Genre : Drame social
Année : 1965
Durée : 1h30
Synopsis :
Devenu assassin pour venger Shoko, la femme qu'il aime en secret, Wakizaka doit accepter le marché que lui propose l'unique témoin du meurtre, un fonctionnaire coupable d'avoir détourné 30 millions de yens : garder le butin jusqu'à sa sortie de prison. Mais Shoko s'est mariée avec un autre, et Wakizaka décide un jour de dépenser tout l'argent en un an, puis de se suicider.
La critique :
Certains contempteurs me trouveront sans doute sadique d'avoir balancé autant de films issus de ma Nouvelle Vague japonaise chérie en si peu de temps. Il est vrai que celle-ci s'est montré beaucoup plus insistante ces derniers jours pour le plus grand bonheur, ou non, de certains qui, j'espère, depuis le temps ont compris tout le potentiel et la splendeur de ce courant à la fois méconnu et quelque peu mésestimé. Faut-il encore que je radote sur tout le cheminement qui a conduit à d'importants bouleversements dans le milieu cinématographique japonais ? Il le faudra bien, même si je serai bien plus bref que les premières fois parce que vous connaissez la chanson par coeur et que ça me saoulerait de tout raconter avec une belle prose. En quelques mots, l'émergence de la TV dans les foyers mettent les sociétés de production en panique car elle leur fait perdre du chiffre.
Les salles de cinéma sont désertées car les nippons commencent à en avoir marre des cinéastes classiques. Pas le choix, il leur faut répondre aux attentes en repensant tout le mécanisme. On pourrait voir cela comme le fait de dégager les vieux pour mettre des jeunes ayant une autre vision de la vie. Ils ont connu la guerre à travers leurs yeux d'adolescents et ont des revendications bien précises à mettre sur pellicule.
Une nouvelle génération débarquait pour combler un peu toutes les tranches de la population. Les ados s'extasièrent sur les créations outrecuidantes de Seijun Suzuki. Le cinéma plus intellectuel de Shohei Imamura et Yoshishige Yoshida leur fit atteindre une réputation amplement méritée. Les petits filous furent comblés par une branche concomitante de l'époque qui fut le pinku-eiga dont Koji Wakamatsu en était l'emblème. Le pari fut réussi pour la Shochiku, la Nikkatsu et autres qui popularisèrent certains hommes dont Nagisa Oshima. Oui encore lui ! Mais que les esprits chagrins se rassérènent, après prospection de ma collection, il ne restera plus que trois de ses oeuvres, après celle-ci, avant qu'il ne prenne une retraite bien méritée sur le blog. La faute à mon incompétence crasse de l'avoir oublié dans ma rétrospective. Ne désirant pas la finir sur du 100% Oshima, vous avez la raison que vous n'ayez vu personne d'autre depuis lors. Mais guère d'inquiétude car ils attendent bien sagement leur tour !
En théorie, j'étais censé finir cette longue épopée avec le titre d'aujourd'hui superbement nomméLes Plaisirs de la Chair. (Mal)heureusement pour vous, en m'aventurant un peu plus sur le web, je tombais sur d'autres petites choses. Et l'air de rien, nous en sommes tout de même à la onzième chronique sur cet enfant turbulent qui dépasse avec finesse notre petit Seijun Suzuki qui n'avait "que" huit billets à son actif. Après cette introduction inutile, passons au film en lui-même.
ATTENTION SPOILERS : Devenu assassin pour venger Shoko, la femme qu'il aime en secret, Wakizaka doit accepter le marché que lui propose l'unique témoin du meurtre, un fonctionnaire coupable d'avoir détourné 30 millions de yens : garder le butin jusqu'à sa sortie de prison. Mais Shoko s'est mariée avec un autre, et Wakizaka décide un jour de dépenser tout l'argent en un an, puis de se suicider.
Plonger dans la filmographie de Nagisa Oshima, c'est s'attendre à devoir abandonner toute joie de vivre durant la séance. Les oeuvres précédemment chroniquées vous en auront donné un bref aperçu de la noirceur du style de leur auteur. Les Plaisirs de la Chair, titre qui pourrait sembler univoque au premier abord, n'est pas du tout un film érotique. Certes, on décèle quelques coïts par-ci, par-là mais ils sont filmés de suffisamment loin. Ces plaisirs sont bien sûr la grande découverte de Wakizaka, se décrivant comme un puceau solitaire, isolé de tous, qui verra le ciel lui tomber dessus quand il apprendra que son grand amour de jeunesse s'est mariée avec un richissime entrepreneur. Sur tous les plans, il ne peut rivaliser et s'enfoncer dans le marasme est inéluctable pour sa personne, même après avoir assassiné le violeur de Shoko il y a de ça quelques années.
Devant garder une valise contenant une très importante somme d'argent durant cinq ans, il réalise que toute sa vie n'a été que vacuité et qu'il faut en finir pour être soulagé. Un an pour dépenser 30 millions et c'est là que tout va commencer. Wakizaka, en prenant sa revanche sur la vie, va "acheter" des femmes en échange d'une grosse somme pour qu'il puisse profiter de leur corps comme bon lui semble.
