Genre : Drame, guerre
Année : 2002
Durée : 2h10
Synopsis :
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Kurt Gerstein, un officier SS allemand, épaulé par un jeune jésuite, Ricardo Fontana, tente d'informer le Pape Pie XII et les Alliés du génocide des Juifs organisé par les nazis dans les camps de concentration.
La critique :
Souvenez-vous, c'était le 15 juin 2018, date à laquelle la dernière oeuvre du thaumaturge, je n'ose dire même génie, Costa-Gavras, fut abordée sur Cinéma Choc. Un cinéaste un peu à part, évoluant en vase clos et ne s'intéressant que peu au cinéma conventionnel. En effet, chacune de ces créations est pour lui une opportunité de témoigner de son engagement dans les valeurs qu'il défend, tout en balayant tout parti pris grossier, et de proposer une réflexion sur le pouvoir, et le monde politique plus généralement. Si sa carrière démarre officiellement en 1965 avec Compartiment Tueurs, c'est en 1969 qu'il rencontre son premier grand succès majeur avec Z, retraçant l'assassinat du leader de la gauche par l'armée et la police et camouflé en banal accident.
Les rentrées financières importantes et les dithyrambes généralisés de la critique lui permit de propulser une autre onde de choc avec L'Aveu. Ses réalisations suivantes lui permettent alors de se forger une indiscutable réputation dans les milieux cinéphiles l'assimilant au cinéaste de la politique. Par le passé, votre blog préféré s'est intéressé au cas des deux oeuvres susmentionnées, ainsi qu'au mésestiméSection Spéciale. Toujours est-il que trois pellicules, ce n'est guère beaucoup. Chose à laquelle il s'agit de remédier en nous dirigeant un peu plus dans le monde du démiurge franco-grec avec Amen.
N'allez pas croire que le point final au paragraphe en est un puisqu'il est intégré au titre du film. En atteste la pochette. Toutefois, pour des raisons de lisibilité et de facilité, je ne le mettrai pas à chaque fois que je citerai son nom. Mais j'aimerais tout de même mettre en valeur toute ma fascination envers le personnage par l'originalité des histoires qu'il met en scène. On le sait car ce n'est une surprise pour personne mais la politique est un domaine vu comme souvent rébarbatif pour beaucoup. Costa-Gavras devait sans doute avoir eu vent de cette impression générale puisqu'il ne tient pas à se lancer dans des sujets bateaux, généraux, déjà traités auparavant mais plus dans des pages sombres de l'histoire, peu étudiées. Amen répondra aussi à cet objectif de par son thème particulièrement spinescent, adapté de la pièce de théâtre Le Vicaire de Rolf Hochhuth qui lui vaudra le César du meilleur scénario original ou adaptation. A sa sortie, il déclenche la polémique et l'indignation d'une partie de la communauté catholique avec son affiche entremêlant la croix chrétienne et la croix gammée.
Plusieurs organisations tentent d'introduire une action pour interdire l'affiche. En vain... Mais même au-delà de ceci, la dénonciation donnant un gros coup de pied dans la fourmilière n'était de base pas de bon ton pour apaiser les religieux.
ATTENTION SPOILERS : Pendant la Seconde Guerre mondiale, Kurt Gerstein, un officier SS allemand, épaulé par un jeune jésuite, Ricardo Fontana, tente d'informer le Pape Pie XII et les Alliés du génocide des Juifs organisé par les nazis dans les camps de concentration.
Aborder le sujet de la Seconde Guerre mondiale n'est pas chose aisée, quand bien même on ne compte plus les films évoluant dans le registre. Certains y réussissent avec brio quand d'autres se plantent lamentablement. Vous aurez compris que Costa-Gavras n'allait pas vous entraîner sur le champ de bataille et que vous ne verrez pas le moindre combat. Son but est tout autre et beaucoup plus sensible qui plus est, car il vise à critiquer fortement l'attentisme du Vatican et de son pape Pie XII durant cette triste page de la WWII qui est l'Holocauste. Un sujet qui ne peut qu'interpeller d'emblée pour quiconque a un infime intérêt pour cet épisode marquant de l'histoire (le mot "détail" aurait été mal venu de ma part). Là oùAmen démarrera sur les chapeaux de roue est par son audace en faisant dérouler son histoire derrière les lignes ennemies, avec le point de vue de l'allemand affilié au NSDAP.
Ainsi, les Alliés ne sont qu'extérieur à ce combat interne mené par un inspecteur SS de l'hygiène lorsqu'il verra l'innommable se produire sous ses yeux. D'abord non informé de ce qu'il se passe à l'Est, il verra que ces entrepôts sont en fait destinés à mettre en oeuvre la Solution Finale, soit l'extermination des juifs dans les camps. En l'occurrence, cela sera, bien sûr, les chambres à gaz qui seront traitées ici présent. Une séquence où l'horreur est suggestive mais d'une violence inouïe l'amène à se poser des questions sur les dérives d'un mouvement qu'il n'imaginait pas.
Quoi que l'on en dise, les soldats nazis et les adhérents au Parti étaient guidés par un idéal, aspirait à se venger de l'erreur du Pacte de Versailles dont les démarches ont mis économiquement à feu et à sang l'Allemagne. Il n'était alors pas très surprenant de voir un homme au charisme extraterrestre galvaniser les foules et hurler la rancoeur de tout un peuple. Toutefois, son initiative un tout petit peu controversée de la Shoah ne semblait pas être connue du peuple allemand et ni de la totalité de l'armée nazie. Kurt Gerstein, pourtant lieutenant SS, va représenter l'humanité qu'il reste en chaque homme. Si son allégeance envers le nazisme est indéfectible, il ne peut cautionner les actes qui se passent au loin. Son alliance avec un jeune jésuite sera déterminante pour tenter d'informer le Vatican de ce qu'il se passe à l'Est afin qu'il puisse condamner l'Allemagne nazie et stopper cette machine de mort industrielle. Un pari osé d'humaniser le nazi et de s'acoquiner de plus en plus avec l'esprit chrétien qui est tout sauf basé sur les crimes contre l'humanité qui sont en train de se faire en toute impunité.
