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Mamma Roma (Le tiers-monde, partie 2)

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Genre : Drame social

Année : 1962

Durée : 1h50

 

Synopsis :

Mamma Roma, une prostituée d’âge mûr, est libérée de son souteneur à l’occasion du mariage de celui-ci. Elle reprend alors avec elle son jeune fils qui ne sait rien de son ancienne condition, s’installe dans un quartier populaire de Rome et devient vendeuse sur un marché. Alors qu’elle nourrit des espoirs de réussite pour son fils, celui-ci commence à traîner avec les jeunes désoeuvrés du quartier.

 

La critique :

A l'instar de Koji Wakamatsu, Cinéma Choc se plonge depuis quelques temps sur une rétrospective dédiée à l'ensemble de la filmographie de l'un des réalisateurs transalpins les plus polémiques. Celui qui remporta autant le succès des foules que le rejet de la bourgeoisie bien-pensante. Celui qui asséna une véritable bombe à la face du monde en sortant dans la dernière année de sa vie l'une des oeuvres les plus scandaleuses de l'histoire du cinéma. Vous voyez de qui je veux parler sans avoir regardé la pochette ? Et vous avez raison car Pier Paolo Pasolini fait encore une fois son apparition pour votre plus grand bonheur, je n'en doute pas une seconde. Vous serez ravi de savoir qu'il n'y aura plus que 3 longs-métrages qui suivront avant que là aussi, il ne nous fasse ses adieux de l'actualité du site. Est-il encore nécessaire de disserter sur son cas qui n'est plus à présenter ?
Malheureusement, et au risque de me répéter, les profanes ont tendance à se focaliser essentiellement sur son Salo ou les 120 Jours de Sodome alors que le sieur a tellement plus à offrir que ça. Car non, il n'a pas toujours officié dans le registre de l'innommable, des tortures et de la scatophilie comme les regards ébahis ont pu contempler tout ce programme. Au contraire, son oeuvre testament est à situer à part dans son travail global quoi qu'on en dise.

Que soit, notre plongée ne se fit pas selon un ordre progressif en fonction des dates de sortie. Loin de là puisque nous referons un bond dans le temps pour parler de son deuxième film du nom de Mamma Roma. Sorti l'année suivante après un excellent premier coup d'essai qui fut Accattone, Pasolini continue sur sa lancée en se mouvant toujours dans le néo-réalisme italien. Courant qu'il ne fréquentera que très peu. Mais avant tout, Mamma Roma clôture son diptyque social sur la vie des banlieues défavorisées. Sujet qui intéressa grandement le cinéaste s'étant toujours revendiqué de gauche et nourrissant un certain mépris envers le capitalisme et les conséquences qui ont suivi dans la foulée de son avènement post-seconde Guerre Mondiale. Il est présentéà sa sortie à la Mostra de Venise et, à l'instar d'Accattone, il s'attira sur lui une mobilisation de dénigrements et de quolibets en tout genre tout en étant salué par la critique. Une plainte pour obscénités sera même lancée.
Plainte rejetée, sans surprise, comme infondée. Mieux encore, il est même considéré comme l'un de ses meilleurs travaux et comme un immanquable du néo-réalisme italien.

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ATTENTION SPOILERS : Mamma Roma, une prostituée d’âge mûr, est libérée de son souteneur à l’occasion du mariage de celui-ci. Elle reprend alors avec elle son jeune fils qui ne sait rien de son ancienne condition, s’installe dans un quartier populaire de Rome et devient vendeuse sur un marché. Alors qu’elle nourrit des espoirs de réussite pour son fils, celui-ci commence à traîner avec les jeunes désoeuvrés du quartier.

