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Réveil dans la Terreur (Chef un petit verre on a soif !)

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Genre : Thriller, drame (interdit aux - 12 ans)

Année : 1971

Durée : 1h54

 

Synopsis : 

John Grant, un jeune instituteur, fait escale dans une petite ville minière de Bundayabba avant de partir en vacances à Sydney. Le soir, il joue son argent et se soûle. Ce qui devait être l'affaire d'une nuit s'étend sur plusieurs jours.

 

La critique :

Malgré mon cantonnement au Japon, à l'Italie et à la Corée du Sud depuis maintenant plusieurs semaines, je n'oublie pas de voguer vers d'autres horizons en chronique. Et par ce triste été, le premier d'une nouvelle décennie, ravagé par une saloperie nommée Covid-19, où nous devons tous subir un tas de mesures plus que contraignantes (du moins pour ceux qui ont la chance de ne pas être sous respirateur ou pire), je me disais que partir loin, très loin un moment en cinéma ne serait pas déplaisant. Sauf erreur de ma part, je ne m'étais encore jamais essayéà la rédaction d'un film issu de ce lointain pays-continent qui est l'Australie. Pays des kangourous, d'un désert central inhabitable, d'araignées de la taille d'un camion, de serpents farceurs dans les cuvettes de WC ou d'alligators malicieux venant faire leur shopping dans les magasins d'alimentation. Ce n'est peut-être pas le plus accueillant au niveau de son écosystème qui est pourtant l'un des plus riches du monde mais on ne peut rester insensible à la beauté de ses espaces et sa position lointaine qui appartenait jadis aux aborigènes avant que les Européens colonisateurs ne viennent foutre la merde comme ils en avaient le secret à l'époque des colonies.
Mais je dévie ! Le cinéma australien parle, à première vue, moins aux profanes si on se contente de le citer comme ceci mais c'est oublier que des grands classiques ont émergé de ces terres au cours des décennies.

Des titres comme Mad Max, Pique-nique à Hanging Rock ou encore Babe, le cochon devenu berger (bien qu'il s'agisse d'une co-production) sont des pellicules reconnues à l'échelle internationale. Côté horreur, on pensera indéniablement àWolf Creek et sa suite qui se sont forgés eux aussi une belle réputation. Seulement, Cinéma Choc ne s'était pas encore penché sur un candidat de choix, et même un très sérieux client ayant marqué au fer rouge ceux qui se sont décidés à le voir. Moins connu du grand public, il jouit pourtant d'une réputation d'oeuvre culte avec un succès critique triomphal à la clef. Ce film, vous l'avez devant vous et il s'agit de Réveil dans la Terreur, signéTed Kotcheff que les adulateurs de la franchise Rambo doivent louanger vu qu'il a signé le premier opus, reconnu comme le meilleur. Pourtant, nous sommes passés de très près d'avoir perdu à jamais ce long-métrage. Présentéà Cannes en 1971, il sera égaré pendant des années avant qu'un négatif ne soit retrouvé au fond d'un container d'un studio de Pittsburgh en 2002.
Une mention "à détruire" y était inscrite. On est passéà deux doigts de la catastrophe. Sauvé in extremis, il sera restauré avant d'être projetéà nouveau à Cannes et bénéficier d'une ressortie en France en 2014. Ca ne date pas d'il y a si longtemps. 

 

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ATTENTION SPOILERS : John Grant, un jeune instituteur, fait escale dans une petite ville minière de Bundayabba avant de partir en vacances à Sydney. Le soir, il joue son argent et se soûle. Ce qui devait être l'affaire d'une nuit s'étend sur plusieurs jours.

Les qualificatifs ne manquent pas pour désigner Réveil dans la Terreur que l'on situe à la frontière entre la comédie satirique, le drame social et le thriller psychologique. Catalogué comme oeuvre dérangeante, Nick Cave le décrira comme le film le plus terrifiant jamais réalisé sur l'Australie. Après être arrivé au générique de fin, on aurait bien du mal à lui donner tort vu ce à quoi l'on a assisté. Pourtant, tout démarre dans l'innocence la plus complète avec un jeune instituteur issu de la petite bourgade de Timboonda désireux de rejoindre Sydney pour y passer ses vacances. Son escale à Bundayabba qui n'était censée durer qu'une nuit laisse entrevoir une petite ville minière enjouée où les hommes se saoulent dans des tripots sordides et font des paris indécents sur un jeu de pile ou face.
L'ambiance burlesque, un peu (beaucoup) beauf suinte par tous les pores de ces habitations mouillées de la sueur des mâles qui y règnent en despote, tandis que le sexe féminin, en sous-nombre, est réduit à rester au domicile, attendant que le mari ne rentre émêché de sa soirée. Malgré le calme apparent qui y règne, la bonne entente entre tous, un malaise inextinguible flotte. Cette perturbation sensorielle ne sera que le prélude à une plongée en plein cauchemar éveillé, voyant les errances d'un jeune instituteur imbu de sa personne sombrer dans la neurasthénie mentale. 