Pourtant, alors qu'il s'attendait à des prises de position et des mesures claires, c'est très rapidement la désillusion qui va s'abattre sur lui.
Il est bien difficile de se dire qui est le plus crapuleux entre des hommes totalement aliénés au massacre et des émissaires de Dieu qui ne font guère montre d'entrain pour sauver la vie des juifs. Amen met en évidence les incohérences multiples de l'Eglise, à commencer par sa mobilisation pour sauver les handicapés mais pas les juifs. Nous pourrions peut-être imputer cela à cette insidieuse volonté de participer à une croisade passive pour que l'Eglise catholique ressorte triomphante face à la religion juive en balayant ses adeptes. Cela ne reste que dans le domaine de l'hypothétique mais les faits semblent souvent nous donner raison entre l'absentéisme quand il faut prendre une décision, les discussions s'éternisant pour pas grand chose alors qu'il y a urgence.
Sans compter les Alliés qui apparaissent plus que jamais sales, lâches et honteux car ils ne semblent guère accorder beaucoup d'importance à la situation. Le docteur nazi narguera indirectement la politique mondiale en se réjouissant de l'absence totale d'invasion et de bombardement des camps par les forces alliées. Ceci trouvant son origine dans la Convention de Genève disant qu'il est interdit de bombarder les camps de prisonniers, et dont il salue les initiatives contre-productives jouant en la faveur de la procédure antisémite.
Costa-Gavras adopte un ton documentaire, filmant ces hommes déterminés face au Clergé sans parti pris. Comme dit avant, il n'y a aucun combat et vous ne verrez jamais le moindre gazage. Seul deux juifs seront abattus par balle comme ça, juste parce qu'ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment. Néanmoins, si Amen est percutant et tape là où il faut, il convient de dire qu'en se renseignant un peu sur le contexte scénaristique, il y a quelques couacs. Le scénario a d'ailleurs été très critiqué pour son exactitude historique par les milieux extérieurs à l'Eglise, soulignant certaines incohérences et facilités de mauvais ton. Un poids mort qui fait tâche, d'autant plus quand on songe à retracer ce passage de la WWII. Mais que les esprits devenus hostiles se rassurent, la critique dirigée contre l'Eglise est bel et bien fondée, ainsi que sa lenteur d'action, son manque d'envie de mettre fin à la crise et l'attitude très discutable des Alliés. Le tout s'accompagnant de cette même mise en scène incisive tenant en laisse son spectateur pour s'achever par un brillant finish nous laissant avec un goût fort amer en bouche.
Et il ne faudrait pas oublier de mentionner toute la plastique du film, admirable une fois de plus. Amen se situe dans le haut du panier du cinéma de Costa-Gavras. Que ça soit la reconstitution des camps, les églises et les moult bureaux nazis, la crédibilité est impressionnante, le professionnalisme tout bonnement imposant. Le tout bénéficie des plans chirurgicaux apportant une grande profondeur de champ dans les espaces extérieurs et faisant évoluer les personnages dans des décors spacieux. Autant dire que nous avons là une leçon de cinématographie de tout premier ordre où la caméra n’est jamais tremblotante, approximative. Elle filme ce qu’il se passe avec une maestria qui n’est plus à démontrer. La bande son assez timide apporte la consistance qu’il faut pour créer une tonalité sombre sans ne jamais jouer sur de l’artifice. Enfin, le casting, dans l’ensemble excellent, renforce les qualités du film avec un Ulrich Tukur saisissant en lieutenant SS parsemé de doutes.
Ulrich Mühe n’est pas en reste avec son regard psychopathique qui en terroriserait plus d’un criminel. On n’ose imaginer son état d’esprit lorsqu’il est sur le devant de l’action, derrière les barbelés des camps. Point noir pour Mathieu Kassovitz jouant parfois faux et trop sur la corde sensible dans les derniers moments du film. Pour le reste, rien à redire avec Michel Duchaussoy, Ion Caramitru, Marcel Iures, Friedrich Von Thun et Antje Schimdt.
S’il est vrai qu'Amen ne sera pas à citer parmi les métrages proéminents de son auteur, nous ne pouvons réfuter le fait que nous avons là un excellent produit à même de vous faire passer un très bon moment d’érudition devant votre écran. Sur ce coup, il est à préciser que le film est beaucoup plus audacieux et risqué que les autres en n’obliquant pas sur la néfaste pente du politiquement correct vu qu’il accuse les forces alliées et l’Eglise, au contraire d’un SS, être humain considérant toujours, au fond, la vie humaine avec dignité. Aucun étonnement à ce que la pièce de théâtre fit scandale en son temps. Dommage qu’il y ait eu certaines erreurs narratives, sans quoi on aurait eu un métrage à même de rivaliser avec des titres comme Z et L’Aveu. Ceci-dit, quelle joie d’avoir des artistes allant à contre-courant des tendances n’étant plus seulement banalisées mais devenues obligatoires pour ne pas être porté au pilori. Un drame magnifiquement humain, sous son apparat très sombre, où juste trahison et mauvaise loyauté sont convergentes et nécessaires pour espérer le salut d’âmes nées sous une religion vouée à l’opprobre.
Note : 15/20