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La Femme de Seisaku (Une tragédie au son du clocher)

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La_Femme_de_Seisaku

Genre : Drame, thriller, film d'amour (interdit aux - 12 ans)

Année : 1965

Durée : 1h33

 

Synopsis :

Okane est une belle femme qui devient l'épouse d'un vieil homme pour échapper à sa condition. Quand celui-ci meurt, elle retourne vivre chez sa mère dans son village. Devenue l'objet de moqueries de la part des habitants, elle se replie peu à peu sur elle-même. Quand elle rencontre un soldat, héros du front doublé d'un modèle de vertu, une flamme qu'elle croyait éteinte se rallume dans ses yeux et dans son coeur. Dévorés par un amour fou, les deux amants sont pourtant séparés par la guerre.

 

La critique :

Loin de moi l'idée de vouloir mettre fin le plus rapidement à ma modeste rétrospective sur ma tendre Nouvelle Vague japonaise chérie, mais en décidant de m'octroyer deux soirées dédiées à ce courant, je pressentais que j'allais vous mitrailler à la chaîne de ces pellicules oubliées. Dans mon esprit, seul Underworld Beautyétait assuré d'avoir sa place sur le blog. Le lendemain, il ne fallut pas longtemps pour que Le Pornographe me prit vite de court pour qu'il me soit impossible de ne pas vous conter mon expérience de cette satire noire, bouleversante et même choquante. Le même soir, en deuxième partie de ma soirée, à défaut de bosser sur mon Power Point pour mon TFE, l'envie de continuer sur ma lancée était bien trop forte pour être décemment réfrénée au son d'une triste procrastination étudiante. La raison n'étant pas la Nouvelle Vague japonaise en elle-même que je ne présente plus mais plutôt d'être face à un film de Yasuzo Masumura qui fait office chez moi d'entitéà vénérer.
Acteur incontournable de ce courant trop méconnu, il a su apporter ses lettres de noblesse via un style brut de décoffrage, frontal, ne laissant aucun répit au spectateur tant en noirceur qu'en violence physique et/ou psychologique.

Malheureusement, beaucoup de ses réalisations sont encore au stade de l'inédit dans nos contrées et le resteront probablement à jamais. Une amère déception, bien plus importante que pour les autres cinéastes du mouvement en ce qui me concerne. La raison primordiale étant que sur les 3 films visionnés de lui, deux ont intégré l'ultra sélectif top 5 de mes films de chevet aux côtés d'Orange Mécanique, Pandemonium (de Toshio Matsumoto) et Soy Cuba. Je pense que la lecture de mes chroniques de L'Ange Rouge (classé 4ème) et de La Bête Aveugle (classé 5ème) vous prouveront à quel point je louange ces merveilles perturbantes et oh combien splendides.
De son côté, Tatouage, s'il ne se montre aucunement à leur niveau, était tout du moins de très bonne qualité. Mais à la fin du visionnage d'hier, c'en était trop ! Sans dépasser les deux susmentionnés, il se permettait le toupet de les frôler en qualité en se hissant sans trop de difficultés en bonne place de mon top 50. Un tel constat ne se fit pas attendre. En l'espace de 4 pellicules, Yasuzo Masumura réussit l'exploit de s'immiscer parmi mes réalisateurs préférés. Alors, rentrons sans plus tarder dans la critique de ce nouveau bijou à rejoindre la prestigieuse sélection proposée depuis maintenant un peu plus de 2 ans.

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ATTENTION SPOILERS : Okane est une belle femme qui devient l'épouse d'un vieil homme pour échapper à sa condition. Quand celui-ci meurt, elle retourne vivre chez sa mère dans son village. Devenue l'objet de moqueries de la part des habitants, elle se replie peu à peu sur elle-même. Quand elle rencontre un soldat, héros du front doublé d'un modèle de vertu, une flamme qu'elle croyait éteinte se rallume dans ses yeux et dans son coeur. Dévorés par un amour fou, les deux amants sont pourtant séparés par la guerre.

