Genre : Thriller, policier (interdit aux - 12 ans)
Année : 2007
Durée : 1h57
Synopsis :
New York, fin des années 80. Bobby est le jeune patron d'une boîte de nuit branchée appartenant aux Russes. Avec l'explosion du trafic de drogue, la mafia russe étend son influence sur le monde de la nuit.
Pour continuer son ascension, Bobby doit cacher ses liens avec sa famille. Seule sa petite amie, Amada est au courant : son frère, Joseph, et son père, Burt, sont des membres éminents de la police new-yorkaise. Chaque jour, l'affrontement entre la mafia russe et la police est de plus en plus violent, et face aux menaces qui pèsent contre sa famille Bobby va devoir choisir son camp.
La critique :
Le film policier (aussi appelé polar) ne date pas d'hier. En se plongeant dans la genèse du Septième Art, nous nous rendons très vite compte que, déjà dans les années 10, nous retrouvions quelques éléments du genre qui seront de plus en plus reconnus au fil du temps. Les années 20 marqueront le début des premiers grands succès mais ce sont véritablement les années 40 qui populariseront le polar via le cinéma américain, pouvant compter sur un casting solide et des cinéastes au sommet. Pour la petite information, on a tendance à attribuer la naissance du film de gangster àLes Nuits de Chicago (chroniqué sur le blog pour son importance historique).
Au fur et à mesure du temps, les Billy Wilder et autres Henry Hathaway ont laissé la place à d'autres thaumaturges à l'instar de Francis Ford Coppola qui a fait rêver le milieu cinéphile avec sa trilogie Le Parrain, Martin Scorsese qui sollicita les grâces de Robert De Niro dans Casino et Les Affranchis et David Fincher qui fascina les foules avec Seven et Zodiac entre autres. J'ai bien entendu choisi des réalisateurs très connus mais il y en a bien d'autres à avoir fait des incursions dans le genre. Mystic River de Clint Eastwood, Prisoners de Denis Villeneuve, Heat de Michael Mann et Memories Of Murder de Bong Joon-ho sont autant de grands classiques louangés par la critique.
Peut se rajouter, dans la danse, James Gray qui est loin d'être un inconnu. Homme patient, il n'a tournéà peine que 7 films en 26 ans. Est-ce pour autant une volonté de sa part ? Oui et non ! Il est vrai qu'il a toujours voulu prendre son temps pour bien cibler son sujet et agencer adroitement toutes les pièces du puzzle. Néanmoins, les américains n'apprécient guère son travail. Il n'a jamais eu de réel succès chez lui car il se démarquait de la production américaine, contrairement à l'Europe où sa reconnaissance est bien plus importante. Plus intellectuel et biberonné aux opéras russes, au néoréalisme italien et à la Nouvelle Vague française, il n'est pas un fervent adulateur d'action et de divertissement. Ce qui lui vaut d'être ostracisé de ses pairs et ce dès Little Odessa qu'il réalisa seulement à 25 ans.
Malgré ce snobisme, cela ne lui empêche pas d'avoir dans son casting des acteurs reconnus qu'ils soient Al Pacino, Mark Wahlberg, Joaquin Phoenix, Marion Cotillard, Gwyneth Paltrow, Charlize Theron ou Brad Pitt. Pour une première sur Cinéma Choc, l'honneur revient à son plus grand succès qui est La Nuit nous appartient, voyant le jour après de gros déboires parmi lesquels la perte de confiance des producteurs après ses deux premiers échecs successifs. Il aura fallu 7 ans depuis The Yards pour que son "dernier" cru de l'époque n'émerge.
