuir plus d'un, du moins les novices qui ne sont pas des laudateurs d'un cinéma d'auteur épileptique. Car oui, tout va très vite et l'ensemble finit par dévier dans la confusion généralisée où un manque de cohérence dans les situations ne pourra se cacher. Un point qui partagera indubitablement les cinéphiles quant à la réussite d'un scénario vite discordant risquant de perdre son spectateur, lassé devant la surabondance de vitesse et de points de repère tangibles. Là est tout le revers de la médaille qui font du métrage un authentique objet expérimental ! On pourra aussi pester sur une intensité en dents-de-scie, une furie pas si furieuse que ça.
L'envoûtement est là devant l'oppression persistante d'une atmosphère glaciale à plus d'un titre mais cela ne constituera pas l'argument suffisant faisant de Bullet Ballet un film qui tiendra en laisse une partie de ceux qui s'y seront risqué, et ce même si la durée ne s'éternise pas davantage. 

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Point d'importance : l'image. En effet, Tsukamoto fait un retour aux sources en balayant la couleur pour opter pour le noir et blanc qui était déjà une caractéristique de Tetsuo. Un tel choix met en évidence toute une autre facette de la mégalopole tokyoïte. Il va révéler sa face sombre et oppressante lui conférant un aspect lugubre, anxiogène et torturé. Le décor urbain cher au réalisateur ne sera qu'une composante de plus pour amplifier l'étouffement de ses protagonistes, perdus dans les immensités de béton, de fer, de tuyaux et de câbles. La fameuse scène de la poursuite entre le policier et Goto, le tout avec Goda les poursuivant en est l'exemple de choix. Leur esprit est déstabilisé dans cette topographie sans la nature, fondamentale dans la culture japonaise. Concernant le son, il s'imbrique dans l'esprit du cyberpunk avec musiques techno industrielle rythmées et sonorités d'outre-tombe.
Enfin, Shin'ya Tsukamoto se permettra d'interpréter l'acteur principal, pour le coup convaincant en développant la propre folie de Goda. Le reste du casting se composera de Kirina Mano, Hisashi Igawa, Takahiro Murase, Tatsuya Nakamura et Kyoka Suzuki pour les principaux, qui se débrouilleront correctement sans pour autant nous marquer.

Ainsi s'achève encore un billet d'un autre film de ce géniteur atypique et singulier dont on a bien du mal à dissimuler notre engouement vu son palmarès tout à fait honorable. Cependant, rappelez-vous bien que l'on officie en plein dans l'underground et Bullet Ballet n'échappe pas à la règle malgré son accessibilité un poil plus élevée. Il est évident que l'on ne tient pas là une pellicule qui fera l'unanimité. Trop austère, scénario évanescent, neurasthénie mentale, capharnaüm généralisé, des évidences qui éloigneront le spectateur lambda mais sauront séduire le cinéphile ouvert d'esprit et en recherche de sensations fortes. Un produit qui révulsera autant qu'il séduira dans sa démarche artistico-industrielle où la condition humaine en prend pour son grade. Le costume cravate apparaît comme tout sauf une garantie d'éthique omniprésente. Peu importante sa condition sociale, l'homme est enchaînéà ses pulsions de bellicisme inexpugnable qui n'auront comme seule finalité de le détruire de l'intérieur, telle une balle sortant d'un revolver et traversant le coeur de l'être pour ne laisser comme seul et unique maître des lieux l'obscurité.

 

Note : 14/20

 

 

orange-mecanique   Taratata

 

 


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