Pour Kotcheff, Réveil dans la Terreur est un coup de semonce envers le pouvoir australien qu'il cible dès le départ avec une étrange éducation nationale où il s'agit pour Grant de payer une grosse somme d'argent afin de devenir instituteur. Les moyens financiers ont remplacé les diplômes pour cultiver nos chères têtes blondes dans cette Timboonda qui l'étouffe au plus haut point. C'est l'été et qui dit été en Australie dit souvent températures caniculaires. Bundayabba, dans cette chaleur insupportable, va être représentée comme un authentique enfer moral qui va engloutir Grant, piégé bien malgré lui dans une ambiance où on se saoule du matin au soir, où la rareté de l'eau l'oblige àêtre utilisée prioritairement pour se laver. Cette vie qui s'apparente plus à de la survie ne semble être qu'une lointaine problématique pour l'Australie des côtes qui ne se soucie pas de l'outback aride.
Une cassure civilisationnelle par excellence avec deux zones différentes et deux populations bien distinctes. Et de cette nature asséchée se réveille la bestialité de l'être humain dont les nerfs sont mis à rude épreuve. Une horreur pour Grant qui a toujours méprisé ces cul-terreux frustres dont il juge l'intellectuel paresseux et bestial. Indépendamment de sa volonté, Bundayabba le changera et pas en bien, loin de là.

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Persuadé depuis toujours d'être une élite, ce masque qu'il s'est construit va s'éroder au cours du temps. Être lettré ou analphabète ne change rien, là-bas le médecin comme le manuel exposent leur virilité transpirante, descendant des hectolitres de bière avec une aisance qui en ferait tourner de l'oeil à plus d'un baptiséétudiant comme moi. Bon après, leur pisse de vache ne vaut pas nos bonnes bières belges ! Et si les institutions publiques et bâtiments représentent bien ce que nous nous faisons d'une civilisation, sa substance intérieure en est bien loin. Exposés à la nature sauvage, ces natifs en sont revenus à leurs instincts grégaires. Tout ce qui se rapporte au travail est éludé, ou du moins peu mis en valeur. L'argent ne semble pas avoir de réelle valeur.
Bundayabba semble évoluer sur un espace-temps décalé par rapport à l'Australie même. Ils n'attendent rien de la vie, ni ne placent d'espoir dans le futur ou ne montent de projets. Leur unique raison d'être étant de participer à cet authentique suicide collectif et festif. L'atmosphère élitiste que recherchait Grant semble bien bien loin et influencé par les autres, son véritable moi interne va se réveiller. Lui aussi se vautrera dans la profusion alcoolique, de bacchanales torturées et de combats hargneux. Il a laissé la bête qui sommeillait en lui s'éveiller en devenant citoyen à part entière de la ville.

Et nous en arriverons à ce passage qui a déchaîné les passions, a horrifié les cinéphiles qui s'y sont essayés. Kotcheff désirait à tout prix adopter un ton de documentaire ethnographique. Cette chasse au kangourou en sera le point culminant puisqu'il n'y aura pas le moindre trucage sur ce que vous verrez. Suivant un groupe de chasseurs, caméra fixée à l'avant du pick-up, nous sommes témoins de l'innommable. Des kangourous percutés de plein fouet par le parechoc, abattus pour le fun au fusil de chasse. La bière coulant toujours, ceux-ci dans leur escapade nocturne se battront complètement bourrés au corps-à-corps avec ces majestueuses bêtes. Les images que Kotcheff rapportent sont si violentes qu'il doit en supprimer une grande partie du contenu. Mais même avec ce que l'on a là, le tout estourbit durablement les persistances rétiniennes. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les autorités australiennes voteront une loi instaurant des quotas de chasse peu après la sortie tant la barbarie qui en ressortait interpellait. Et à l'instar de Grant, nous sommes là suffocants devant une telle débauche de violence gratuite. Pour lui, tout est déjà perdu vu qu'il en massacrera sauvagement un dans une lutte presque à mort.
La caméra s'attardant sur son visage déformé par l'ivresse laisse à penser qu'il a embrassé les bras de la démence.