ATTENTION SPOILERS : New York, fin des années 80. Bobby est le jeune patron d'une boîte de nuit branchée appartenant aux Russes. Avec l'explosion du trafic de drogue, la mafia russe étend son influence sur le monde de la nuit. Pour continuer son ascension, Bobby doit cacher ses liens avec sa famille. Seule sa petite amie, Amada est au courant : son frère, Joseph, et son père, Burt, sont des membres éminents de la police new-yorkaise. Chaque jour, l'affrontement entre la mafia russe et la police est de plus en plus violent, et face aux menaces qui pèsent contre sa famille Bobby va devoir choisir son camp.
Si succès il y a, il faut bien comprendre que c'est grâce, encore une fois, à l'aide européenne qui a fait grimper le taux d'audience, doublée de sa présence au célébrissime Festival de Cannes. Et il est bien malheureux de voir à quel point le rejet américain est non fondé, manichéen et disons le carrément imbécile. L'intrigue n'est pas sans rappeler les grands polars US où il est question de se plonger dans la mafia russe, très influente dans ces années-là dans le milieu de la drogue. Impitoyable, elle n'hésite pas à recourir au meurtre pour protéger ses intérêts. Gray donne le ton directement au début avec ses superbes (dans leur genre) images d'archives en noir et blanc.
Une mention après à ce slogan qui donnera le nom au titre de l'oeuvre : "La nuit nous appartient" qui est la devise de la police de New-York pour ceux qui ne savaient pas. La question est de savoir maintenant si cette phrase quelque peu présomptueuse n'est pas juste de la poudre aux yeux afin de renforcer via des artifices gros comme des éléphants l'aura de la police new-yorkaise. On serait tenté de répondre par l'affirmation quand nous remarquons que l'autorité est sévèrement malmenée par les caïds russes qui ne la craignent pas. On ne compte plus le nombre de policiers abattus en service pour s'être frotté d'un peu trop près à leur folie. "La nuit nous appartient" n'a jamais semblé aussi peu crédible. Les russes n'ont-ils pas une plus grande légitimitéà porter cette couronne ?
Au milieu de cette poudrière évolue Bobby Green, gérant d'une boîte de nuit à la mode appartenant aux russes envers lesquels il est totalement affilié. Il a trouvé en le patriarche un second père avec qui il fait affaire et monte des investissements. Deux mondes s'affrontent au sein d'une même famille. Le monde de la nuit qu'incarne Bobby où s'accumulent prise de drogues et débauche et le monde de la loi que représente Joseph, son frère, qui a été promu dans la police aux côtés de son père. L'entente n'est pas au beau fixe. Son frère et son père ne voient pas d'un bon oeil le boulot de Bobby qui prend ses distances, jouant du sarcasme et de sourires narquois auprès des gens de sa famille qui ne l'acceptent pas tel qu'il est. Malheureusement, son luxueux établissement se retrouve en dehors de la loi puisqu'un important baron de la drogue y écoule sa marchandise. Gray va se lancer dans un pari pour le moins surprenant. Au lieu de se centrer dans une analyse presque documentaire du milieu de la pègre comme l'aurait fait un Scorsese, il va focaliser son attention sur les liens familiaux, les rapports inter-individuels, les confrontations de personnes qui ne se comprennent pas.
Car La Nuit nous appartient est une analyse autant sociologique qu'anthropologique d'une famille désintégrée où chacun campe sur ses positions, est persuadé d'être dans le bon.
Un père d'un autre temps dont les remords de ne pas avoir été plus sévère avec sa progéniture sont toujours prégnants mais surtout un enfant policier respectable que son père préfère et un autre plus marginal qui est tancé (à juste raison ou non, vous déciderez). Les liens du sang seront-ils plus forts que le sens des affaires, l'hédonisme dans lequel est vautréà chaque instant Bobby ? Les critiques n'ont pas manqué de souligner le côté shakespearien parfois un peu trop obscène. Gray n'a jamais caché son extatisme pour l'oeuvre de Shakespeare mais nous sommes tentés de dire que les propos tenus sont trop sévères. Car La Nuit nous appartient s'assume pleinement comme une tragédie dont chaque acteur n'a aucune emprise sur sa vie et prend des décisions qui ne sont jamais entièrement bonnes.
