Genre : Thriller, drame, horreur, épouvante (interdit aux - 12 ans avec avertissement)
Année : 2019
Durée : 2h27
Synopsis :
Dani et Christian sont sur le point de se séparer quand la famille de Dani est touchée par une tragédie. Attristé par le deuil de la jeune femme, Christian ne peut se résoudre à la laisser seule et l’emmène avec lui et ses amis à un festival estival qui n’a lieu qu’une fois tous les 90 ans et se déroule dans un village suédois isolé. Mais ce qui commence comme des vacances insouciantes dans un pays où le soleil ne se couche pas va vite prendre une tournure beaucoup plus sinistre et inquiétante.
La critique :
Non, vous ne fabulez pas en me voyant à la rédaction de cette chronique ! Ceux qui ont cerné mes péchés mignons doivent savoir que j'affectionne énormément le vieux cinéma et que l'horreur, c'est rarement ma tasse de thé. Alors que j'ai plus d'une fois radoté sur la situation actuelle du cinéma horrifique beaucoup trop aseptisé, revu et insipide, comment est-il possible que je sois derrière le billet d'un thriller à consonance horrifique datant seulement de cette année ? Les plus malicieux d'entre vous pourraient s'imaginer que j'expie mes tourments et ma frustration en me trouvant une cible au hasard pour mieux la semoncer afin de varier un peu dans les plaisirs et les très bonnes oeuvres choisies pour être abordées. Ce n'est pas la première fois que je fais ça, je dois l'avouer, mais ça ne sera pas du tout le cas ici. Et pourtant, Dieu sait que ma méfiance n'est plus à prouver, d'autant plus que le film ici est américain de surcroît et que nous savons tous que Hollywood a grandement perdu de sa superbe, lui et toute une génération de tâcherons tentant de tirer toujours sur la même corde des astuces beaucoup trop exploitées. A se demander comment certains arrivent encore à sursauter face à des screamers archi-prévisibles. Mais rassurez-vous car ce microcosme perverti par l'argent facile, le manque d'ambition et d'originalité semble loin, très loin, quand on se plonge dans les contrées de ce que beaucoup ont qualifié comme le film d'horreur de l'année.
Si je dis ça, c'est que j'ai découvert ce cru par l'intermédiaire d'un de mes meilleurs potes, laudateur absolu d'horreur/épouvante qui est déjà venu à plusieurs reprises sur ce blog jeter un oeil, via son identification Facebook dans un trailer. Cette bande annonce grandiloquente laissait présager un film âpre, à l'opposé des sentiers trop souvent battus tout en faisant des tonnes à souligner et surligner 500 fois que "l'on n'avait pas vu un tel chef d'oeuvre depuis blablabla", que c'est "le film d'horreur de l'année nianiania". Des ficelles qui fonctionnent chez certains mais pas sur le chroniqueur cynique et désabusé que je suis, car ça ne peut qu'augmenter ma suspicion acerbe.
Mais que je le veuille ou non, quelque chose m'intriguait fortement et je sentais que ces dithyrambes des critiques spécialisées ne tenaient pas du hasard. Et puis, si même les controversés Cahiers du Cinéma louangeaient le résultat, on ne pouvait que s'y intéresser davantage ! Voici donc Midsommar, le nouveau cru de Ari Aster, décidément réalisateur très en vogue en ce moment, qui accouche de son deuxième long-métrage après un Hérédité qui aura marqué les esprits. Ne l'ayant pas encore vu, je ne pourrais décemment en parler, mais croyez-moi que cette erreur sera vite réparée, bien que je doute fort que l'on puisse atteindre le niveau rencontré.
ATTENTION SPOILERS : Dani et Christian sont sur le point de se séparer quand la famille de Dani est touchée par une tragédie. Attristé par le deuil de la jeune femme, Christian ne peut se résoudre à la laisser seule et l’emmène avec lui et ses amis à un festival estival qui n’a lieu qu’une fois tous les 90 ans et se déroule dans un village suédois isolé. Mais ce qui commence comme des vacances insouciantes dans un pays où le soleil ne se couche pas va vite prendre une tournure beaucoup plus sinistre et inquiétante.