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Cette période charnière sera celle qui scellera sa destinée. Il a fini par comprendre qu'il fait partie du même monde poisseux et malodorant que ces gens qu'il répudiait. Ce réveil lui a fait réaliser que le caractère évolué de l'Homme est bien peu de chose et que son esprit est plus que jamais malléable à la malignité. Il est redescendu au rang de bête enragée. Tel est le constat qu'il tirera de ces vacances à la fois teintées d'une satisfaction qu'il ne peut réfréner et d'une amertume qui l'a fait redescendre de quelques étages. Indéniablement, Réveil dans la Terreur met mal à l'aise le cinéphile et face aussi aux rudes conditions de tournage pour coller au plus près de la réalité.
L'acteur qui joue le rôle du shérif a insisté pour s'occuper de l'alcool au point que chaque jour de tournage les voyait saouls. Vous rajoutez une température environnante de 50 degrés pour mieux faire cuire le casting et vous avez déjà des conditions palpitantes pour jouer. Et juste histoire de jouer au sadique, on put voir l'intrusion volontaire de cartons remplis de mouche que Kotcheff ouvrait avant les prises afin que leur omniprésence influe sur le jeu des protagonistes. 

Même pour ce qui est de l'esthétique, le réalisateur utilisera des méthodes draconiennes par l'emploi de sprays remplis de poussière rouge pour recouvrir un peu tout et n'importe quoi, avec parcimonie nonobstant, dont les vêtements et la peau des acteurs. Cette saturation de teintes rouges, oranges et jaunes amplifie le tout au point que Réveil dans la Terreur pourrait se comparer à une véritable usine thermique. L'impression de devoir mettre de la crème protection 70° cogitant dans notre esprit. Un véritable dégoût s'empare de nous devant cette thermogenèse ambulante. La caméra se faufile entre les rangées de personnes mais face à une telle déferlante, elle ne peut s'empêcher de se coller à eux. Et aspect documentaire oblige, on se délectera, si on veut, de ces étendues brûlantes à perte de vue, de ces bâtisses typiques de la campagne profonde.
Le son en est tout aussi agréable pour les tympans. Et enfin, on saluera le courage, la ténacité et la persévérance des acteurs à commencer par un Gary Bond impeccable en instituteur dépassé par ce monde qu'il ne connaissait pas. Tous au casting peuvent se targuer d'être de vraies gueules dont le rôle semble avoir été créé sur mesure pour eux. Il se composera de Donald Pleasence, Chips Rafferty, Sylvia Kay, Jack Thompson, Peter Whittle, Al Thomas et John Meillon. La quasi-totalitéétant des hommes pour mieux souligner la problématique démographique de l'outback. A noter que Kotcheff en aura bavé pour en solliciter, beaucoup rechignant devant des prestations trop extrêmes pour eux. Ils s'en mordront les doigts. 

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Réveil dans la Terreur n'est pas un film que l'on va aimer au sens littéral du terme. On ressort de là l'impression d'être sali devant cette couche de crasse et leur transpiration qui cohabitent à merveille ensemble. On sent aussi le vent chaud australien flottant dans ces décors très aérés qui, paradoxalement, oppressent plus qu'autre chose. On se sent aussi sali devant la morale douteuse de ces gars qui sont dénués de tout respect envers la gente féminine et la faune locale. Pour Kotcheff, c'est un véritable cri d'alerte qu'il lance en filmant cette population de laissés pour compte. Qui aurait cru qu'un bouquin devenu best-seller en Australie et inscrit au programme de cette Education Nationale tant décriée allait être adapté en film et ce dans le respect le plus strict du matériau d'origine ?
Le film le plus terrifiant sur la vie en Australie ? Très certainement et pas besoin de sexe, de gore et de trash pour en arriver à ce postulat. Réveil dans la Terreur est nettement plus cérébral sur la question. Il ne fait aucun doute qu'il n'a en aucun cas usurpé sa réputation de long-métrage radical, choquant, âpre, virulent et d'une violence psychologique presque inouïe. Un poids lourd que l'on évitera de mettre entre les âmes les plus sensibles. "Puisses-tu rêver du diable et t’éveiller dans la terreur", phrase extraite de la préface du livre qu'accomplira Ted Kotcheff.

 

Note : 17/20

 

 

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