Genre : Fantastique, épouvante, horreur
Année : 1961
Durée : 1h40
Synopsis :
A la fin du XIXème siècle, Miss Giddens, une jeune institutrice, est chargée d'éduquer Flora et Miles, deux enfants, dans un vieux manoir. Elle découvre bientôt que ces derniers sont tourmentés par les fantômes de deux personnes décédées quelque temps auparavant.
La critique :
Conscient qu'il faut varier les plaisirs afin d'éviter toute "japanophobie" cinématographique (les asiatiques prennent déjà un peu trop dans la figure ces temps-ci par l'intermédiaire des beaufs hystériques voyant dans le Coronavirus la fin des temps) et l'overdose de votre chroniqueur adoré, il est de bon ton de ne pas s'éterniser sur une seule nationalité. Ne jurer que par Hollywood ou le Japon, c'est le même combat à mes yeux. Descendre sottement l'épouvante et l'horreur comme beaucoup ont trop tendance à le faire est d'une profonde ineptie. Et si je ne suis pas un louangeur invétéré de ce petit monde (un comble pour un blog comme Cinéma Choc), je dois dire qu'hier soir j'avais envie de me plonger dans une ambiance ténébreuse. Le choix se porta sur une pellicule que j'avais honteusement oublié, à un point tel que je l'ai téléchargé une seconde fois, persuadé de ne pas encore l'avoir en stock.
C'est ça d'avoir 4 disques durs externes et deux PC remplis de films. Pourtant, elle végétait depuis plusieurs années sous une couche de poussières, n'attendant qu'àêtre visionnée. Sa redécouverte se fit dans un contexte amusant qui date déjà depuis un moment. Lors de ma rédaction du très beau Chaque Soir à Neuf Heures du cinéaste Jack Clayton, je fis la rencontre, par le biais des suggestions, de ce qui est considéré comme son grand chef d'oeuvre : Les Innocents. A la lecture du synopsis et des dithyrambes, l'obtenir était pour moi une évidence.
Mais malgré ce concert de plébiscites, Les Innocents est frappé par le sceau d'une faible notoriété, éclipsé par les grands classiques du style L'Exorciste et La Malédiction. C'est pourtant bien dommage de voir dans cette emprise hégémonique une batterie de pellicules d'un temps passé sombrer dans l'anonymat alors qu'elles ont tant à nous offrir. Savoir creuser et ne pas se contenter de la première couche du Septième Art apparaît presque comme une logique inaliénable pour tout cinéphile digne de ce nom. En l'occurrence, à sa sortie les critiques autant spécialisées que publiques exultent. Beaucoup soulignent l'excellence de la mise en scène et l'orientation onirique du fantastique, bien loin des poncifs récurrents du glauque et du cauchemardesque. Les Innocents s'enorgueillit de plusieurs récompenses et parvient à atteindre le statut de grand classique de cinéma d'épouvante. A elle seule, la pochette annonce la couleur. La tête de deux morts remplacés par de scintillantes flammes.
ATTENTION SPOILERS : A la fin du XIXème siècle, Miss Giddens, une jeune institutrice, est chargée d'éduquer Flora et Miles, deux enfants, dans un vieux manoir. Elle découvre bientôt que ces derniers sont tourmentés par les fantômes de deux personnes décédées quelque temps auparavant.
A tous ceux qui assimilent malencontreusement le cinéma d'horreur à une floppée de métrages peu ambitieux, qui ne racontent rien d'intéressant, permettez-moi de vous dire que vous faites fausse route depuis le début. Oui l'épouvante et l'intelligence peuvent cohabiter et peuvent même donner quelque chose de détonnant entre les mains d'un démiurge. Pourtant, on s'attend à une histoire plutôt rudimentaire en son genre, et c'est bien tout le contraire. Adapté de la nouvelle "La Tour d'Ecrou" de Henry James, Les Innocents font plus que faire honneur au matériau originel. Dès le début, le contexte suscite l'instabilité et l'oppression avec cette Miss Giddens débarquant seule dans un environnement qu'elle ne connaît pas avec des gens inconnus pour elle. Le ton est tout de suite donné car elle ne peut se rattacher à aucune chaîne. Le monde dans lequel elle a décidé d'y travailler est inconnu.
En d'autres termes, tout est là pour faire naître l'angoisse et le mal-être dans le coeur de cette institutrice. Des événements anodins, incertains qui se chargeront de ronger le tableau idyllique qu'elle croyait voir et qui n'est rien de plus qu'une toile de faux-semblants où, à la clarté du jour, la menace est prégnante. Miss Giddens finit par se rendre compte que ce gigantesque manoir est sous l'emprise de démons, soit les fantômes de personnes décédées qui ont travaillé en ces lieux.