Certes, les excellents retours de ceux qui l'ont vu ont joué, l'expérience malsaine et étouffante scandée par nombre de spectateurs aussi. Le contexte du récit aux antipodes de la forêt sombre ou de la maison hantée a aussi grandement suscité mon appétence. Pourtant force est de dire que Midsommar n'a rien inventé dans sa trame scénaristique puisque, 46 ans avant, Robin Hardy nous contait dans son excellent The Wicker Man (Le Dieu d'Osier en français) les rites étranges d'une communauté en dehors de toute civilisation qui finiront par happer les malchanceux à avoir foulé leur sol. En 2006, Hollywood s'empressait d'en faire un remake devenu culte pour sa nullité, dont on se demande bien pourquoi le grand Nicolas Cage s'est empêtré dans un tel projet. Vraisemblablement, Ari Aster a voulu rendre hommage à ce film culte en signant un produit très personnel se déroulant ici aux confins de la Suède, dans un petit village perdu du nom de Harga. Oubliez les boîtes de nuit, les restaurants, bars branchés et même toute technologie ! Tout y est calme, paisible, sans réseau téléphonique et wifi.
Les hommes, femmes, vieillards et enfants vivent en harmonie avec la nature. Ils cultivent, pratiquent des rites païens axés sur la préservation de la nature et sa totale allégeance envers cette entité de laquelle toute vie a émergé.
Tout est calme, beaucoup trop calme et il ne faut pas être Stephen Hawking pour voir qu'il y a anguille sous roche dans tout ce cirque relaxant. Malgré tout, c'est une opportunité rêvée pour ces étudiants en anthropologie de sonder les us et coutumes de ce groupe en dehors du temps et de l'espace. Sollicités par un de leurs amis, nos compères sont conviés à ce festival ancestral ne se produisant qu'une fois tous les 90 ans. Pour nos héros des temps modernes, c'est une plongée dans un autre monde, dénué de toute valeur individualiste, consumériste et capitaliste. Il n'y a pas de système monétaire mis en place. Chacun vaque à sa propre tâche dans la plus complète sérénité. C'est aussi une occasion pour Dani et Christian de recoller les morceaux et aussi à elle de tenter de faire le deuil de l'assassinat de ses parents par sa soeur bipolaire qui s'est suicidée par la suite.
Il est vrai que l'on a connu mieux comme situation. Avec eux, un couple lui aussi invité par un ami de la communauté d'Harga. Dans un premier temps, tout semble pour le mieux. L'esprit de découverte prédomine, la curiosité aussi et l'intérêt de ceux qui veulent faire leur TFE sur cette collectivité. Malgré quelques petites perturbations et signes étranges, rien qui ne vaille de s'inquiéter. Pourtant, c'est bel et bien dans un engrenage malsain et sans retour qu'ils ont mis les pieds.
Derrière cette façade joyeuse, bienveillante et profondément humaniste, c'est avant tout la folie qui prédomine. Harga est le fief d'une secte chaotique aux pratiques rituelles et philosophiques particulièrement dangereuses. Aster nous confronte alors à la notion d'emprise sur des personnes psychologiquement fragiles et influençables, à l'instar de Pelle, leur ami, qui y a trouvé réconfort après la mort de ses parents. Il a trouvé en eux une nouvelle famille avec qui il a pu s'épanouir et reprendre goût à la vie. Tiens, tiens... Dani est aussi dans ce cas de figure ! Cette congrégation ne diffère en rien des sectes traditionnelles où il est bien difficile d'en ressortir et où les individus ont été suffisamment aliénés pour accepter d'être asservis dans la plus totale normalité.