Ainsi, je ne peux que fortement conseiller aux personnes à fleur de peau charmées par les histoires d'amour gentillettes et rêveuses à faire l'impasse sur ce qui suit et, d'une manière générale, sur les récits contés par Masumura qui, ici, adapte la nouvelle de Genjiro Yoshida pour donner naissance àLa Femme de Seisaku. Pour la petite information, un autre cinéaste du nom de Minoru Murata s'y était déjà essayé en 1924. Au risque de me répéter, chez notre illustre démiurge, tout est froid et sans espoir. Yasuzo Masumura pourrait se définir comme l'esthète du Septième Art tragique.
Difficile de dire quelle oeuvre détient la palme de l'atrocité mais il ne fait aucun doute que le métrage d'aujourd'hui ne fait pas dans la dentelle. Bref, l'histoire se centre sur la belle Okane dont le destin ferait claquer une dépression à un croque-mort. Être belle et riche est le cocktail gagnant pour une vie resplendissante, mais être belle et pauvre n'est que le prélude à sombrer dans les méandres d'une existence reposant sur la souffrance et la neurasthénie mentale. Okane est de celle-là et désireuse d'échapper à sa condition, elle épouse un richissime vieillard qu'elle n'aime pas. Son sourire qu'elle tente de masquer quand elle découvre son cadavre trahit ses profonds tourments internes. En parallèle, les membres de sa famille tombent comme des mouches. Son petit cousin meurt, suivi de son père qui abdique face à une maladie des reins. 

Retournant au village, sa mère meurt peu de temps après d'une crise cardiaque pour la laisser seule. Pour ne rien arranger, Okane est une femme qui suscite les anathèmes, les quolibets, les rumeurs néfastes et autres dénigrements. Vue comme une catin profiteuse, elle n'a jamais connu la sympathie des autres lui vouant une haine tenace et irréfléchie. Aucune compassion à son égard, pas de soutien et pas d'amis. Mais plutôt que de se battre, Okane a fini par être résignée sur son sort au point de ne plus rien attendre des autres. Elle s'isole, refusant tant bien que mal le contact avec les autres parce qu'elle sait qu'elle ne récoltera que blessures psychologiques. Elle finit donc par ne plus quémander le regard des autres, finit par ne plus avoir l'envie de s'intégrer ni d'éprouver une empathie envers les autres.
Ses quelques actes de gentillesse et de solidarité finissent par être noyés sous un flot de méchanceté absurde. L'arrivée du jeune saint du village, du nom de Seisaku, ne fera que précipiter le déclin d'Okane. Sans le moindre effort de sa part, il finit par tomber amoureux d'elle, ce qui amplifie davantage l'aversion des villageois dont le portrait est d'une rare férocité. La jalousie des femmes l'idolâtrant n'en devient que plus intense. Les commérages vont bon train, de même que la condescendance. On essaie de persuader Seisaku de ne pas fréquenter cette "salope" mais rien n'y fait.

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Masumura brosse le portrait extrêmement peu reluisant d'un hameau ayant perdu la totalité de son humanité pour laisser place à la cruauté, l'animosité et la totale répulsion envers une femme qui, au fond, est victime de son propre destin. Une sorte de vilain petit canard qui n'a rien demandé et dont le destin semble être scellé d'avance dans le plus grand chaos. Mais la guerre russo-japonaise est enclenchée et Seisaku est mobilisé pour se battre. Son retour au village le laisse blessé mais il est fortement incitéà y retourner après sa convalescence. De son côté, Okane ne veut pas risquer de le perdre à nouveau. C'est là-dessus que je m'arrêterai car la suite risque fortement de vous déplaire et gâcher tout le plaisir, si je puis dire, de vivre pleinement la véritable descente en enfer d'Okane à base de lynchage et de violence pure serait une impardonnable erreur de ma part.
Notre animadversion radicale envers cette foule n'en sera que plus grande. Le vrai perdant dans tout ça sera Seisaku, homme intègre, bienveillant et honorable. La seule fleur sur ce tas de fumier. Je soupçonne d'ailleurs fortement le géniteur de l'excellent film coréen Blood Island (aussi appeléBedevilled) de s'être quelque peu inspiré de la trame sur deux points : le village perdu et les mauvais traitements que subit l'actrice principale.

