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Le Marteau des Sorcières (Allumer le feu et faire danser le diable et les dieux)

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Genre : Drame, thriller

Année : 1970

Durée : 1h47

 

Synopsis :

Au XVIIème siècle, dans un petit village morave, une vieille femme, superstitieuse et sotte, lors de la messe dominicale, garde une hostie pour la vache malade d'une voisine. La dissimulation ayant été observée par un enfant de choeur, elle est arrêtée et, sous la férule de la stupide comtesse du coin, accusée de sorcellerie. C'est le début d'un mortel engrenage, dans lequel tout le monde dénonce tout le monde, sous la douleur des tortures et le sadisme arrogant de l'inquisiteur.

 

La critique :

Ce n'est plus un secret pour les trois fidèles qui nous suivent. Cinéma Choc a toujours affectionné les oeuvres rarissimes qui étaient en accord avec ses critères de sélection. Une petite aubaine pour celles-ci qui peuvent s'enorgueillir d'avoir la petite lumière du site braqués sur elles. Et quoi de mieux justement que de se jeter de temps en temps dans la case de ces petites choses méconnues d'un (trop) grand nombre. En ces temps d'interminables rétrospectives, il est de bon ton de contraster avec cette tonalité pour vous faire voyager ailleurs. Autant couper court, nous n'irons pas voguer à nouveau sur le continent africain comme ce fut dernièrement le cas mais bien dans une zone d'Europe centrale qui a suscité nos ferveurs à plus d'une reprise. Actuellement disparue, la Tchécoslovaquie est parvenue à imposer une trace durable dans le paysage cinématographique, en dépit d'une censure de masse du pouvoir communiste qui s'en prenait à tous les films osant s'éloigner du carcan réaliste tant scandé par l'intelligentsia politique. Cette passionnante Nouvelle Vague tchécoslovaque n'aura su exprimer sa soif de liberté que durant une courte durée précédant l'entrée des chars du Pacte de Varsovie, rétablissant ainsi la dictature qui amènera au processus de "Normalisation". Nombre de films sont frappés d'interdiction, tandis que certains ne se firent connaître que dans la plus honteuse clandestinité. La désillusion des nouveaux réalisateurs fut une amère réalité. 

Je ne passerai pas en revue tous les longs-métrages de cette période que j'ai chroniqué mais j'ai l'impression que tout ceux-ci ont eu de sérieuses emmerdes avec le pouvoir. L'Oreille en fut justement un triste exemple mais aussi Images du vieux monde et Mère Jeanne des Anges pour ne citer que ceux dont je me rappelle. Cependant, dans le cas présent, vous m'excuserez de ne pas savoir trop en dire au vu des maigres informations disponibles sur la Toile française concernant le très percutant Le Marteau des Sorcières, réalisé par Otakar Vavra, ayant rendu son dernier souffle à tout juste 100 ans. Ce qui ne vous étonnera pas est que son exploitation française est inexistante et qu'il faudra encore compter sur le support anglais pour y goûter. Comme quoi, il n'y a pas que le Japon qui souffre.
Tiré du roman historique éponyme de Vaclav Kaplicky, il est, selon certaines sources, un miraculé qui fut tourné juste avant que la censure étatique n'amorce le protocole des grandes purges artistiques. On ne sera pas étonné qu'il aurait été impensable qu'une telle création aussi bouillonnante ne soit tolérée dans le Septième Art férocement bridé de la dictature rouge. On a finalement échappé de peu au désastre.

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ATTENTION SPOILERS : Au XVIIème siècle, dans un petit village morave, une vieille femme, superstitieuse et sotte, lors de la messe dominicale, garde une hostie pour la vache malade d'une voisine. La dissimulation ayant été observée par un enfant de choeur, elle est arrêtée et, sous la férule de la stupide comtesse du coin, accusée de sorcellerie. C'est le début d'un mortel engrenage, dans lequel tout le monde dénonce tout le monde, sous la douleur des tortures et le sadisme arrogant de l'inquisiteur.

Il est vrai qu'un tel récit ne s'accordera pas avec toutes les règles de bienséance mises en place. En ces temps, deux films qui sont La Marque du Diable et Le Grand Inquisiteur ont su traiter avec plus ou moins de professionnalisme la face sombre de la religion catholique d'antan qui recourait à la torture via les condamnations d'inquisiteurs assermentés pour faire parler les personnes soupçonnées de sorcellerie. La sentence classique étant généralement la mort sur le bûcher. Ce régime de terreur que l'on pourrait ni plus ni moins assimiler qu'à une dictature idéologique qui obligeait tous les humains à adhérer au catholicisme va prendre place en Moravie. Dans ce petit village sans histoires, l'intervention d'une vieille femme volant une hostie pour la donner à une vache qui ne produit plus de lait va mettre le feu aux poudres. Prise en flagrant délit, la honte s'abat sur elle.
Telle une bête lâchée dans un enclos, elle est à la merci de la comtesse entourée des ecclésiastes qui craignent que des actes blasphématoires circulent en douce dans ces contrées. La chose à faire est de procéder à un grand nettoyage en ramenant un inquisiteur réputé pour remédier à tout ça. Ses méthodes aussi expéditives que dérangeantes traduisent l'horreur de l'obscurantisme religieux en ces temps troubles. Aussi étonnant que cela puisse paraître, Vavra va carrément puiser dans les archives de l'Inquisition afin de renforcer l'authenticité du film.

