Genre : drame (interdit aux - 12 ans avec avertissements)
Année : 2019
Durée : 2h02
Synopsis : Le film, qui relate une histoire originale inédite sur grand écran, se focalise sur la figure emblématique de l’ennemi juré de Batman. Il brosse le portrait d’Arthur Fleck, un homme sans concession méprisé par la société.
La critique :
Depuis le succès du premier X-Men (Bryan Singer, 2001), les super-héros ne cessent de pulluler sur nos écrans et dans les salles de cinéma. La guerre est déclarée entre Marvel et DC Comics. Plus précisément, les belligérances concernent désormais Walt Disney, heureux détenteur de la licence Star Wars, et Marvel. DC Comics est relégué au second plan, nonobstant plusieurs succès pharaoniques au box-office américain. Tous les super-héros américains doivent être adaptés, sacrifiés et cloués sur le pilori d'une industrie hollywoodienne exsangue. Naguère, Bruce Wayne, alias Batman, passait entre les mains de Tim Burton via un diptyque en apothéose.
Ainsi, Batman (Tim Burton, 1989) et Batman, le défi (Tim Burton, 1992) permettaient au héros de Gotham de retrouver quelques lettres de noblesse et de luminescence.
Pas pour longtemps... Tim Burton n'a cure des instigations de ses producteurs et refuse de transmuter ce diptyque en saga lucrative et mercantiliste. Malencontreusement, cette requête n'est pas ouïe par les financeurs. Si ces derniers essuient un camouflet de la part du metteur en scène, ils peuvent néanmoins escompter sur la dévotion de Joel Schumacher. Hélas, Batman Forever (Joel Schumacher, 1995) et Batman et Robin (Joel Schumacher, 1997) se soldent par une rebuffade commerciale. Même les thuriféraires de la première heure crient haro sur ces deux nouvelles suites consécutives et soporatives. A raison, plus personne ne gage sur la résurgence du super-héros de Gotham.
Pour les laudateurs originels, il faudra faire preuve de longanimité et patienter jusqu'aux années 2000 avant de voir Batman retrouver un peu de verve et de somptuosité.
La presse et les critiques spécialisées révèrent et sacralisent Batman Begins (Christopher Nolan, 2005). Changement de tonalité sous la caméra de Christopher Nolan. Gotham n'est plus cette cité fantasmagorique menacée par les diktats du Joker et du Pingouin, mais une ville reflétant notre société hédoniste et contemporaine. Impression corroborée par The Dark Knight (Christopher Nolan, 2008) et The Dark Knight Rises (Christopher Nolan, 2012). L'homme chauve-souris apparaîtra derechef dans Batman V Superman - L'aube de la justice (Zach Snyder, 2016) et Justice League (Zach Snyder, 2017). Mais ces apparitions manquent singulièrement d'éloquence.
Néanmoins, Batman est victime de l'anémie du cinéma hollywoodien actuel. Trop de films de super-héros s'amoncellent dans les salles obscures. En dépit de certaines peccadilles, toutes ces productions sont - peu ou prou - analogiques.
Il était donc temps de polariser sur l'univers de l'homme chauve-souris et plus précisément sur ses plus fidèles antagonistes. Le plus célèbre se nomme le Joker, un super-vilain créé par les plumes concomitantes de Jerry Robinson, Bill Finger et Bob Kane. De toutes les figures sociopathiques, le Joker reste l'ennemi juré de Batman, à tel point que ce faciès hilare et atrabilaire va lui aussi s'inscrire dans la culture populaire. Sous le format télévisuel, il apparaîtra ponctuellement dans la série Batman (William Dozier, 1966 - 1968) et dans l'adaptation cinématographique éponyme de 1966.
Dans le film de Tim Burton, le Joker s'approxime à la fois comme un psychopathe et un personnage fantaisiste. C'est surtout son rire sardonique, ses facéties et son goût immodéré pour le crime qui le caractérisent.
Sous l'égide de Christopher Nolan (The Dark Knight), ce maniaque du bistouri gagnera encore en turpitude, en sédition et en obséquiosité. L'âme défunte, Heath Ledger, campe un Joker à la fois inquiétant, fallacieux et imprévisible. Le super-méchant préfigure la peste noire de Gotham. Il était donc temps d'attribuer un film à part entière à ce pantomime. Le projet cinématographique remonte à 2017. Les producteurs ont pour aspérité de se détacher de l'univers DC Comics. Ils requièrent l'érudition de Todd Philipps pour réaliser Joker en 2019. Le cinéaste n'est pas vraiment un noviciat dans le noble Septième Art puisqu'on lui doit Road Trip (2000), Starsky et Hutch (2004), L'école des dragueurs (2006), Very Bad Trip (2009), Very Bad Trip 2 (2011), Very Bad Trip 3 (2013) et War Dogs (2016).