On en arrive à cette dernière scène déchirante avant que l'idéogramme "Fin" n'apparaisse nous laissant là un goût fort amer en bouche devant toute l'inhumanité dont est pourvu l'Homme envers son prochain. On aurait presque envie d'insulter la Terre entière. Décidément, quel pessimisme qui vole chez un Masumura, semblant être désespéré par la civilisation ! Toujours pas la moindre once de lumière ou de rédemption. La Femme de Seisaku revêt les oripeaux de l'antithèse du film d'amour. Nous ne sommes plus en train d'officier dans la simple tragédie mais dans la tragédie où se mêlent les bas-fonds de l'humanité et le voyage sans retour en enfer de nos héros.
Autant dire que le visionnage marque durablement le cinéphile. Ou quand le film d'amour peut se targuer de la mention "film choc" tamponné en grand sur sa pochette. Les 1h33, pour peu que vous adhériez à l'histoire et cela sera certainement le cas, passeront à vitesse grand V.

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Et obliquer sur la dimension artistique est bien entendu incontournable. Le noir et blanc est toujours aussi plaisant et se montre même judicieux en assombrissant davantage une atmosphère déjà bien triste. Les plans sur cette campagne pervertie sont de grande qualité. Des plans plus rapprochés traduiront toute la perfidie de visages ou le désespoir d'Okane campée par une Ayako Wakao une fois de plus exceptionnelle dans son rôle. On peut dire que Masumura a su trouver une nymphe de choix pour camper des rôles durs. Les autres ne pourront que s'illustrer brillamment dans leur prestation, soit bonne ou mauvaise (mais souvent mauvaise).
Citons Takahiro Tamura, Nobuo Chiba, Yuzo Hayakawa et Yuka Konno pour les principaux. Enfin, finissons sur la bande son toute sauf heureuse. On ne peut qu'être charmée lors des scènes de tendresse sentimentale riche en intensité où tout le bonheur d'Okane d'avoir retrouvé ce goût pour l'amour se transmet de par ses yeux, où se mélange espoir et mélancolie, sur Seisaku.

Et voilà ! Rien de plus à dire sur le sublime métrage qu'est La Femme de Seisaku si ce n'est lancer mes éloges et mon exaltation en direction d'un véritable artiste viscéral conjuguant à la fois le beau et le laid. Car chez Masumura, la vérité est toujours affreuse à entendre. Une fois de plus, il réussit le pari de nous frapper par la force d'un récit poignant mâtiné de situations toutes plus révoltantes les unes que les autres, ainsi que d'un couple marquant malmené par la fatalité et la saleté humaine. Ce qui confirme amplement une interdiction aux moins de 12 ans parfaitement justifiée. Il est extraordinairement rare qu'une soirée soit si prolifique en termes de magnificence cinématographique donc je peux dire que la vêprée du 19 août 2019 fut inoubliable en émotions. Je ne peux alors que réitérer mes congratulations envers cette merveille qu'est la Nouvelle Vague japonaise et que j'exhorte fortement tous ceux qui me liront de se jeter sans sourciller dedans pour vivre l'émerveillement.
Une énième empreinte fulgurante d'excellence nous conviant à dire que le doigt d'un véritable dieu du cinéma s'est à nouveau posé sur le Septième Art, pour notre plus grand bonheur. Pour les intéressés séduits par mes dithyrambes, sachez que YggTorrent vous offre l'opportunité d'acquérir le film en VOSTFR aux côtés de L'Ange Rouge et La Bête Aveugle eux aussi enfin disponible donc ne traînez pas. Pour les moins fauchés, la version légale est disponible sur Amazon. Contempler ces trois chefs d'oeuvre absolus du cinéma japonais, c'est avoir cette impression totalement justifiée d'avoir vécu quelque chose d'important. Un sentiment encore bien trop rare que Yasuzo Masumura vous permet de vivre, quand bien même, au risque de radoter, la vérité est décidément toujours aussi affreuse à entendre.

 

Note : 18/20

 

 

orange-mecanique   Taratata


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