Elle permet aussi aux individus d'exister, d'avoir un but commun, de se faire une place loin du monde tel que nous le connaissons et de goûter à un bonheur aussi factice soit-il, mais suffisamment malin pour combler la personne candidate. De tout le groupe, Dani sera la victime idéale de cette machinerie de manipulation savamment orchestrée. La notion d'anthropologie n'est pas à attribuer à la seule dimension scolaire de ces étudiants mais au village dans sa globalité où Aster s'évertue à décrire du mieux qu'il peut le plus de détails possibles à un point que le traitement en devient d'un saisissant réalisme.
En effet, inutile de rappeler les ravages des sectes depuis l'histoire de l'humanité sur le nombre de victimes qu'elles ont happées jusqu'à la mort. Il n'y a qu'à voir le suicide collectif de Jonestown par Jim Jones entraînant la mort de ses quelques 900 fidèles. Non sans aller jusqu'à fouler ce choix de narration, nous pouvons voir à quel point l'Homme peut avoir sa psyché exposée à toute sortes d'attaques pour peu qu'il soit plus fragile et sensible que la moyenne. Il montre que celui-ci peut aussi perdre son instinct de survie et le respect élémentaire à la vie humaine. Indéniablement, Midsommar frappe juste et là où il faut en parlant avec beaucoup d'intelligence de son sujet sans ne jamais sombrer dans le patho alors que l'affrontement face à la rupture amoureuse et la perte d'être(s) cher(s) auraient pu miner l'efficacité du film. Dani reste hantée par les fantômes du passé, l'exposant toujours plus à une aliénation totale subtilement mise en oeuvre par Pelle dont le rôle restera flou durant toute la continuité de l'histoire.
Est-il ami ou finalement ennemi ? Les a-t-il emmenés là juste pour le plaisir de dépaysement ou dans un but précis bien plus froid et cruel ? Je ne m'attarderai pas à développer davantage l'histoire car Midsommar est une oeuvre maligne qui doit se découvrir pleinement pour mieux être savourée.
Mais cette création unique est aussi un des rares exemples démontrant que ce type de cinéma n'a pas encore été entièrement soumis à la secte de l'horreur made in Hollywood. Certes, si Midsommar reprend la thématique revue de jeunes dans la vingtaine qui serviront de mets goûteux à une troupe de malades issus de temps anciens, il s'attache avant tout à rester dans l'esprit du film d'auteur. Il est bien dommage de voir qu'il a été maladroitement vendu comme un bête métrage d'horreur/épouvante mieux foutu que le panel d'oeuvres récentes car il vaut beaucoup plus que cette lamentable réduction. Le drame existentiel et le thriller austère sont ce qui le définirait le plus en priorité.
L'horreur ne se situe pas là où on le pensait. Elle fait surtout corps avec la réalité de la situation dans laquelle se trouve le groupe d'étudiants et ce qu'ils subiront. Ne vous attendez pas à de stupides screamers, des apparitions démoniaques ou que sais-je. Seul l'être difforme, fruit d'un inceste, et soumis à la rédaction du Rubirateur sacré sera l'exception. L'horreur suinte de la topologie idyllique des lieux en rupture complète avec les atrocités à venir. Autant dire que Midsommar n'euphémise pas son impact en travaillant avec minutie son atmosphère étouffante, anxiogène et d'une rare oppression. 90% des meurtres sont faits en hors-champ mais leur découverte fait froid dans le dos et tout ça sans artifice.
Sur ce coup, le film n'a pas usurpé sa mention "- 12 ans avec avertissement" car les séquences coup de poing se succèdent au rythme d'une ambiance devenant de plus en plus difficilement supportable. Le tout s'achevant dans un final cauchemardesque où nous ressortons de là complètement secoué par le sadisme et la perversité d'abord infinitésimaux pour virer dans la noirceur la plus totale. Une constatation amenant à poser un regard amer sur les torchons d'horreur made in Hollywood se succédant l'un à la suite de l'autre. De plus, une interrogation qui s'est posé dans l'esprit de plus d'un cinéphile fut la justification de sa durée de près de 2h30. Une longévité insensée pour certains mais qui s'est révélée payante puisqu'elle ne fait qu'amplifier l'analyse ontologique et nous plonger au coeur de cette confrérie psychopathique. Pour ne rien arranger, Aster ne s'est pas privé d'opter pour la carte de la mise en scène posée, jamais énervée, limite contemplative. Un choix qui fera office de sélection pour un public peu habituéà ce type de mise en scène qui risque de trouver le temps long.