Impossible de ne pas distinguer les moult ressemblances entre Mamma Roma et Accattone tant ils sont complémentaires l'un de l'autre. Outre leur appartenance au courant susmentionné, il est aussi question du traitement du milieu de la prostitution sauf qu'il n'est plus question d'offrir la part belle au souteneur (toujours interprété par Franco Citti) mais à une prostituée libérée de sa piètre condition. Sur base de tout ceci, on pourrait le considérer presque comme une suite directe àAccattoneévoluant là-aussi dans un environnement austère, bastion du prolétariat, vite représenté lors de la première scène filmant un banquet en l'honneur du mariage, rappelant la Cène. Les décors vétustes, dénués de toute chaleur nous font prendre conscience de l'envergure du décor et de l'échec de la politique socio-économique du gouvernement italien. Malgré une forte croissance économique, les fractures sont tout à fait palpables. Les inégalités sont criantes et si les castes les plus aisées ont réussi à se trouver une place dans une nouvelle société montante, cela n'a pas été le cas des moins éduqués, des miséreux, condamnés à s'entasser dans des quartiers délabrés rappelant presque un no man's land.
A l'horreur du fascisme passé, a succédé l'horreur du consumérisme, des premiers balbutiements de la mondialisation. Le pouvoir politique est conscient de cela mais plutôt que d'arranger les choses, il cache cet amer constat jugé indésirable oùévoluent des laissés pour compte survivant tant bien que mal dans ce point de chute.

Dans un cas comme dans l'autre, il n'y a pas de cohabitation entre la bourgeoisie et le prolétariat. Une ségrégation sociale s'est faite durablement sous fond d'une expansion économique qui était censée apporter richesse et prospéritéà la nation. Ces restructurations de grande ampleur se sont révélées être un échec. Le chômage atteint de tristes records et n'épargne ni les générations vieillissantes, ni les nouvelles. Pour cette ex prostituée qui a réussi à s'arracher de son existence dépravée, son fils est son bien le plus précieux, celui pour lequel elle se crucifierait. Malgré son passé trouble marqué par la fatalité et l'échec, elle se refuse à ce qu'il devienne l'un de ces vagabonds passant leur temps à flâner en rue et à multiplier les vols pour les revendre à un commercant peu scrupuleux qui ne se soucie guère de la provenance de ces biens. La réalité est tout autre car son fils Ettore est le fruit de cette nouvelle génération précaire qui ne nourrit pas l'envie de la réussite et de l'émancipation de sa condiction actuelle.
Elle se complait dans la fainéantise, indirectement de sa volonté car trop ignorante pour s'élever, pour prendre conscience des opportunités de se hisser haut. Elle n'a tout simplement pas étéélevée comme cela, n'a pas eu la chance d'avoir les enseignements et les encouragements nécessaires.

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Il y a alors une responsabilité du gouvernement à prendre en compte car elle est un acteur de la perdition de tous ces adolescents vivant de larcins, ne voyant pas d'intérêt dans l'école mais étant trop fiers pour travailler. Ils perçoivent l'issue fatale qui les frapperont, ont conscience de l'omniprésence de la mort, de la tristesse et de la maladie dans ce monde inégalitaire et anarchiste. Tout repose sur Mamma Roma, honteuse de son parcours antérieur mais nourrissant une motivation sans pareille pour ne pas voir Ettore sombrer dans un destin inéluctable de souffrances. A la différence de son fils, elle veut conjurer la cruauté des moins aisés, s'extirper du malheur. Il y a donc un réel parfum sociologique émanant de Mamma Roma et qui renvoie à cette réalité courante des parents se démenant pour leurs enfants peu appliqués. Le cinéma vérité est ce qui caractérise au mieux ce récit comme le dira explicitement Pasolini, voyant en la vie d'une personne un film que la caméra n'a qu'à capter.
On reconnaît bien l'orientation gauchiste de l'oeuvre qui filme avec beaucoup de pudeur cette foule de désoeuvrés qu'il humanise, créant en nous une sympathie et un attachement à leur égard.