Todd Phillips prise et affectionne les comédies potaches, ainsi que les rodomontades.
Il est donc surprenant de le retrouver derrière la caméra de Joker. Toutefois, ce choix s'avérera probant puisque le long-métrage culmine le firmament des oriflammes lors de son exploitation dans les salles de cinéma. Même les critiques se montrent unanimement panégyristes. Joker est acclamé sous les vivats des louangeurs de longue date. Reste à savoir si Joker mérite - ou non - de telles flagorneries. Réponse à venir dans les lignes de cette chronique... Pendant longtemps, Leonardo DiCaprio sera envisagé et même approché pour incarner la figure du Joker, mais Todd Phillips lui préfère Joaquin Phoenix. Viennent également s'agréger Robert De Niro, Zazie Beetz, Frances Conroy, Shea Whigham, Bill Camp, Glenn Flesher, Leigh Gill et Brett Cullen. Attention, SPOILERS !
(1) En 1981, à Gotham City. Arthur Fleck travaille dans une agence de clowns.
Méprisé et incompris, il mène une vie en marge de la société et vit dans un immeuble miteux avec sa mère Penny. Un soir, il se fait agresser dans le métro par trois hommes, le poussant à les tuer en retour. Si son geste inspire une partie de la population, Arthur bascule lui peu à peu dans la folie pour devenir le Joker, un dangereux tueur psychotique (1). Indubitablement, le Joker de Todd Phillips s'apparente davantage à la figure psychopathologique de The Dark Knight plutôt qu'au super-vilain de Tim Burton. Quant au saltimbanque euphorique de la série télévisée des années 1960, merci expressément de le phagocyter ! A raison, certains cinéphiles avisés n'omettront pas de stipuler les contiguïtés matoises entre Joker et Taxi Driver (Martin Scorsese, 1976).
Ce n'est pas aléatoire si Todd Phillips fait appel à l'omniscience de Robert De Niro dans un rôle antinomique, celui d'un individu issu de cette oligarchie en dissonance avec la populace.
D'autres aficionados évoquent déjà un nouvel Orange Mécanique. Hélas (ou heureusement, vous choisirez...), la métaphore s'arrête bien là. Joker n'a pas non plus de telles velléités. A l'aune de cette production dispendieuse, on se demande même pourquoi Todd Phillips choisit de centrer son film dans les années 1980 tant Joker suinte notre époque en décrépitude. Arthur Fleck ne symbolise pas seulement cette déréliction, ni cet avilissement vers la psychopathie mentale. Il est aussi cet homme conspué, nargué et ostracisé par ses pairs. Ainsi, lors de sa première segmentation, Joker s'appesantit allègrement sur la psyché - en déliquescence - d'Arthur Fleck.
Un peu trop sans doute... Le long-métrage n'élude pas l'écueil du misérabilisme à tous crins. Formellement, Joker n'est ni un thriller et encore moins un film d'action qui pétarade dans tous les sens.
Il s'agit avant tout d'un drame intimiste et en forme d'autoscopie mentale. Puis, lors de sa dernière demi-heure (en apothéose), Todd Phillips se réveille. Arthur Fleck aussi, l'écervelé sortant enfin de sa léthargie et de sa psychasthénie. Il devient, bon gré mal gré, ce héros rutilant et triomphant de la plèbe ; cette sorte de matamore qui porte subrepticement les espoirs d'un prolétariat lui aussi en sommeil. Car c'est aussi cela le Joker, à savoir cette réverbération d'une colère exponentielle. Non, le Joker ne sera pas un "bad guy" comme les autres... "Nous sommes tous des clowns" s'écrie le pantomime ulcéré. La dérision doit céder au meurtre, à la désinvolture et à l'insubordination.
Indiscutablement, Joker laisse une impression particulièrement malaisante, celle d'une guerre civile hypothétique. Par ailleurs, le long-métrage de Todd Phillips n'éludera pas le couperet de la polémique en invoquant cette peur sociologique, celle de disparaître dans une société atone et évanescente.
Note : 15/20
Alice In Oliver
(1) Synopsis du film sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Joker_(film,_2019)