Oui, le cinéaste ne se soumet pratiquement jamais aux tendances actuelles et ne s'embarrasse pas de vouloir plaire au plus grand nombre. Pour notre plus grand bonheur !
Et pour continuer de magnifier le tableau global, Aster ne s'est pas gêné d'effectuer aussi un énorme travail riche en symbolique sur l'esthétique du film, disons-le clairement, à tomber par terre. Tout est lumineux et aéré alors que la pression est écrasante. La nature y est déifiée par sa beauté immaculée. Les plans très larges sur l'environnement se succèdent et contribuent à faire planer le spectateur dans ces contrées enchantées, reliques d'un conte de fées morbide, prenant parfois les allures d'un jardin d'Eden dépravé. Les décors sont riches en couleurs et la reconstitution des mythes païens y est bluffante. Les fresques, dessins, tableaux et enluminures témoignent d'une érudition extraterrestre, pas seulement pour un cinéaste d'horreur mais pour un cinéaste de cinéma dans son entièreté.
Le travail sur les éclairages est aussi à mentionner et celle-ci est plus que jamais importante dans une région où le soleil ne se couche jamais. On apprécie ce contraste entre la terreur de la situation et la chaleur apaisante de l'environnement. Même si celui-ci est complètement ouvert, l'étreinte ne relâchera jamais nos étudiants malchanceux. Le spectateur n'a, du coup, aucune notion du temps sauf quand il voit les héros émerger de leur lit. La composition musicale est aussi admirable en tout point par le biais de mélodies folkloriques ou tout du moins narcotiques. Enfin, la palme de l'interprétation est à attribuer àFlorence Pugh campant à merveille cette Dani instable et à fleur de peau. Pour le reste, si le casting principal se débrouille bien, il ne peut supporter la comparaison. Citons Jack Reynor, William Jackson Harper, Will Poulter, Ellora Torchia et Archie Madekwe. Du côté de nos sectaires, Vilhelm Blomgren et Isabelle Grill relèvent le niveau des précédents.
C'est alors pétri d'effroi et complètement séduit par cette oeuvre expérimentale et inclassable que je ressortais avec quelques difficultés. Si le métrage n'a pas du tout été vendu comme tel mais plus comme quelque chose de générique, il dépasse sa réputation en s'imposant comme l'un des meilleurs produits vus depuis l'an 2000 d'un genre beaucoup trop codifié et limité dans ses inspirations. Voilà pourquoi je n'ai pu que m'empresser de me jeter, comblé, dans la rédaction d'une chronique que je n'aurais jamais imaginé aussi longue. Loin de toute once de banalité, il décrit avec une précision chirurgicale la mécanique d'embrigadement sectaire qui ne peut conduire qu'à la rupture de l'être et de son émancipation morale et existentielle. Il montre l'humanité dans ce qu'elle a de pire et nous renvoie cette tangibilité que ce genre d'événement existe encore de nos jours.
Il est tout de même triste en 2019 que le manque d'exigence du public et son acceptation du non professionnalisme de ce milieu soient tels qu'il en vient àêtre hystérique dès qu'une pellicule relevant considérablement la pathétique moyenne fait son entrée sur le marché. Bref, Ari Aster confirme tous les espoirs placés en lui en apportant une maturité inhabituelle à la situation du thriller horrifique, le complexifiant, se focalisant sur les dimensions de l'ambiance et de l'image trop souvent snobés et/ou sous-exploités par bon nombre. Un chef d'oeuvre actuel qui a tous les attributs pour devenir un futur film culte.
Note : 17/20