Genre : Drame, expérimental, pinku eiga (interdit aux - 16 ans)
Année : 1969
Durée : 1h06
Synopsis :
Un homme qui devait être condamnéà mort par un groupe de gangsters finit par en tuer tous les membres.
La critique :
C’était précisément le 3 novembre 2018, Cinéma Choc pouvait s'enorgueillir à nouveau d’un billet en l’honneur du très controverséKoji Wakamatsu, qu’il n’est plus nécessaire de présenter. Cinéaste mal aimé de certains, soumis encore à la censure chinoise et apparemment américaine, il est pourtant l’un des grands parangons du cinéma nippon, ayant acquis ses titres de gloire à une époque trouble pour le Septième Art national. Oui, encore une fois ce même leitmotiv ressassé jusqu’à plus soif, vous me direz et je vous comprends, mais il convient de parler du contexte de l’époque. Comme certains le savent très certainement, le milieu des années 60 est une période trouble pour les maisons de production japonaises subissant de plein fouet une baisse d’audience.
La raison toute trouvée fut la démocratisation de l’incontournable télévision s’immisçant dans les foyers. S’étant rendu compte de l’appétence pathologique de l’être humain pour l’interdit, les producteurs eurent l’idée astucieuse de fabriquer un nouveau genre de films où les thèmes racoleurs axés autour de la violence et du sexe seraient les porte-étendards d’un style émergent que l’on finira par nommer "pinku eiga".
Evidemment, vous vous douterez bien que le pari sera réussi et que le pinku se taillera une solide réputation avec, en prime, de véritables professionnels derrière la caméra devant respecter un cahier de charges précis (courte durée, temps de tournage très courts). Avec cela, une quantité très élevée d'oeuvres ont été produites pour le plus grand bonheur des thuriféraires. A l'heure actuelle, Wakamatsu est considéré comme le réalisateur le plus important ayant émergé du pinku et l'un des plus grands cinéastes des années 1960, au grand dam du politiquement correct qui n'apprécie aucunement ses extravagances. Nous avons encore en mémoire l'indignation quasi générale de l'assemblée lors de la sélection de Les Secrets derrière le mur au Festival de Berlin qui engendra un incident diplomatique entre le Japon et l'Allemagne. Cette controverse très peu connue peut pourtant s'immiscer parmi les plus gros scandales de l'histoire du Septième Art. Que soit, retour encore une fois en l'an de grâce 1969, date qui vit un grand nombre de réalisations de son auteur débarquer sur le marché. Pour la petite info, Va Va Vierge pour la deuxième fois et Violence sans Raison qui ont été les deux derniers billets dédiés àWakamatsu dataient eux aussi de cette même année visiblement très prolifique. Une énième note de douceur vu que l'on s'attardera sur le cas de La Vierge Violente. Tout un programme !
ATTENTION SPOILERS : Un homme qui devait être condamnéà mort par un groupe de gangsters finit par en tuer tous les membres.
Comme toujours avec Wakamatsu, un synopsis simple et qui ne s'éternise pas sur toutes les circonvolutions scénaristiques. Pourtant, nous nous trouvons bien loin des repères que nous nous sommes forgés dans ses exercices de style et donc son cinéma. Ceci ne fait que commencer dans le choix de son titre que l'on a bien du mal à attribuer à quelque situation se profilant devant nos yeux. La Vierge Violente, qui si elle n'a pas de réel rapport avec l'histoire, amorce pourtant une sensation d'hostilitéà sa lecture. Une hostilité qui plus est à tous les étages et notamment dans l'environnement de son histoire. La totalité du récit se passant dans un paysage aride où les seules âmes qui vivent sont ce groupe de gangsters chargé de malmener, humilier et tuer un homme pour des raisons mystérieuses.
Les yeux bandés, il est jeté par terre et c'est alors qu'une femme, elle aussi les yeux bandés, est jetée à côté de lui. Il s'agirait de son amante mais c'est à cet instant que tout partira alors dans un maëlstrom singulier faisant de La Vierge Violente l'une des créations les plus osées et austères de son géniteur. Encore une fois, on tient un authentique brûlot anarchiste qui n'a rien perdu de sa puissance de frappe. Ces étendues lointaines et abandonnées de toute civilisation nous rappellent l'incoercible attirance de l'Homme pour la liberté. Dans ce monde, il n'y a plus de lois qui ne tiennent, plus d'instances judiciaires ou forces de l'ordre. Ce groupe peut s'en donner à coeur joie dans sa dépravation et son inhumanité. D'une géographie indéfinie, la liberté traverse les frontières de sorte qu'elle est prégnante à chaque instant dans ce no man's land.
Mais cette "anarchie topologique" n'est pas seule composante car Wakamatsu tient aussi à faire voler en éclats les lois cinématographiques pour accoucher d'un exercice de style tenant plus d'une composition expérimentale en dehors des tendances de base. La Vierge Violente triture les codes à tous les étages et notamment aussi au niveau narratif même puisque l'histoire n'en est pas vraiment une. On aurait pu, dans un premier temps, nous imaginer que nous n'aurions rien d'autre qu'une histoire standard sans ambition. En effet, le cinéaste n'a jamais fait montre de telles velléités trompeuses. Pourtant, sous un humble apparat de simplicité, c'est tout une myriade de questionnements qu'il nous propose avec panache. En l'occurrence, dans le cas de La Vierge Violente, les ambitions de base se montrent vite évanescentes pour dévier dans la plus totale absurdité.