Ces apparitions contrôlent ces deux enfants d'apparence joyeux et obéissants. Une façade cachant la force obscure qui engloutira progressivement l'institutrice de façon mentale. Clayton, à travers son récit, nous fait prendre conscience de l'incommunicabilité entre les générations. D'un côté, on a des enfants ayant une imagination débordante, acceptant les fantaisies les plus invraisemblables et de l'autre les adultes à l'esprit plus rationnel et cartésien. Deux modes de pensées qui ne peuvent correctement se compléter. Giddens est un produit qui ne comprend pas les enfants, ne parvient pas à pénétrer sainement dans leur imaginaire, préférant vociférer la folie qui règne au manoir.
Le rationnel entre en collision avec l'irrationnel. Nous le verrons fort bien lors de la séquence du lac où se profilera une silhouette féminine inquiétante. Giddens la verra, entrant presque en crise de panique, tandis que Flora ne verra rien. Cette métaphore démontre ouvertement que le fantasmagorique est intimement liéà la jeunesse. Il fait corps avec elle, se banalise dans son esprit au point qu'il n'y fait guère plus trop attention. Les Innocents va donc bien plus loin que les esprits méchants et pernicieux se plaisant à torturer les humains.
D'ailleurs, ces fantômes sont aux antipodes des clichés récurrents. Ils ne sont pas affreux ni grimaçants. Il flotte sur eux la tristesse, la solitude, la mélancolie. On ressent en eux le refus de quitter ce lieu qui les a jadis accueillis. Ils n'ont pas pour but d'agresser Miss Giddens qui leur semble être indifférente. Ils flânent dans les couloirs, le jardin, entrent en communication avec Flora et Miles sans ne jamais les blesser. On a là une approche à 1080 degrés de ce à quoi nous sommes habitués. A tous ceux qui recherchent de l'adrénaline et des sursauts, autant dire que vous pouvez directement passer à autre chose car Clayton ne cherche pas à terrifier le cinéphile. Tout se jouera dans l'ambiance, sans user de screamers, de sang ou de jumpscares. Un tour de force qui nous permet de nous évader totalement dans un autre monde sans que la réalité ne nous rattrape à un moment.
Vous connaissez tous ces films où il y a un événement fantastique/épouvante, puis on retombe sur 10 minutes de calme plat dans des décors basiques. Oui, effectivement, il n'y a de fantastique que ces passages qui ne sont guère nombreux. Ici, la constante fantasmatique est redoutable, nous faisant voguer vers d'autres horizons.
Je me permettrai de ratiociner davantage (non ce n'est pas une technique fourbe pour rallonger la chronique !) en vous parlant de toute la plastique du film qui est, vous l'aurez deviné, proprement époustouflante. Les Innocents est un régal visuel en la matière, une leçon artistique qui mature le cinéma horreur/épouvante. Le travail sur les contrastes, les éclairages, les clairs obscurs sont admirables. Les plans larges en extérieurs et plus serrés en intérieur font leur effet. Ce même manoir fourmille de pièces en tout genre, lui conférant un aspect de labyrinthe austère. Quoi de plus explicatif que ce grenier qui reste dans l'inconscient collectif une zone hostile. Au niveau de la trame sonore, on reste sur quelque chose de classique et efficace. Pour finir, on ne pourrait terminer tout ça sans parler de la superbe interprétation de Deborah Kerr qui campe un personnage fort et haut en couleurs.
Son regard effrayé ne risque pas d'être oublié de sitôt. Ce duo jeune et dynamique (deux mots qui resteront dans les annales de la présidence française) mené par Pamela Franklin et Martin Stephens n'en est qu'excellent. On nommera aussi Peter Wyngarde, Megs Jenkins, Michael Redgrave, Clytie Jessop et Isla Cameron.
Il ne faut pas avoir 180 de QI pour se rendre compte de toute la beauté de Les Innocents qui n'a pas usurpé sa réputation d'incontournable du Septième Art fantastique/épouvante/horreur. Au risque de me répéter, il ne faudra absolument pas s'attendre à passer une nuit blanche après le visionnage. Clayton a privilégié la mécanique de conte macabre où les journées très ensoleillées font place aux nuits les plus sinistres. De plus, ce ressenti de ne pas contrôler et expliquer ce qu'il se passe à l'écran ne peut que renforcer davantage le fantastique. Car qu'est-ce que serait le fantastique s'il pouvait s'expliquer ? Constamment, nous serons assaillis de doutes et ce n'est pas le final qui dira le contraire. Il est triste de réaliser que Les Innocents soit cantonnéà une lamentable confidentialité car il mériterait sans nul doute une place à la lumière du soleil plutôt que de se fondre dans l'obscurité d'une nuit sans lune.
Note : 16/20