Ce principe de scénario ouvert rappelle certains titres prestigieux tels que La Dolce Vita et Les Nuits de Cabiria qui filmaient les errances de leur personnage principal dans l'Italie d'époque. Propos qui concernait encore une fois Accattone. Nous sommes ballotés d'un endroit à l'autre sans qu'une trame définie ne se crée, mais plutôt une succession de tristes tableaux sur le quotidien peu reluisant mais aussi vide des protagonistes. Mamma Roma fascine et s'il est toujours un peu compliqué de rentrer dans ce type de films, nous parvenons vite àêtre conquis par ces destinées se croisant, s'évitant, se disputant ou s'amusant. Le batifolage de Ettore avec une fille plus âgée l'ouvrant aux relations que peuvent entretenir les deux sexes, les parties de football se font dans l'insouciance.
De la laideur se dégage le beau, l'authentique, le témoignage de la misère ambiante. Cette authenticité expose alors les grandes gueules, les propos prosaïques et triviaux, les railleries, l'exhibition ou la paresse. Le film n'est pas un modèle de langage soutenu. En dehors de cela, nous sommes dans quelque chose à des années-lumière de Salo. L'oeuvre ici est très abordable, accessible à chacun sans choquer. Encore une fois, c'est très mal connaître Pasolini si l'on ne va pas plus loin que sa pellicule maudite.

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A nouveau, Pasolini reste dans le domaine du noir et blanc qu'il travaille à merveille, jouant intelligemment sur les contrastes. Avec une certaine attention, nous pouvons voir que les journées très ensoleillées sont en opposition totale avec la nuit très obscure, comme en attesteront les déambulations de Mamma Roma marchant en compagnie d'hommes différents l'un à la suite de l'autre, se confiant à eux. Une manière de voir en ces séquences une introspection de cette mère désespérée souhaitant lâcher tout ce qu'elle a sur le coeur ? De plus, aux plans très larges se substituent des gros plans sur les visages, captant l'émotion qui s'en dégage à l'instant T, comme s'ils s'offraient entièrement au cinéphile en lui traduisant leurs états d'âme. La composition musicale est orientée sur la musique classique de très bonne facture, mélancolique dans sa mélodie. Pour finir, on ne pourra qu'être comblé par l'excellente prestation de Anna Magnani semblant porter sur elle tout le poids du monde.
Ses expressions faciales, pouvant passer très vite du rire aux larmes, font mouche. On sera un peu plus pondéré sur Ettore Garofoloétant parfois un peu exaspérant. Franco Citti, cruellement absent, manque un peu. Le reste du casting est tout ce qu'il y a de plus correct entre Silvana Corsini, Luisa Loiano, Paolo Volponi, Luciano Gonini et Vittorio La Paglia. A noter que beaucoup de ces comédiens sont des amateurs.

Après une première oeuvre géniale en tout point, Pasolini revient avec érudition en faisant honneur à son aîné avec un Mamma Roma palpitant sur presque toute la durée. Le réalisateur n'en a pas eu fini avec le milieu qu'il a fréquenté autrefois en ne prenant plus un homme comme figure principale mais une femme. Dans un cas comme dans l'autre, les deux sexes sont touchés par les mêmes maux et n'ont pas plus de facilité. Bon, il est vrai que l'argent facile sera plus vite obtenu pour la demoiselle pouvant monnayer son corps en échange d'un précieux pécule. Certains se questionneront sur la présence dans les colonnes de Cinéma Choc de ce drame mais c'est minorer tout le chaos social d'une Italie qui a perdu sa splendeur, ne se retrouvant que dans les quartiers chics que ne fréquente plus la "plèbe". Le cachet "Pier Paolo Pasolini" est aussi une raison valable.
Une création démontrant l'engagement politique d'un véritable artisan qui ne s'est jamais conforméà quoi que ce soit et qui, toujours aujourd'hui, crée le débat. Le genre de figure transgressive qui manque en termes de quantité en 2020. Le tiers-monde occidental n'a pas fini de faire parler de lui.

 

Note : 16/20

 

 

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