Le désir est tué d'avance car l'enveloppe corporelle féminine est devenue un simple bien de consommation que l'on peut abuser comme bon nous semble tant que la situation financière le peut. Wakizaka va découvrir le sexe avec toute la froideur qui y règne en arrière-plan. Persuadé d'être enfin quelqu'un, il va faire un trait sur toute dignité humaine pour combler ses pulsions sexuelles. La vie n'a pas su lui donner ce qu'il a toujours voulu avoir, alors il n'a d'autre choix que de l'obtenir artificiellement. Il veut une femme à lui qu'il puisse posséder comme bon lui semble. Mais tout ceci est vite dit car il a tôt fait d'avoir le cerveau court-circuité par les valeurs consuméristes prenant le pas sur son envie de départ. Oshima qui n'a jamais caché sa critique de l'américanisme et in fine du capitalisme en fait encore sa cible avec une certaine intelligence qui lui est propre. Sur son trajet de vie, il rencontrera plusieurs filles. La première est une prostituée frivole vivant au jour le jour sans penser au lendemain.
La deuxième est une femme rongée par l'échec d'un mariage où elle a été promise à un bon à rien qui échoue dans tout ce qu'il entreprend. En acceptant la proposition de Wakizaka, elle parvient à faire vivre sa petite famille. La troisième est une créature névrosée, incapable d'assumer sa féminité.
Cependant, une quatrième fera irruption, en l'occurrence une autre prostituée esseulée et mutique sur laquelle Wakizaka jettera son dévolu, n'ayant pas su aller au bout de ses projets avec les autres. Elle se contente d'offrir son corps sans ne rien dire. Elle est un objet à abuser, peu importe les méthodes. Mais cette évasion dans les plaisirs de la chair n'est qu'un leurre. Alors qu'il pensait pouvoir retrouver une certaine sérénité, il ne peut échapper à son passé. Qu'il le veuille ou non, cette fornication sans fond ne le comble pas. Il désire quelque chose qu'il ne peut obtenir à travers le Dieu argent qui est l'amour vrai que l'on ne peut acheter, même pour 30 millions de yens.
Une relation de ce genre n'en serait que malsaine car fonder sur des intérêts financiers et rien d'autre. On le verra à plusieurs reprises que les souvenirs de Shoko lui restent en tête, se matérialisant à des moments clefs. Elle est gravée dans son crâne au point d'engendrer un processus d'autodestruction dans son subconscient. Le sexe vide équivaut à un suicide moral.
Rongé par les remords, les apparitions du témoin se feront dans les derniers instants de l'année. Il sait au fond de lui qu'il n'aurait pas dû toucher à cet argent mais il ne peut plus faire marche arrière. Il en est arrivéà un point où ces liasses de billets ne valent plus rien, distribuant des sommes indécentes dans l'absurdité la plus totale. Cette valeur de l'argent s'est effacée, ce qui aura causé sa ruine. Le destin ne lui fera aucun cadeau. Un retour de karma d'une violence inouïe le fera sombrer dans un gouffre encore plus profond. L'expression "la vie est une p*te" est largement de mise. Les Plaisirs de la Chair est un drame fort qui aborde avec subtilité des problématiques qui sont toujours d'actualitéà notre époque : la marchandisation sexuelle, la misère sexuelle, cette promotion de jouir sans entrave qui amène à dénaturer l'essence de la fornication. Oshima n'y va pas avec le dos de la cuillère et accouche d'un long-métrage perturbant. Mettant moins l'accent sur une mise en scène rythmée, il privilégie un certain rythme contemplatif. Néanmoins, ce choix peut miner notre attention sur la durée sachant qu'il y a un certain processus répétitif qui se fait tout au long.
Le visuel est globalement attrayant avec une caméra judicieuse qui donne lieu à un certain nombre d'expérimentations entre les très gros plans et les superpositions. Un très beau cachet artistique qui plaira autant qu'il déconcertera. Les décors urbains peuvent laisser la place à la campagne ou à la plage. Certaines transitions semblent parfois tenir presque d'une téléportation d'un lieu à un autre. On pense à cette belle séquence sur la plage suivie de celle dans la mer où Wakizaka tente de rattraper sa muse. La bande son est d'une efficacité certaine, ce qui attribue encore un bon point sur l'ensemble. On parlera finalement des acteurs parmi lesquels Katsuo Nakamura qui porte tout le poids d'un homme oublié de la société et des femmes, tout du moins sur la question du véritable amour.
Les choses seront en demi-teinte pour une Mariko Kaga sous-exploitée alors que son potentiel est immense. On l'a bien vu avec Fleur Pâle comme elle crevait l'écran. Les autres se débrouilleront avec les honneurs. Nous mentionnerons Yumiko Nogawa, Masako Yagi, Toshiko Iguchi, Hiroko Shimizu, Shoichi Ozawa et Kei Sato entre autres.
Si Les Plaisirs de la Chair n'est pas un gros must de la filmographie de Nagisa Oshima, on ne peut fermer les yeux sur ses qualités formelles et sa richesse de lecture. Ayant été dubitatif au début d'en faire une chronique, le film avançant, je me rendais compte que cela serait une erreur de ne pas vous en parler un peu plus, surtout au vu de ses thèmes tabous et avant-gardistes. Wakizaka, nihiliste pauvre, pouvant goûter à la luxure et à l'avidité pour un an dans sa vie tombera de haut, convaincu qu'il était le maître du monde. Car non, la véritable union entre un homme et une femme ne peut fonctionner sans cette chose essentielle qui est l'amour et que Wakizaka n'aura décidément jamais connu dans sa vie. A même de foutre le bourdon à un croque-mort, Oshima confirme son professionnalisme dans les drames sans pitié. Alors oui, on recense quelques problèmes de rythme et ce petit manque de gnac mais ce n'est pas une raison de jeter dans le caniveau le plus proche Les Plaisirs de la Chair qui est un long-métrage intemporel. Recommandable mais pas indispensable !
Note : 14/20