Car l'absurde est ce qui pourrait caractériser au mieux le film. Le procédé le plus troublant et marquant se fait grâce aux retournements narratifs où les personnages adoptent des expressions contraires à celles d'avant et où des situations opposées se font. Nous pensons à la victime masculine qui sera considérée comme le "boss" ou encore cette même victime s'enfuyant nue pour se retrouver comme par magie vêtue d'une nuisette. Dans ce dernier cas, nous en venons à la dimension du pinku eiga et plus particulièrement à la fusion entre deux êtres.
Cette fusion à la fois sentimentale et sexuelle est palpable et rencontrée à diverses reprises. Nous ne pouvons que citer la scène où il lèche la poitrine de la femme à ses côtés en étant attaché, ou surtout cette superbe séquence où ils s'embrassent langoureusement et dénudés alors qu'ils pourraient s'enfuir en défaisant leurs liens. Même dans l'adversité, l'amour et surtout le sexe sont dominants. L'anarchie ne fait qu'annihiler les chaînes morales des individus pouvant combler leurs satyriasis au beau milieu du chaos. Pour pousser le second niveau de lecture plus loin, ce microcosme criminel pourrait s'apparenter à une relique désenchantée d'une civilisation en ruine où la haine et la violence sont banalisées. Au sein de cette Pandemonium des temps modernes, le triomphe de l'amour. Mais n'oublions pas que cette civilisation évoluant dans un climat anarchiste (j'en reviens à la thématique environnementale) ne fait qu'exprimer ses pulsions les plus bestiales car les règles ont été forgées pour contenir les ressentis auto-destructeurs de l'Homme. Nous le voyons explicitement bien dans le film quand celui-ci s'en éloigne.
Ceci étant dit, il est indispensable de rappeler au cinéphile dans quoi il s'embarque avant de lancer le visionnage. Cela serait pisser dans un violon que de dire qu'il est vivement déconseilléà ceux pour qui le cinéma c'est avant tout raconter une histoire. La Vierge Violente est un réel produit d'art et d'essai où le scénario hautement alambiqué n'aidera pas à la compréhension. Quel est le projet de ces personnages ? Qui sont-ils ? Autant de questions qui resteront sans réponse dans une oeuvre que certains jugeront absconse et prétentieuse. Dans ce dernier cas, une désagréable impression en ressort car, à force de noyer le spectateur sous des vagues toujours plus importants d'irréalisme, La Vierge Violente peut vite arborer les traits de caricature dans l'esprit de ceux qui ne rentreraient pas dans "l'histoire" ni n'adhéreraient aux codes (si l'on peut dire) de Wakamatsu.
Fort heureusement, la durée classique du pinku eiga d'à peine un peu moins d'1h10 permettra vite d'alléger l'expérience pour les contempteurs qui pourront toutefois se consoler devant de splendides scènes de nudité défiant la morale religieuse. Cette femme crucifiée et bafouée en son être est, peut-être bien, la démarche la plus effrontée du métrage.
On ne pourrait faire l'impasse sur la plastique du film et force est de constater que La Vierge Violente est beaucoup plus esthétique que la plupart des pinku eiga de son auteur. Les plans sur cette terre mortifiée à perte de vue, sur une végétation à bout de souffle valent clairement le détour, représentant ce que certains appellent "l'érotisme des dunes". On apprécie aussi l'importance de filmer cette femme ligotée sur une croix chrétienne qu'il parvient à magnifier alors que le contexte est tout sauf favorable à cette situation. On se plaira à rire de voir qu'elle se montre incapable de voir s'il y a de l'eau car elle est à la "meilleure position" pour détecter s'il y a une présence liquide. Un instant humoristique comme un autre ! Il convient de dire que des passages en couleurs se feront lors de scènes plus intenses que la normale. Néanmoins, son utilisation reste floue pour ma part. Autre point à mentionner, c'est la qualité de la composition musicale oscillant sur du vieux jazz et l'utilisation d'un vibraphone.
Et pour l'interprétation des acteurs, n'oublions pas que nous sommes quand même dans un film de ce bon vieux Koji pas réputé pour un sou pour plaire au grand public. On se félicitera de la beauté sans nul autre pareil de Eri Ashikawa. Pour le reste, vous serez seul juge de si oui ou non leur prestation est convaincante. Pour ma part, je me trouve bien désappointé, si ce n'est le bon jeu d'acteur de Toshiyuki Tanigawa. Le reste se compose de Miki Hayashi, Atsushi Yamatoya et Akitaka Kimata.
Pour une 8980524ème fois, c'est avec un plaisir non dissimulé que je vous apporte sur la table une autre oeuvre du pays le plus fascinant à mes yeux pour son cinéma et par la même occasion la 7ème chronique portant sur le cas Koji Wakamatsu. Et il y en aura d'autres car, là encore, une rétrospective du vilain enfant japonais s'impose tant la totalité de son oeuvre ne peut que procurer fascination et interrogation. Deux ressentis de tout premier ordre et rarement vu comme étant aussi forts pour La Vierge Violente qui se propulse pour l'instant comme la réalisation la plus difficile d'accès de Wakamatsuà mes yeux. Jusqu'au-boutiste à plus d'un titre, elle est un brûlot anarchiste des plus radicaux tant par ce qu'elle montre que parce qu'elle dénonce. Elle est aussi celle qui illustre une anarchie pas seulement métaphysique mais aussi scénaristique. En résulte une opacitéà forte tendance nihiliste qui ne pourra que charmer ou révulser sans quelconque demi-mesure.
Cela serait pourtant dommage de ne pas s'aventurer le temps d'une petite heure dans ces étendues désertes faites d'humiliations où la relation charnelle nous apparaît comme pouvant pousser dans n'importe quelle condition, même sur les tas de fumier les plus puants.
Note : ???