Mais ce que l'on pensait être une simple affaire sans grande envergure va commencer à atteindre des proportions telles que les hommes d'églises locaux finiront par s'inquiéter des dérives de l'inquisiteur Boblig qui n'est pas celui qu'il laisse paraître. Vavra va s'en donner à coeur joie en semonçant toutes les incohérences, la perfidie et l'hypocrisie de ces hommes de Dieu qui sont, en réalité, encore pires que ceux qu'ils condamnent. Représentés comme des êtres grandiloquents, leur comportement lors des repas traduit une absence totale des règles élémentaires de savoir-vivre. C'est bien simple, ce sont de véritables beaufs. Boblig, sous son apparat de croyant, va se révéler jaloux et envieux, désireux de s'accaparer les richesses d'autrui, profanant les commandements sacrés sur la question de la richesse. Ces croyants n'en sont pas et ont choisi de détourner volontairement les préceptes catholiques pour se forger une puissance autoritaire qui fait que quiconque protestera sera amenéàêtre arrêté et traduit devant eux. Encore une fois, toute la mécanique des dictatures passées et présentes s'y retrouve. 

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Et comme il fallait s'y attendre, pris d'une folie sadique, l'engrenage va happer une grande quantité de femmes, souvent de physique séduisant, ce qui n'était pas bien vu au Moyen-Âge, du fait que cette génétique miraculeuse soit associée à la tentation. Emprisonnées dans des cellules insalubres, elles se retrouvent à la merci de leurs bourreaux. Vous rappelez vous du très brillant L'Aveu de Costa-Gavras ? On sera témoin d'un modus operandi similaire. A force de recourir à la violence et à la torture, l'accusé(e) finit par avouer n'importe quoi pour ne plus souffrir et ainsi se voir accorder le pardon du Christ. Le souhait d'accéder au repos éternel surpasse la volonté de faire éclater la vérité et de conserver sa dignité sur Terre. Cette procédure machiavélique qui aliène les foules jusqu'à ce qu'elles répètent mot pour mot ce que leurs bourreaux leur ont dit trouve son origine dans le Malleus Maleficarum : un bouquin daté du XVème siècle qui décrivait comment il fallait lutter contre la sorcellerie et obtenir des aveux afin de constituer un procès en "bonne et due forme".
Ce torchon n'étant qu'un outil pour manipuler la psyché valétudinaire des innocents afin de conforter ce tribunal sanglant dans ses opinions obtuses.

Quiconque osera s'opposer à eux subira leur courroux. Pour les capturés, leur unique issue n'est ni plus ni moins que la mort. Acceptez de reconnaître les faits sous la torture et vous serez désignés coupable. A l'inverse, niez tout en bloc et vous serez accusé d'avoir en vous la puissance du Malin qui vous fait résister à la douleur... et donc vous êtes aussi coupable. Les persécutions sur la population se mueront en une impitoyable traque sur tous les ennemis qui se dresseront en travers de la route de Boblig, clergé y compris. Le Marteau des Sorcières est d'une radicalité sans pareille, au point que se développe en nous un sentiment de révolte face à une telle injustice. Sans arriver à la violence graphique de La Marque du Diable, gageons de dire que Vavra n'y a pas été de main morte en larguant ça et là quelques séquences bien senties pour l'époque.
Les aficionados pourront être ravis des mauvais traitements effectués sur les pouces et l'entièreté des jambes via des machines absurdes issues de l'originalité sadique de l'Homme. La traditionnelle roue de torture sera aux abonnés présente. Cependant, elles seront plutôt rares et davantage suggérées. Ce qui n'enlève rien au dérangement. Mentionnons que le rythme tient bien en laisse le cinéphile au travers de 107 minutes s'il accepte la VOSTA.

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On ne le sait parfois pas toujours mais il y a souvent eu un grand intérêt de la NV tchécoslovaque pour les composantes artistiques et visuelles. Ce dont nous en aurons encore la preuve ici avec, d'une part, un noir et blanc magnifique et, d'autre part, une dextérité de caméra nous offrant moult plans à nous rincer l'oeil. Les images parlent d'elles-mêmes, mettant Le Marteau des Sorcières dans le haut du panier. On soupçonne aussi des moyens financiers importants pour aboutir à une aussi belle retranscription de la Moravie du XVIIème siècle. Par contre, la bande son est assez discrète, l'on y fait à peine attention. Et pour clôturer le tout, nous saluerons une direction d'acteurs globalement de bonne facture avec, au menu, Vladimir Smeral parfait en ignoble inquisiteur, Elo Romancik, Jozef Kemr, Sona Valentová, Blanka Waleská, Lola Skrbková, Jirina Stepnicková, Eduard Cupák et Martin Ruzek.

C'est avec une satisfaction qu'il m'est impossible de dissimuler que je continue sur une lancée très positive dans ma section des chroniques portant sur la Nouvelle Vague tchécoslovaque. Décidément, on ne peut récuser la qualité formelle des pellicules de cette époque et des diverses Nouvelle Vague qui ont éclaté aux quatre coins du monde. Paradoxalement, il est désespérant de voir le nombre astronomique de ces victimes cantonnées à l'anonymat. Le Marteau des Sorcières est parmi celles-ci, éclipsées par les longs-métrages anglophones de son temps. Et pourtant, elle les surpasse en grandeur et en intelligence sans trop forcer. Aussi beau que perturbant, Vavra fait de l'inquisition moravienne une parabole sur tous les systèmes totalitaires, dont le communisme stalinien, reposant sur la délation, la torture jusqu'à cette fameuse autocritique influencée par la douleur innommable.
Le Marteau des Sorcières peut se targuer d'être un virulent réquisitoire sur l'emprise de la religion et sa face obscure qui a causé des millions de morts à travers les âges. Et ce n'est malheureusement pas près de se terminer... en 2020.

 

Note : 15,5/20

 

orange-mecanique Taratata

 


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