L'objectif étant de limiter la casse car c'est de ça dont il s'agit quand nous sommes en marge de la société. Les dilemmes incessants se construisent dans l'esprit de Bobby qui doit choisir entre sa fierté et son devoir pour une famille qui le réprouve. Difficile que de ne pas être touché par cela.
D'autres reprocheront un dénouement brutal à la gloire de la police dont chaque rouage est présenté comme héroïque. Cependant, dur d'être convaincu quand on voit le pessimisme sous-jacent glacial qui a tôt fait de balayer un optimisme qui n'était rien d'autre qu'un faux-semblant. Seulement, en dépit de ses indiscutables qualités, La Nuit nous appartient nous laisse un très léger goût amer en bouche. A force de trop s'auto-centrer sur Bobby et sa famille, Gray nous empêche de plonger totalement dans la mafia. Secundo, nous aurions aimé assister à son ascension plutôt que de débarquer comme des chiens dans un jeu de quilles. Quitte à gonfler de 30 min supplémentaires, ça aurait pu être un choix payant, surtout en gardant la même intensité palpable qui nous empêche de nous ennuyer à chaque instant. Les quasi 2h passent à vitesse grand V en pouvant compter sur de solides séquences à l'instar de la toute première scène très torride entre Bobby et sa copine ou de la poursuite en voiture par temps de pluie absolument saisissante en son genre.
Enfin, finaliser ce billet sans traiter de toute la question technique serait une pure infamie quand on connaît les références du cinéaste. Références qui ressortent bien, notamment celles du néoréalisme italien filmant le luxueux de la boîte de nuit. Cela rappelle directement le travail de Luchino Visconti. Le fait de magnifier avec autant d'insolence que de pudeur Amada, la copine de Bobby, renvoie aux travaux de Federico Fellini et surtout de Michelangelo Antonioni dont son très bon cru Blow-Up a sans doute dû l'inspirer. Gray se permettra même l'audace de renâcler du côté du chanbara dans la séquence se déroulant dans les hautes herbes, nous faisant songer àRébellion de Kobayashi. La composition musicale plaira sans nul doute à tout un chacun en alternant autant l'oppressant que le festif dans lequel les grands classiques de Blondie font danser la foule. Pour finir, on saluera le casting d'excellente facture à commencer par un Joaquin Phoenix toujours aussi charismatique. La sensuelle Eva Mendes titillera certainement la libido d'un bon nombre d'hommes (surtout en cette période de confinement).
Le duo Mark Wahlberg et Robert Duvall en policiers sont tout à fait crédibles. Alex Veadov et Oleg Taktarov ont la gueule de l'emploi pour des truands. On citera aussi Danny Hoch, Dominic Colon, Joe D'Onofrio, Elena Solovey, Moni Moshonov et Maggie Kiley.
Une petite bouffée d'air frais au milieu de mes rétrospectives assez limitées nationalement fait toujours plaisir, surtout quand on est face à un grand film mésestimé dans ses contrées originelles. C'est pourtant bien dommage car Gray réactualise la pensée du cinéma de jadis pour l'adapter à son époque. Le Parrainétant une flagrante inspiration. Sans à aucun moment dénigrer le travail exemplaire de Martin Scorsese et autres David Fincher, La Nuit nous appartient se révèle plus profond dans ses intentions. Paradoxalement, il ne parvient malheureusement pas à se hisser à leur hauteur car il fait l'impasse sur des thématiques cruciales pour pouvoir s'auréoler du titre de chef d'oeuvre.
Mais rassurez-vous, La Nuit nous appartient a suffisamment d'arguments probants pour être plus que recommandable afin de passer une bonne soirée qui vous appartiendra à vous et vous seul, loin des conflits urbains pour qui la lune n'appartient à personne.
Note : 15/20